Université Paris 8, Saint-Denis (93) — Traits tirés et doigts sur les tempes, Amadou (1), 28 ans, tente de compresser cinq années de galère en quelques mots. Il est arrivé en France en 2020, visa en poche, pour continuer ses études après un bachelor en Gestion de projet décroché au Burkina Faso. Mais au bout de quelques mois, son grand frère, qui jusqu’alors l’aidait financièrement, l’a mis à la rue.
Depuis 2023, il est inscrit en philo à l’Université Paris 8, dort « à droite à gauche », se nourrit grâce aux distributions alimentaires et fait des petits jobs pour tenter de rembourser ses dettes. Cette année, Amadou tente d’intégrer un cursus en management. Alors que la rentrée est déjà bien entamée, il attend encore une réponse de la fac sur son dossier et celle du Crous pour un logement. ll lâche, dépité :
« On a tous le droit à l’éducation et à un toit sur la tête. Personne ne choisit sa couleur de peau ou le pays dans lequel il naît. »
Depuis septembre, un collectif de neuf personnes inscrites comme lui à l’Université Paris 8 reste sans domicile fixe, malgré de nombreuses relances du Crous pour obtenir un logement en résidence étudiante. Soutenues par la Fédération syndicale étudiante de Saint-Denis (FSE), elles se mobilisent à travers des actions de visibilisation « pacifiques ». En Île-de-France, la situation est d’autant plus inquiétante que le gouvernement prévoit, dans son budget pour 2026, la suppression des aides au logement pour les étudiants étrangers qui ne viennent pas de l’Union européenne.
« Le Crous m’a répondu que pour avoir un logement il fallait un titre de séjour », raconte Samba (1), 27 ans, inscrit en Histoire. Arrivé en France en janvier, il est hébergé chez son oncle avec qui il partage une petite chambre. « C’est impossible de réviser », explique-t-il. Il passe son temps à la BU, fermée ces deux derniers jours en raison d’une panne de chauffage. Deux autres étudiants de Paris 8 sans-papiers dorment dans la rue depuis des mois.
Vers un hôtel Formule 1
« Pour les étudiants internationaux, l’admission au sein d’un logement en résidence Crous est soumise à la présentation d’un titre de séjour en cours de validité [ou d’un justificatif attestant d’une demande de renouvellement ou de prolongation auprès des services préfectoraux, ndlr], conformément au Code de l’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile », répond le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous) à StreetPress.
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Même avec un titre de séjour valide, il n’est pas toujours garanti de trouver une chambre. Aminata (1), 25 ans, arrivée le 28 août avec un visa d’un an, a d’abord été redirigée par le Crous de Créteil vers un hôtel Formule 1 pour deux semaines. « Après ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient plus rien pour moi », raconte-t-elle. Elle reçoit un mail avec cette recommandation : appeler le 115. En attendant, l’étudiante dort chez une camarade de promo. « Les demandes sont examinées en fonction du niveau de ressources, de la situation familiale et administrative, ainsi que des places disponibles dans les résidences », précise le Cnous. En Île-de-France, l’organisme recense en moyenne sept demandes de logements Crous pour une place.
« Rupture de dialogue »
Après avoir organisé plusieurs petits rassemblements à l’Université Paris 8 et au Crous de Créteil, la Fédération syndicale étudiante de Saint-Denis a reçu une mise en demeure le 21 novembre. La direction générale du Crous Créteil menace de faire appel systématiquement aux forces de l’ordre et de porter plainte. « Une insatisfaction face à une demande établie envers les Crous ne saurait […] justifier des prises à partie des agents », répond le Cnous à StreetPress. Et d’ajouter que « le Crous de Créteil se fixe pour objectif de doubler le nombre de places proposées d’ici 2035 ».
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Gabriel de la FSE dénonce « des mensonges » et une « rupture du dialogue inquiétante » : « Auparavant, quand on bloquait le bâtiment de la présidence de l’Université Paris 8, on arrivait à aboutir à une réunion et à déposer les dossiers sur la table. Maintenant, dès qu’ils nous voient arriver avec une banderole et un mégaphone, ils ferment à double tour les bâtiments. » Contactée, l’Université Paris 8 n’a pas répondu à nos sollicitations.
Le 6 novembre, Nader, 34 ans, étudiant à Paris 8 et membre du collectif, a entamé une grève de la faim pour sa régularisation. Il y a un an, StreetPress le suivait déjà. Accueilli légalement par la France en 2016 pour poursuivre ses recherches, le thésard en cinéma a reçu une obligation de quitter le territoire français deux ans plus tard. Malgré tout, il réalise des films et a même été nominé aux César.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
Photo de Une par le FSE, prise le 21 novembre 2025.
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