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    03/05/2013

    La thésarde de la semaine : Emilie, 30 ans et bac+12

    « Pour l'instant la pile de feuilles fait 8 cm, va falloir que j'élague un peu »

    Par Mathieu Molard

    Chaque semaine sur StreetPress, un thésard tente d'expliquer l'objet de sa recherche. Facile avec Emilie qui étudie la politique des déchets à Garoua et Maroua, Cameroun. L'occasion aussi de parler solitude et problèmes d'argent.

    Qui sont ces amoureux de la fac, prêt à repartir pour au moins 3 ans de plus, après un bac +5 ? Quand toi, t’as la moustache qui frise à l’idée de pondre une dissert’ en trois parties, eux se lancent dans un travail de recherche d’au moins 500 pages. Avec à la fin de bonnes chances d’aller pointer à Pôle emploi.

    13 heures, j’ai rendez-vous sur le parvis de la bibliothèque François Mitterrand, temple des thésards parisiens, avec une spécialiste de la politique des poubelles au Cameroun. Pas sûr que j’aie tout compris. Après avoir esquivé les collecteurs de dons professionnels et leurs k-ways fluos, je tombe sur des vendeurs de « l’Internationaliste ». Je lâche 3 euros au groupuscule marxiste-léniniste et je rejoins Emilie qui m’attend devant le MK2. « J’avais peur d’être en retard, c’est tellement compliqué de s’extraire de l’antre de la bibliothèque. »

    Petite brune de 30 ans, Emilie m’accueille avec un grand sourire avant de me bombarder de questions sur Streetpress. « J’ai vu votre dossier sur le StreetFishing, c’est marrant j’avais pensé suggérer ça comme sujet à des étudiants de licence ». On se dirige vers une sandwicherie, « la seule pas trop chère dans le quartier ». La boulangère salue l’habituée. « Tout le monde me connait, il serait vraiment temps que je finisse ma thèse », lâche-t-elle dans un éclat de rire. Emilie est la première de notre série sur les thésards.

    Il y a des thésards qui disparaissent carrément dans la nature

    Quel est l’intitulé officiel de ta thèse ?

    «Le grand chef doit être comme le grand tas d’ordure» : la gestion des déchets comme arène politique et objet de pouvoir au Cameroun. C’est une étude qui porte sur la gestion institutionnelle et individuelle des déchets du XVIIIe siècle à nos jours dans deux villes au nord du Cameroun: Garoua et Maroua.

    Et tu pourrais nous faire une version « ma thèse pour les nuls » ?

    L’idée c’est de comprendre pourquoi la gestion des déchets est au cœur des enjeux politiques locaux. En gros : pourquoi c’est important d’être le boss des ordures, pourquoi ils se clashent sur la question et comment on peut utiliser les ordures, soit comme une arme, soit comme un moyen de discrimination.

    Ca fait déjà 6 ans que tu bosses dessus, t’es pas en train de nous faire le coup de la thèse sans fin ?

    C’est vrai qu’on essaye de nous pousser de plus en plus vers des thèses en 3 ans. Mais c’est un format qui est adapté aux sciences dures [maths, physique, bio…]. Dans les sciences humaines, tu ne peux pas pondre un truc potable en si peu de temps. L’enquête de terrain est assez longue. Moi j’ai passé au total un an et demi au Cameroun. C’est assez mal vu dans les milieux universitaires si tu y consacres moins de temps. Ensuite il y a tout le travail de recherche, d’analyse et d’écriture. Mon père s’amuse à imprimer tout ce que j’écris. Pour l’instant la pile de feuilles fait 8 cm. Va falloir que j’élague un peu.

    Quand tu es sur ton terrain, t’es un peu seul

    Côté thune ça se passe comment ?

    Dans un premier temps j’ai pu obtenir une allocation de recherche. En gros pendant 3 ans tu es salarié pour faire tes recherches et ça te donne la possibilité d’enseigner 64 heures par an. Au total je gagnais environ 1700 euros net, ce qui n’est pas trop mal. Et ensuite chômage ! Pendant deux ans j’ai bénéficié des allocations Pôle emploi. J’ai eu pas mal de chance, je suis tombée sur une conseillère qui avait fait de la recherche, genre sociologue ratée. Elle était très compréhensive. En deux ans, je n’ai pas eu un seul rendez-vous et elle fermait les yeux sur le fait que je sois à la fois chômeuse et étudiante. Je touchais 1.200€ net par mois, jusqu’à ce mois-ci.

    Là, j’arrive à la fin de mes droits. Je commençais à me dire que j’allais devoir taxer mes parents, ce qui est plutôt humiliant à 30 ans, même si ils sont à fond derrière moi. Mais finalement, je viens d’apprendre que j’avais décroché un poste d’attachée temporaire d’enseignement et de recherche (Ater) pour la rentrée prochaine. C’est un peu comme maître de conf’ en plus précaire.

    On parle souvent de la solitude des thésards. Tu as connu ça ?

    Oui, quand tu es sur ton terrain, t’es un peu seul. Quand j’ai débarqué au Cameroun. J’étais loin de mes proches, pour une longue période, dans un univers où tu ne connais personne. Tu n’es pas rattachée à une université ou une ONG sur place et en plus tu dois te faire violence pour aller parler d’ordure à des mecs qui souvent n’en ont rien à foutre. Et en France, comme on n’a pas de bureau, on travaille depuis chez soi ou à la bibliothèque. Pas top pour la sociabilisation. C’est pour ça que c’est important d’avoir un bon directeur de thèse, attentif à toi. Il y a des thésards qui disparaissent carrément dans la nature : le mec il s’immerge complètement dans son terrain, il se marie sur place et au final on ne le revoit jamais !

    Et la suite ?

    Le premier objectif c’est de rendre ma thèse en octobre pour pouvoir la soutenir d’ici à fin 2013. Ensuite j’ai ce poste d’Ater pour un an, renouvelable. Je vais essayer de trouver un post doc’ ou même dans l’idéal, une place en tant que maître de conf’. Mais il y a beaucoup de candidats et peu d’élus, donc tu postules un peu partout. Tu peux finir à Cherbourg, même si ça ne te fait pas forcément rêver… Sinon, un peu comme tout le monde, je pense adapter ma thèse en livre et j’ai un nouveau projet de recherche autour de la place de la nature dans la ville africaine.


    Emilie, accro aux études

    > Février 1983 : Naissance
    > 1997 : Quitte l’école Steiner – une école parallèle, pour rejoindre un lycée publique
    > Juin 2001 : Bac L option chinois, mention assez-bien
    > Septembre 2001 : tente une prépa littéraire avant de « partir en courant » au bout de deux semaines.
    > 2004 : licence d’histoire à la Sorbonne, « mention assez-bien ou bien je ne sais plus »
    > 2005 : licence d’ethnologie, mention bien à Nanterre
    > 2003 : master 1 en anthropologie avec un mémoire sur la gestion des déchets en Afrique
    > 2004 : master 2 toujours en anthropologie avec un mémoire intitulé « le tas d’ordure comme objet de pouvoir en milieu urbain »
    > 2007 : début de sa thèse
    > Octobre 2013 : rend sa thèse (Inch’Allah !)

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