En ce moment

    22/02/2013

    Quand le parti de Poutine surfe sur l'homophobie

    L'enfer des homos russes

    Par Mathieu Molard

    Homos russes, cachez-vous ! La Douma vient de voter en première lecture une loi visant à interdire la « propagande de l'homosexualité auprès de mineurs ». Procès, ratonnades et brimades au quotidien, il ne fait pas bon d'être gay en Russie.

    Tribunal administratif de Moscou, vendredi 15 février – « Voilà, c’est fini ! » lance narquois Sergey Gubanov. Pas tout à fait en réalité, l’audience est simplement reportée au 1er mars. La police n’a pas transmis les pièces du dossier. L’ironie du jeune militant gay n’est pas du goût de la magistrat en charge du dossier, qui lui intime immédiatement l’ordre de garder le silence. Trônant à côté d’un grand drapeau blanc, bleu, rouge – les couleurs de la Russie – la juge ne cesse de lui jeter des regards noirs. Pendant un instant le silence se fait dans la salle, simplement troublé par une mélodie des Spices Girls qui s’échappe d’une pièce voisine. Personne ne semble s’étonner de l’incongruité de la situation. Debout aux côtés de son avocate, devant la cage aux barreaux épais dans laquelle on enferme les prévenus en détention provisoire, Sergey a retrouvé un visage impassible. Si le jeune homme, cheveux longs et gueule d’ange, siège sur le banc des accusés c’est officiellement pour avoir « participé à une bagarre de rue devant le parlement russe ». Une ratonnade, en fait, dont Sergey et ses amis ont été victime le 19 décembre dernier.

    Car en Russie, les homosexuels ne sont pas victimes mais coupables. C’est la loi qui le dit. Depuis le début de son nouveau mandat, le président Poutine se sert de l’homophobie pour retrouver une popularité qui s’est effritée. La communauté gay locale en fait les frais. Bien souvent physiquement.

    1 Des agressions devant le Parlement

    Pour dénoncer l’examen prochain d’une loi visant à « interdire la propagande homosexuelle », quelques activistes avaient organisé un kiss-in devant la Douma ce 19 décembre. Une vingtaine de personnes à peine avait répondu à l’appel. « Ici les homosexuels ont peur et le plus souvent vivent cachés », explique Sergey Ilupin, militant présent ce jour-là. Lui a fait son coming-out depuis longtemps. Une exception dans ce pays ou plus de 85% des gens affirment ne connaître aucun homosexuel .

    A peine arrivés devant le parlement, une bande de mastards s’approche des quelques couples et commence à scruter la petite troupe. « On a très vite compris ce qu’il allait nous arriver », raconte Sergey Ilupin. Le ton monte. Les hooligans interpellent les quelques manifestants. En un instant tout bascule. Des œufs commencent à voler. Les agresseurs se jettent sur les couples homosexuels. Les coups pleuvent. L’agression était « d’une rare violence » témoigne Sergey Ilupin. Lui a eu le nez en sang mais rien de cassé. Tous n’auront pas cette chance. « J’ai immédiatement appelé la police. Ils ont mis plus de 30 minutes à arriver »… devant le Parlement ! Une fois sur place les forces de l’ordre ne font pas dans le détail. Agresseurs comme victimes sont emmenés au commissariat, jetés dans la même cellule. Près de trente heures ensemble, ça créerait presque des liens :

    « J’ai discuté avec ceux qui m’ont frappé. Certains étaient bien sûr des crétins complètement homophobes, mais d’autres étaient surtout là pour se faire un nom, une réputation et montrer leur bande. »


    Video Bastonnade à Moscou

    Aujourd’hui c’est notre existence même qui pour eux est une forme de propagande


    Sergey Gubanov, après son agression

    Bis repetita Ni les coups, ni les 30 heures de garde à vue ne découragent pas les activistes. Le 25 janvier 2013, nouvelle action devant la Douma qui vote ce jour-là à une très large majorité (388 voix pour, une contre et une abstention) la loi interdisant la « propagande de l’homosexualité auprès de mineurs ». Comme un triste goût de déjà-vu. « A peine arrivé, j’ai repéré certains de nos agresseurs de la dernière fois », raconte Sergey Ilupin. « J’ai alerté la police, qui est restée indifférente ».

    Très vite la situation dégénère . Les militants LGBT sont à nouveau agressés par une bande se revendiquant de l’église orthodoxe, plus certainement des hooligans. Sergey Gubanov est frappé à plusieurs reprises, sous les yeux de la police qui n’intervient pas vraiment (voir la vidéo ci-dessus). Nez cassé, le sang coule sur son visage. Quelques « hétéros-solidaires » venus en soutien, assistent à la scène interloqués. L’un d’eux, professeur dans un lycée scientifique prestigieux, s’est fait renvoyer suite à la pression des parents. La communauté scientifique a pris sa défense et il a finalement été réintégré.

    2 Une opinion publique hostile

    Pour Konstantin Milchin, journaliste à Reporter Russe « Poutine a très largement perdu en popularité. Il est aujourd’hui dans une phase populiste : il fait passer ces lois démagogiques pour détourner l’attention des problèmes sociaux ou de la corruption qui progresse dans le pays ».

