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    22/03/2013

    Devant le ministère de l'Intérieur, ils venaient enterrer « la promesse » des récépissés

    Quand des militants anti-contrôle au faciès se font embarquer par la police

    Par Nima Kargar

    Ils devaient déposer une gerbe de fleurs devant le ministère de l'Intérieur pour enterrer « la promesse » des récépissés de contrôle d'identité. Pas de bol, les militants anti-contrôle au faciès ont tous fini… au commissariat !

    Paris 8e – Dans la rue Royale, qui mène à la façade de l’église de la Madeleine, apparaît un groupe de quelques vingt-cinq jeunes, tout de noir vêtus, façon Black Panthers. Un happening de promo pour la sortie prochaine au ciné de « Free Angela », le biopic sur Angela Davis ? Pas vraiment, même si certaines combats frappent par leur constance.

    Il est 15 heures, ce jeudi, quand prend fin l’oraison funèbre prononcée sur les marches de l’église par les militants du collectif Stop le contrôle au faciès . Derrière Franco Lollia, 41 ans, porte-parole de la Brigade Anti-Négrophobie , deux militants tiennent une gerbe de fleurs barrée d’un bandeau portant la mention : « A l’égalité. Morte pour par la France ».

    RIP En cette journée internationale de lutte contre les discriminations, les membres du collectif ont décidé de « filer la métaphore des médias qui avaient titré “Manuel Valls enterre le récépissé”, en septembre dernier. » « Alors nous on a décidé d’enterrer l’égalité », explique Sihame Assbague, 26 ans, porte-parole du collectif Cité en Mouvement.

    Dans le même temps, sont brandis des portraits façon mandats d’arrêt, période Far West, pour Manuel Valls, Jean-Marc Ayrault et de François Hollande présentés comme des « suspects.» L’assemblée se met alors en mouvement, sous le regard pantois des nombreux touristes et des bourgeois du quartier. Ils s’engouffrent dans la première bouche de métro, direction « Place Beauvau » et le ministère de l’Intérieur.

    « Trahison » Le gouvernement Ayrault, sous l’impulsion de Manuel Valls, a laissé tomber l’expérimentation de récépissés à l’issue de chaque contrôle d’identité . Une mesure demandée par plusieurs associations comme AC Le Feu, présente dans le cortège et qui avait rencontré François Hollande pendant la campagne présidentielle .

    Echaudés par cette « trahison », les militants sont venus rappeler cette « promesse ». Si elle n’a jamais été contrôlée – « un des rares avantages qu’ont les femmes, qui ne représentent que 2% des contrôles d’identité », Sihame n’en est pas moins révoltée :

    « Les femmes vivent ces contrôles à répétition de manière beaucoup plus douloureuse que leurs frères, leurs cousins, leurs conjoints. C’est quelque chose que les hommes ont intégré, pas les femmes. Une fois que mon mari se faisait contrôler, il me disait “c’est pas grave, on peut rien faire, je vais pas me révolter à chaque fois…” »

    Autant dire que Sihame ne se satisfait pas du simple code de déontologie avancé par Manuel Valls, qui préconise le retour du port du matricule pour les gendarmes et policiers, et dont les militants soulignent sa « valeur juridique non-contraignante ».

    Nous on a décidé d’enterrer l’égalité

    Panier à salade Peu avant 15 heures, le groupe descend à l’arrêt « Beauvau » du bus 52, à deux pas des grilles du ministère de l’Intérieur. Devant des policiers et agents de la sécurité pris de court, les militants déposent la gerbe à terre et écoutent Franco Lollia interpeler « ce gouvernement qui n’a pas trouvé mieux qu’un code de déontologie » alors qu’il avait « promis de lutter contre le contrôle au faciès ».

    Rien de bien méchant de la part de ces membres de la Brigade Anti-Négrophobie qui appellent à « un débat citoyen » et qui auront très vite les CRS pour seuls interlocuteurs. Les fourgons se succèdent, et les policiers sont bientôt deux fois plus nombreux que la grosse vingtaine de militants, encerclée et poussée vers un « panier à salade ».

    Motif « Ce sont surtout eux qui stressent, là », s’amuse le seul militant ayant pu rester à l’écart : « Ils sont en train de flipper parce que le ministère de l’Intérieur est censé être une forteresse insaisissable. » Très vite, la place devient le théâtre d’un véritable siège, et un convoi de berlines noires du ministère se retrouve coincé au milieu des bouchons, ajoutant à la nervosité des forces de l’ordre… et à l’amusement du militant.

    C’est devant le commissariat du 4e arrondissement qu’il retrouvera ses camarades, aux alentours de 21 heures. Emmenés au poste pour un contrôle d’identité poussé, ils ressortent au compte-goutte cinq heures après leur arrivée. Ils ne se sont vus notifier « aucun motif précis » et n’ont pas été gardés à vue, raconte Franco, qui avance :

    « Tout ça c’est juste histoire de nous faire perdre du temps, de nous faire payer notre audace. C’est forcément le ministère qui a donné l’ordre de nous embarquer : on avait fini notre action, on venait de poser la gerbe et on partait, quand ils nous ont encerclés… »

    « Pression » Sollicitée par StreetPress, la préfecture de police ne nous avait toujours pas répondu ce vendredi après-midi. Mais le happening de Franco et son crew n’ayant pas été déclaré en préfecture, voilà qui explique sans doute pourquoi ils se sont faits embarqués.

    Des arguments qui ne justifient pas la réaction des forces de l’ordre pour Franco:

    « Nous on n’était pas là en manif. On a déposé une gerbe de fleurs, eux ils l’ont interprété comme ils le voulaient… La police nous l’a dit : ils voulaient nous mettre une pression “ferme”.»

    Illustration de la fermeté de la réaction policière, il évoque même un agent de la sécurité du ministère qui a failli être embarqué parce qu’il était… noir. Heureusement il a montré son badge à temps. « Ca montre à quel point le problème du contrôle au faciès est omniprésent », conclut Franco Lollia, songeur.

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