En ce moment

    30/09/2013

    Une série sur les commerces parisiens qui ont eu plusieurs vies

    De Julien Coupat aux pâtes à emporter : Les 6 vies du 18 Saint-Ambroise

    Par Benjamin Bultel

    Au-dessous du 18 rue Saint-Ambroise (Paris 11e), trône l'enseigne « Au Vouvray » : Depuis 50 ans, elle résiste aux propriétaires, de Julien Coupat aux entrepreneurs du fast-food.

    Rue Saint-Ambroise – Paris 11e. A la pause de midi, les étudiants de l’ESG Paris fument des clopes devant le bâtiment tout en baies vitrées de leur école de commerce. Certains mangent des Tupperware, d’autres se rendent à un magasin de restauration rapide de l’autre côté du trottoir.

    « Elgi » propose des jolies salades, des pâtes ou des bagels à composer soi-même pour un prix pouvant aller jusqu’à 9 euros. Le fast-food classy est un des 7 établissements de la chaîne parisienne. La déco de ce Subway version bobo est dépouillée, tout en blanc.

    Mais au-dessus de la porte, une enseigne très vieux Paris « Au Vouvray » détonne. Car avant de servir de cantine aux wannabees yuppies, « Au Vouvray » a eu plusieurs vies. On y croise des illustres militants de milieu autonome mais aussi des restaurateurs et des entrepreneurs.

    > Le restaurant : 1959 – 1997

    Le plus loin que nous avons pu remonter dans le passé, c’est en 1959, date à laquelle la restauratrice Henriette Val et son mari ont ouvert leur commerce. Jointe par StreetPress, cette vieille dame de 87 ans se souvient:

    « On a repris le restaurant à des Italiens en 1959. On était monté à Paris pour trouver du boulot, parce que là-bas, en Corrèze, il n’y en avait pas ! »

    Pendant presque 30 ans, Henriette et son mari tiennent la brasserie, « un lieu très ordinaire qui fait le cuisine simple » et ouvert « que le midi. » Leur clientèle ? Des artisans et des ouvriers surtout, « des métallos » qui triment dans les usines de ferraille du quartier Saint-Ambroise. Le commerce tourne bien, ils peuvent acheter les murs du restaurant. Jusqu’en 1988 où, à la retraite, ils mettent en location le fonds de commerce et retournent couler leurs vieux jours dans leur Corrèze natale, à 50 bornes de… Tarnac !

    Le nouveau restaurateur garde l’enseigne « Au Vouvray ». Les Val, eux, se servent de l’appartement qu’ils ont au-dessus comme pied-à-terre parisien.

    > La baraque à frites : 1997 – 1999

    En 1997, le Vouvray est repris par un commerçant qui le transforme en un snack « qui ne fait que des frites », se souvient Jean-Paul Gaillard. Ce sexagénare tient l’agence immobilière contiguë. 22 ans qu’il vend et loue des appartements dans le quartier, alors tous les locataires qui se sont succédés au 18, il les connaît. « Avec les frites, il voulait clairement séduire les étudiants de l’école de commerce. » Mais au bout de deux ans, le commerce capote. À croire que les étudiants en école de commerce n’aiment pas les frites. « Le tenancier ne nous a même pas payé les derniers loyers », se plaint Henriette Val. Le taulier, lui, est mort « il y a quelques mois ».

    > Le spot de Julien Coupat : 1999 – 2006

    En 1999, les Val décident de vendre les murs du restaurant et leur appartement. Le loft est acheté par un couple. Quant au local, il est acquis par la famille Coupat. Les Val n’entendront plus parler de la rue Saint-Ambroise avant novembre 2008 : « Ça nous a fait tout drôle quand on a vu le nom de Coupat dans les journaux », admet Henriette Val.

    Julien, le fils âgé de 25 ans à l’époque, transforme le resto en lieu de rencontres et de débats politiques. L’endroit sert aussi de rédaction pour sa revue Tiqqun. « Ce n’était pas affiché à l’extérieur, on rentrait par connaissance », croit savoir l’agent immobilier et voisin Jean-Paul Gaillard. « Parfois, des gens attendaient deux heures sur le trottoir que quelqu’un arrive pour entrer ». Un lieu certes discret mais qui donne sur la rue. On est loin d’être la « cellule invisible » vendue par le procureur de Paris au moment où éclate l’affaire Tarnac. Coupat y habitera jusqu’à son déménagement à Tarnac, en 2006.

    > La libraire anarchiste : 2006 – 2008

    Le lieu vit alors une transition en douceur avec l’arrivée de « Jargon libre, » une librairie anarchiste tenue par Hellyette Bess, ancienne membre d’Action Directe, le groupe armé autonome des années 80.

    En 2006, « Julien venait de déplacer la bibliothèque de Tiqqun à Tarnac et il m’a dit que si je voulais, je pouvais prendre le local ». Aujourd’hui installée rue Chevreau, dans le 20e à deux pas de la petite ceinture, Hellyette Bess parle de sa rencontre avec Julien Coupat, « à l’époque du mouvement des chômeurs ». Du local de la rue Saint-Ambroise, elle se souvient des « murs blancs, pour réfléchir la lumière, de la photocopieuse dans un coin et puis une table, avec des ordinateurs en accès libre ». Le sous-sol est aménagé pour accueillir des militants de passage. « On n’avait rien touché sur la façade », raconte Hellyette, « il y avait toujours l’enseigne, “Au beaujolais nouveau”, je crois. » Quand on lui fait remarquer qu’il s’agit du « Vouvray », la réplique fuse: « Oui bah, c’est un vin quoi!» Si la bibliothèque est connue, le public ne se presse pas : « C’était surtout des copains qui venaient ».

    La bibliothèque restera rue Saint-Ambroise pendant deux ans. Avant que « la surveillance policière ne devienne trop lourde ». « De toute façon, moi, au “Jargon libre”, j’ai toujours vu une surveillance policière. Ça va du gars qui fait le pied de grue au coin de la rue au mec toujours attablé au café », se marre Hellyette. Début 2008, Coupat décide de mettre le local en location. En attendant de trouver un autre lieu, les livres et le mobilier « sont entreposés dans un box ».

    > La papeterie : 2008 – 2011

    Une librairie-papeterie investit alors le 18, rue Saint-Ambroise. Mais l’entrepreneur fait faillite en 2011. Au moment opportun selon Jean-Paul Gaillard, puisque les Coupat veulent vendre : « Ils n’avaient plus aucune raison de garder le local. Et je pense que l’enquête, les avocats, tout ça, ç’a dû coûter de l’argent. »

    Quant à l’enseigne « Au Vouvray » qui trône toujours au-dessus du commerce et qui n’a pas bougé, seule Henriette Val se souvient de son origine :

    « C’est assez simple : le propriétaire avant les Italiens, et donc avant nous, était originaire de la région. »

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER