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    18/12/2025

    Tout le monde ne s'appelle pas Nicolas Sarkozy

    Moben, transféré dans un quartier de haute sécurité pour avoir écrit un livre de recettes en prison

    Par Clara Monnoyeur

    Moben, détenu de longue peine au centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure, s’est vu convoqué pour avoir écrit un livre de cuisine en détention. Il a été transféré dans le nouveau quartier de lutte contre la criminalité organisée.

    Ce matin d’octobre, Moben, détenu de longue peine au centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure (03), voit débarquer une équipe de surveillants dans sa cellule. Ils fouillent. Ils ne cherchent ni téléphone ni drogue. Rien à voir avec les opérations lancées par le ministre de la Justice Gérald Darmanin quelques semaines plus tôt. Les équipes locales de sécurité pénitentiaire cherchent un livre.

    Un écrit contenant 77 recettes : tarte aux légumes, bricks de thon, flan pâtissier ou galette des rois. Rien de dangereux a priori, dans un lieu où se mitonner des plats est essentiel pour manger correctement. Le livre intitulé « Mange ta peine, les recettes de cuisine d’un prisonnier à l’isolement », a été rédigé par le détenu, et publié le 17 octobre aux éditions du Bout de la Ville. De quoi faire concurrence au récit de l’ancien président Nicolas Sarkozy, publié à deux mois d’intervalle.

    À LIRE AUSSI (en 2015) : Trafic de persil, réchaud bricolé. Quand les taulards cuisinent en cellule

    Mais l’accueil n’est pas le même, comme l’a révélé en premier le Nouvel Obs. Son bouquin est saisi. Moben est placé en cellule d’isolement. Le détenu est convoqué par la direction de l’établissement. Là encore, il ne s’agit pas de féliciter son investissement, sa qualité d’écriture ou même ses compétences culinaires, mais de questionner ses écrits. « C’est un livre qu’on ne pensait pas du tout polémique. Pour notre maison d’édition, c’est l’un des fondamentaux d’éditer des paroles de prisonniers et de permettre la liberté d’expression », réagit Pierre E. Guérinet, son éditeur.

    Par mail, la direction interrégionale justifie la saisie du livre dans la cellule de Moben à son éditeur en listant plusieurs articles du code pénitentiaire, et conclut : « Ainsi, lorsqu’une personne détenue souhaite qu’un de ses écrits soit publié par une maison d’édition, il convient au préalable qu’elle obtienne l’accord du directeur interrégional territorialement compétent. » Selon un agent pénitentiaire de Moulins-Yzeure, il n’est pourtant pas rare de voir des personnes détenues écrire des livres en détention et de les voir publiés alors qu’ils sont encore incarcérés.

    En fin de mail, la direction interrégionale assure que « l’ouvrage en question sera remis à [Moben] ; la retenue de celui-ci ayant été utile pour s’assurer qu’il ne contrevenait pas à l’ordre et à la sécurité de l’établissement ». Pierre E. Guérinet commente :

    « À partir de là, on était confiant, on pensait que cette histoire était réglée. »

    Placement en QLCO

    Le 30 octobre, l’administration pénitentiaire envisage le placement de Moben dans un quartier de lutte contre la criminalité organisée (QLCO). Ses avocats tombent des nues. Ils assurent que leur client n’a rien à voir avec les profils destinés aux nouvelles prisons ultra-sécurisées ouvertes dans le cadre de la loi concernant la lutte contre le narcotrafic. Maître Julien Brel argumente : « Le déclenchement de cette procédure est postérieur à la confiscation du livre pour lequel l’administration pénitentiaire a mené un entretien, pour ne pas dire un interrogatoire, sur ces recettes de cuisine. »

    Le 18 novembre à 6 heures, Moben est envoyé au QLCO d’Alençon-Condé-sur-Sarthe. Ses avocats annoncent déposer un recours pour contester la décision. Une requête a aussi été présentée concernant « l’indignité de ses conditions de détention ».

    Une critique de la prison impossible ?