    La majorité en quête de popularité drague une opinion publique largement homophobe. Selon le dernier sondage organisé par le centre sociologique Levada en 2011, à peine 25% des sondés pensent qu’il faut laisser les homosexuels en paix. 24% croient qu’il faut leur apporter une aide psychologique, 21% les soigner, 18% les isoler et même selon 4% des personnes interrogées, les liquider.

    Pour Elena Gusya, militante de la première heure, « la situation d’aujourd’hui est comparable à celle d’avant 1993 (année où l’homosexualité masculine a été décriminalisée, ndlr) A cette époque le mot homosexuel n’apparaissait que dans les textes de lois ou les documents médicaux. Il y a eu une vague de liberté et d’ouverture à la fin de l’URSS, mais ce temps-là est révolu. Aujourd’hui c’est notre existence même qui pour eux est une forme de propagande ».

    3 Des lois homophobes à gogo

    Le texte voté en première lecture, le 25 janvier, par la Douma interdit la « propagande de l’homosexualité auprès de mineurs », sans définir précisément les faits qui pourraient être concernés. A l’origine de la loi, Sergueï Dorofeïev, député du parti au pouvoir, Russie Unie. Pour lui il s’agit de « protéger les mineurs des conséquences de l’homosexualité ». « Ça revient à considérer l’homosexualité comme un virus qui pourrait se transmettre », commente Sergey Ilupin. Pour lui les conséquences risquent d’être dramatiques :

    « Cette loi rend impossible toute forme d’information auprès des ados. Aujourd’hui le nombre de suicide chez les jeunes homos est déjà très élevé. Demain on peut craindre une véritable hécatombe. »

    Pour Elena Gusya, c’est toute la communauté LGBT qui est en danger.

    « Ça va être comme en URSS. On va assister à de vrais procès politiques. Et la notion de propagande homosexuelle va servir de prétexte pour faire taire les militants. »

    Dans le texte il est simplement question d’empêcher les « informations pouvant nuire [au] développement harmonieux physique et psychique » des enfants. La formulation imprécise laisse la porte ouverte à toutes les interprétations. Ainsi, la mairie de Moscou réfléchirait à interdire purement et simplement les baisers entre personnes du même sexe, dans les rues de la capitale . Plus certainement, ce sont les actions militantes pour les droits LGBT, qui devraient en premier pâtir de cette loi. La Gay Pride est déjà interdite depuis 2006. Si la loi est adoptée en seconde lecture, ce qui ne fait que peu de doutes au vu du premier scrutin, les contrevenants seraient désormais attaqués au portefeuille . Une personne physique risque de 4.000 à 5.000 roubles d’amende (100-125 euros), une personne dépositaire de l’autorité publique de 40.000 à 50.000 roubles (1.000-1.250 euros) et une entité juridique de 400.000 à 500.000 roubles (10.000-12.500 euros).

    4 L’offensive de l’Eglise orthodoxe

    La loi visant à interdire la « propagande homosexuelle », bien que soutenue par le Kremlin, s’est faite à l’initiative de parlementaires de la Douma. Ce n’est pas la première du genre. Plusieurs villes comme Saint-Pétersbourg ou régions, comme Novossibirsk ont adopté à l’échelon local des textes similaires qui illustrent l’influence grandissante de l’église orthodoxe sur la sphère politique.


    Ivan Otrakovski, leader du mouvement orthodoxe « Sainte Russie »

    Ainsi plusieurs membres de la hiérarchie orthodoxe ont violemment dénoncé l’homosexualité , une pratique « issue du diable » et « aussi insupportable que la doctrine communiste ». Ivan Otrakovski, leader du mouvement orthodoxe Sainte Russie, rangers aux pieds, intégralement vêtu de noir et brassard au bras prie pour que dieu les protèges de « cette attaque ». Pour lui, « les sodomites, [ceux] qui réclament des droits pour faire de la propagande, pour corrompre nos enfants, pour qu’ils suivent la même voie entachée de péchés qu’eux […], détruisent les traditions, la famille. Si tout le monde était homosexuel, le peuple mourrait ».

    « L’Assemblée mondiale du peuple russe » (VRNS), organisation fondée par l’Église orthodoxe russe pour regrouper ses croyants au-delà des frontières du pays surfe quant à elle sur l’actualité française. Dans un communiqué elle « apporte son soutien aux citoyens français ayant protesté contre la légalisation des mariages homosexuels et contre l’adoption d’enfants par les couples de même sexe ». Une tentative « agressive d’entériner sous forme de normes juridiques le vice et la pathologie ». Par la même occasion elle réclame « au législateur russe de prendre les mesures excluant toute perspective de confier des orphelins russes adoptés par des étrangers à des couples de même sexe, et au cas où de telles garanties ne pourraient être obtenues, interdire l’adoption des orphelins russes dans les pays où les mariages homosexuels sont légalisés ».

    bqhidden. Les sodomites, réclament des droits pour faire de la propagande

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER