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    26/06/2012

    La désillusion de la jeunesse grecque

    A Athènes, avec les étudiants d'extrême gauche et les jeunes néonazis

    Par Marine Courtade et Ulysse Mathieu

    Syriza, la gauche radicale, et Aube Dorée, le parti néo-nazi ont surgi sur la scène politique grecque grâce au vote des jeunes. Une jeunesse désenchantée, à l'image de Dimitri qui envisage de « retourner sur son île produire des tomates ».

    Athènes, 16 juin 2012 – Partout les drapeaux virevoltent. Certains l’agitent, le bras tendu. D’autres le portent sur les épaules, telle une cape de mousquetaire. C’est une marée bleue et blanche qui envahit la place Omonoia, une place du centre d’Athènes. Des sourires fiers illuminent tous les visages. Vrombissements de motos, coups de klaxons, bruits de pétards et fumigènes. La Grèce vient de se qualifier pour les quarts de finale de l’Euro de football : « Grèce ! Grèce ! On ne cessera jamais de chanter pour toi ! »

    Pour un peu, en ce samedi 16 juin, on oublierait que nous sommes à la veille d’une élection cruciale et que les yeux des dirigeants européens, voire du monde entier sont braqués sur ce pays méditerranéen au bord de la faillite. « C’est génial, cette victoire nous permet de décompresser et d’oublier tous nos problèmes, s’exclame Stavis Gannanbata, 19 ans. C’est notre moment à nous ! » Mais, très vite, les slogans politiques remplacent les cris de joie. « Si on sait gagner au football, on saura aussi niquer les banques ! », scandent tous les jeunes sur la place.

    Succès du parti néo-nazi chez les jeunes Soudain, un groupe s’isole. Cette cinquantaine de jeunes enfilent des T-shirts noirs sur leurs maillots et se jettent sur un immigré à coups de pieds et de poings. La place se vide. Ils avancent vers la police en chantant : « Les Albanais ne seront jamais Grecs ! » Malgré leur jeune âge, ils font preuve d’une violence inouïe et d’une organisation quasi-militaire. Ce sont des militants d’Aube Dorée : 13,6% des 25-34 ans ont voté pour ce parti néo-nazi aux législatives (Aube Dorée a recueilli 7% des voix dans l’ensemble de la population). Pour l’anthropologue Panagiotis Grigoriou, il n’y a rien d’étonnant à cela : « Dans un contexte de violence politique, l’extrême-droite propose à la jeunesse des solutions qui apparaissent comme clés en main, notamment sur la question de l’immigration, alors que la gauche se projette dans un monde humaniste. »

    « Si on sait gagner au football, on saura aussi niquer les banques ! »


    [Diapo sonore] Le 16 juin, des jeunes néo-nazis entament une ratonnade dans les rues d’Athènes, sous le regard bienveillant de policiers.

    L’extrême-gauche en tête chez les étudiants Pourtant, un autre parti a profité du vote de la jeunesse : Syriza. Chez les étudiants, la coalition d’extrême-gauche arrive en tête. « Syriza veut réformer la justice et la police, construire un nouveau système. Ca ne s’arrête pas au refus du Mémorandum [qui contient des mesures d’austérité signées entre Athènes et ses bailleurs, ndlr] », assure Dinos, un grand gaillard de 24 ans, étudiant en informatique. Le soir des résultats, il est venu, bière à la main et avec quelques amis assister au discours de son leader, Alexis Tsipras, devant l’université de droit, place Paneptisimio. Malgré la défaite, l’ambiance était festive. Héléna, petite brune d’une vingtaine d’années, le badge de Syriza accroché à la chemise, confesse :

    « Je suis plutôt soulagée que nous ayons la deuxième place, parce que je ne suis pas sûre que nous avons les capacités de gouverner. Nous avons au moins le mérite d’avoir fait bouger les lignes. »

    Rejet de la politique à papa Extrême gauche contre extrême droite : cette radicalisation témoigne du rejet de la politique à l’ancienne, incarnée par le Pasok, le parti socialiste, et Nouvelle Démocratie, le parti conservateur. « C’est une critique d’un système qui est perçu comme délégitimé autant du point de vue politique qu’économique, analyse Stathis Kalyvas, politologue et professeur à l’université de Yale. Les deux partis traditionnels sont perçus comme les premiers responsables de cette crise. Ils ont, contrairement à l’Aube Dorée et à Syriza, un langage et un personnel dépassés. Pour les jeunes, il faut faire table rase du passé. »

    Victor, un fermier devenu artiste, bedonnant et excentrique âgé de 28 ans, résume bien cette analyse. Tout en gribouillant sur une feuille de journal, il lâche dans un grand éclat de rire :

    « Si ça ne tenait qu’à moi, j’amènerais bien les responsables de tout ce bordel faire une promenade en mer. »

    Les jeunes votent davantage L’espoir d’un renouvellement, Lina y croit dur comme fer. Cette sémillante avocate de 26 ans à la jupe colorée est une militante active à Syriza depuis 2006. « On organise des conférences, des festivals pour parler du programme du parti. On distribue aussi des tracts à la sortie des lycées et universités. » Elle se désole que peu de jeunes s’engagent autant qu’elle. « Malheureusement, pour les gens de mon âge, politique signifie corruption. Je ne trouve pas que voter soit suffisant. Il faut se mobiliser et agir pour améliorer la société. » De nombreux spécialistes affirment que les jeunes votent davantage qu’avant, mais ne prennent pas leurs cartes dans les partis. Impossible de vérifier cette information, faute de données. « No data, no problem, no solution », comme disent les Athéniens.

    « Aujourd’hui, il y a une contradiction en Grèce entre le discours radical des jeunes et leur comportement conservateur. Leur vie n’est pas en adéquation avec leur discours », reprend le politologue Stathis Kalyvas. A Polytechnique, bastion historique de l’anarchisme et du syndicalisme étudiant, les professeurs et leurs élèves reconnaissent une évolution. « Le fait qu’un jeune sur deux soit au chômage me terrifie. Ca m’oblige à être très très bon et à travailler énormément. C’est une pression terrible, confie Pagnanotis Andraonopoulos, étudiant en architecture, sa maquette à la main. Du coup je n’ai plus le temps pour militer et m’engager dans des projets politiques. » Un constat partagé par les professeurs : « Les étudiants travaillent beaucoup plus qu’avant, ils sont plus concentrés », constate July Rapti, professeur de philosophie des arts. Les anarchistes déplorent cette situation. Pour eux, et malgré tous les tags contestataires qui recouvrent chaque mur, Polytechnique est devenue une faculté de droite.


    Arrivé deuxième aux dernières législatives, la coalition d’extrême gauche emmenée par Alexis Tsipras est leader chez les étudiants.

    « No data, no problem, no solution »


    A l’université Polytechnique, bastion du syndicalisme étudiant, on milite moins et on travaille plus.

    Athîo la Grèce A Polytechnique comme ailleurs, nombreux sont les jeunes qui envisagent de s’exiler, faute d’entrevoir un avenir dans leur pays. « Je vais tout faire pour trouver un travail en Grèce, mais si vraiment je n’y arrive pas, je partirai », assure Liana, 21 ans, tout en roulant sa cigarette. Elle vit avec sa sœur grâce à l’aide de ses parents. « J’ai beaucoup de copains qui ont dû arrêter leurs études et retourner chez leurs parents, faute d’argent. »

    Même situation pour Dimitri. Le jeune homme aux lunettes et à la barbe noire, architecte de formation, vient d’avoir 30 ans. Il se désole de devoir encore vivre aux crochets de ses parents à son âge :

    « Les jours où ca ne va vraiment pas, je me dis que je vais retourner sur mon île, à Képhalonia, produire des tomates. »

    La solidarité familiale reste le dernier rempart face à la crise. Et le seul. Les relais sociaux disparaissent les uns après les autres. Les associations pour les jeunes sont quasi inexistantes. Pour Stathis Kalyvas, si la jeunesse grecque se mobilise aussi peu, c’est le résultat du manque d’autonomie et de la surprotection de leur famille. « Ce sont des enfants gâtés qui tombent de leur chaise, assène-t-il. La crise les forcera à être plus dynamiques, plus créatifs dans les prochaines années. » Quant à Victor, c’est décidé : pinceaux en poche, il part à Paris la semaine prochaine. « Ici, je ne dessine que des choses tristes. Là-bas, je vais voir du beau. » Depuis qu’il assume ses ambitions artistiques, son père lui a coupé les vivres.


    Liana, 21 ans: « Je vais tout faire pour trouver un travail en Grèce, mais si vraiment je n’y arrive pas, je partirai »

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