    Pour justifier son transfert, la direction liste d’abord son parcours judiciaire. Âgé de 49 ans, il a rencontré la détention encore mineur. Dans sa jeunesse, il a baigné dans le milieu du banditisme et des règlements de comptes. Ces nombreuses condamnations pour complicité de vol en bande organisée, enlèvement, séquestration ou association de malfaiteurs l’ont mené à être enfermé de manière quasi continue de 1997 à 2015. Depuis 2017, il purge sa peine de douze ans de réclusion criminelle pour des faits de « recel ». Outre ces antécédents, l’administration pénitentiaire mentionne encore son livre :

    « Hormis les recettes, vous décrivez votre vie en détention, en particulier à l’isolement, et en réalisant une critique de la prison. »

    L’administration pénitentiaire aurait mal digéré l’introduction. Moben consacre en effet les vingt premières pages à la description de son quotidien passé à l’isolement. Après une tentative d’évasion et au regard de ses différentes condamnations, il a été mis sous le statut de « DPS » — détenu particulièrement surveillé — et s’est vu imposer un régime sécuritaire strict et isolé pendant onze ans. Il le compare à « une punition qui ne dit pas son nom » et rappelle que la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) avait qualifié de « torture blanche » l’isolement prolongé (1).

    À LIRE AUSSI (en 2023) : En prison les détenus ont faim et les inégalités persistent

    C’est dans ce contexte qu’il aurait trouvé refuge dans la cuisine et eu l’idée d’écrire un livre recensant ses recettes. « En prison, manger équilibré est essentiel à la santé mais surtout au moral », écrit-il. L’administration pénitentiaire évoque aussi dans son avis une « boutade » de Moben aux agents venus fouiller sa cellule. Surpris par les moyens déployés, il leur avait alors lancé : « Il est disponible à 14 euros à la Fnac si vous êtes intéressés ! »

    Elle lui reproche également « [sa] volonté et [sa] capacité à communiquer, pendant plusieurs semaines, avec des personnes à l’extérieur en contournant les règles de contrôle de l’administration pénitentiaire ». Gaëlle Hoarau, cuisinière, a participé à l’élaboration de cet écrit avec Moben. Elle jure que « rien n’a été fait dans le dos de l’administration ». « Ils étaient au courant. Pendant un an, on a échangé par courrier, puis par cabine téléphonique. Mon numéro avait été validé. » Tout échange de courrier ou téléphonique est d’ailleurs consulté et écouté par l’administration pénitentiaire. Le livre a été apporté à Moben par l’un de ses proches au parloir.

    Une réinsertion mise à mal ?

    Même le juge d’application des peines émet un avis « réservé » quant à son transfert en QLCO, un texte que StreetPress a pu consulter. Il y est écrit : « Si force est effectivement de constater que [Moben] a été condamné récemment pour des faits relevant de la qualification de bande organisée, son parcours de détention […] permet de mettre en évidence une évolution positive. » Et ajoute même que son projet de réinsertion « pourrait être remis en question » par ce transfert, alors que sa date de fin de peine est relativement proche, en 2029. En 2024, il est même sorti du régime de l’isolement.

    Le service d’insertion et de probation met lui aussi en avant un profil « investi dans son suivi ». Moben a par exemple effectué une formation « bois » et en a commencé une autre de « menuisier agenceur » le 31 mars. Il a suivi les cours et a obtenu son CAP en juin avec la mention « très bien ». Et ajoute qu’« il fait preuve d’introspection et d’analyse sur son parcours ». Sous couvert d’anonymat, un agent confie avoir été surpris, décrivant Moben comme un détenu « calme, posé, correct, n’ayant jamais eu un mot plus haut que l’autre ». « Je ne sais pas ce qui a pu se passer », ajoute-t-il. Même choc pour Jacky Durand, journaliste et écrivain culinaire qui a postfacé le livre :

    « Ça va à rebours de tout ce qui a été mis en avant en détention sur la cuisine. »

    Dans son livre, Moben écrivait : « J’aimerais que ce livre contribue à combattre les idées préconçues liées à la prison et à briser les stéréotypes souvent associés à ceux et celles qui s’y trouvent. Dehors, le plus souvent, on ne peut s’imaginer que les personnes détenues ont du goût, des envies et des idées. »

    Contactées, ni la direction du centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure ni la direction interrégionale de l’administration pénitentiaire n’avaient répondu à nos questions à ce jour, pas plus que le ministère de la Justice.

    (1) CNCDH, « Les droits de l’homme dans la prison », vol. 1, 2007.

    « Mange ta peine, les recettes du prisonnier à l’isolement », de Moben, avec l’aide de Gaëlle Hoarau, postface de Jacky Durand, Du Bout de la Ville, 150 pp., 14 euros.

    Illustration de la Une par Mila Siroit.

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