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    02/05/2017

    « Tout le monde déteste le FN »

    Pharrell Williams, paillettes et cocktails molotovs, c'était le défilé du 1er mai

    Par Alice Maruani

    République – Bastille – Nation. Ils étaient lycéens, syndicalistes, citoyens ou black blocs. StreetPress raconte son 1er mai avec eux.

    13h50 : « Tout le monde déteste le FN »

    Maïa, 16 ans en terminale L dans un lycée parisien, est arrivée en avance. Elle a l’habitude des manifestations depuis les mouvements contre la loi travail. Avec son copain à la veste en jean customisée et à la barbe encore clairsemée, ils rejoignent des potes au métro Belleville. L’idée est de former un cortège lycéen en tête de la manif.

    « Moi je suis là pour dire à ceux qui ont l’âge de voter de faire barrage au FN. C’est ça le danger aujourd’hui », explique-t-elle posément. Son pote Shamps n’a pas l’air d’accord. Les deux bras dans le plâtre après un accident, il gueule, à moitié ironique « ni Le Pen, ni Macron, ni aucun parti, on est en lutte ».

    Ils sont une quarantaine au milieu du carrefour quand Gaëtan, un grand gars à la gabardine bleue, sonne le départ « On va y aller en mode balade, on veut pas se faire nasser direct.»

    Un groupe tente de lancer un « Tout le monde déteste le FN ». Ca ne prend pas. Paul, au téléphone, rigole : « On marche au milieu de la rue en silence c’est un peu le malaise. »

    14h20 : Répu est remplie mais pas bondée

    Arrivée à République, la place est remplie. Mais pas bondée malgré le nombre de groupes différents qui se sont rejoints (manifestants anti-FN, syndicalistes, membres de partis politiques…).

    Maïa et ses potes optent pour un sandwich vendu par des marxistes turcs. Le cortège est en place, les syndicats (CGT et FO) forment le gros des troupes. Une partie des lycéens se faufilent pour rejoindre la tête du cortège, un millier de personnes en noir, avec foulards, casques et lunettes de plongée pour certains. A 15h, la queue de cortège, avec la communauté Kabyle et ses drapeaux, commencent doucement à se mettre en route.

    15h06 : un policier brûle

    Pendant ce temps là, boulevard Beaumarchais, un policier brûle. Il s’est enflammé suite à un jet de cocktail molotov.


    Camille, barbe rousse et veste de costard décontracté, a vu toute la scène, et il en a eu le souffle coupé. Il venait de se faire offrir un masque par un « médic », un manifestant dont le job est de prévenir et soigner les blessures de guérilla urbaine. Heureusement, parce que ça gaze sec. Il porte ses lunettes de piscine mais ça ne l’empêche pas de tousser.

    Dans le cortège de tête ils sont environ un millier de jeunes environ tout de noir vêtus, prêts à avaler de la lacrymo. Ils sont partis très vite, s’éloignant de la manifestation et sont presque arrivés au cordon de sécurité de l’avant de manif’. Après un des premiers cocktails molotov qui ont grièvement blessé et brûlé au visage le policier, ça a dégénéré :

    « C’est parti en couilles, tirs de grenade, gaz, coups de matraques, le truc habituel ».


    Le cortège de tête est tout de suite coupé en deux par un barrage. Clément est du côté du cortège syndical. Il tente de rejoindre ses « compagnons de lutte » mais finit par baisser les bras en regardant les CRS encercler les manifestants en noir, place de la Bastille.

    15h15 : « Happy » de Pharell Williams à plein tubes

    Boulevard du Temple, la manifestation se déroule dans le calme et la bonne humeur. Personne n’a entendu parler des heurts en tête de manif’. Le cortège anti-FN passe Happy de Pharell Williams.

    Sy, grand gars de 28 ans, style passe-partout en blouson noir à peine relevé par une discrète chaîne en or, agite une affiche « Marine Le Pen, nazie » :

    « Marine Le Pen est comme son père, quand tu coupes un arbre il reste les racines. »

    Ce sénégalais d’origine a été naturalisé français récemment : « J’ai peur pour moi et mes amis qui ne sont pas Français. Déjà qu’on n’est pas considérés comme des Français, que c’est impossible de trouver du boulot hors du bouche-à-oreille, ça va être pire. Je vais tout perdre et je veux pas ça. »

    Sy montre le cortège :

    « Regarde là c’est la France qu’on aime, qui est unie, black blanc ou beur on s’en fout ! »

    15h30 : Ça pique les yeux

    A Bastille, 500 manifestants environ sont toujours bloqués. CRS devant, CRS sur les côtés. Il faut reculer. Céline, étudiante équipée d’un keffieh violet et d’un masque de plongée orange ne veut pas céder face aux lacrymos qui fusent de partout : « On attend nos amis, on attend la manif principale ». Mais ça pique fort.

    Certains essayent d’échapper aux gaz sous les marches qui longent l’Opéra, mais se font rapidement déloger. Les blacks blocs sont obligés d’avancer dans l’avenue Daumesnil. Une dizaine s’enferment sur une passerelle, en hauteur. Les CRS, en mode commando, arrivent pour les déloger mais impossible de grimper, la porte de l’escalier est bien refermée.


    15h50 : « la trouille que Marine passe »

    Plus de bière ni de Ricard à Bastille. Brice, infirmier et habitué des manifs, vient de rejoindre la manifestation après un resto (« on a triché »). Mais il a soif : « Franchement la CGT c’est plus ce que c’était ». Laure, 28 ans, est déçue aussi, mais pour une autre raison :

    « Les gens tirent la gueule en fait. Nous on essaye de rigoler, d’être positifs ! »

    Elle et ses amis ont préparé des affiches anti FN à base de « free hugs » « fion national » et « Marine suce des boucs »… N’empêche qu’elle a « la trouille qu’elle passe ».

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    Laure et ses potes se sont donnés pour trouver des slogans "rigolos". / Crédits : Alice Maruani

    16h05 : Thomas a perdu sa chaussure

    Les CRS rouvrent les vannes et une partie des manifestants en noir du « cortège de tête » retournent à Bastille par la rue de Lyon.

    Les affrontements continuent avec les derniers irréductibles de la place. Thomas se prend un chassé par un policier et il perd sa chaussure, avant que les flics ne le laissent sortir. Assisté d’un pote « médic », il boite jusqu’à un banc d’une rue adjacente et s’assoie « pour attendre une voiture ». Pour lui aussi la manif est finie. Pas pour le médic :

    « j’y retourne, y a encore des gens à soigner. »


    16h30 : merguez vs. activistes vegans

    Le cortège principal arrive rue Daumesnil. Dans une forte odeur de merguez, les vegans antispécistes scandent « liberté pour les animaux aussi ». Les pinkblocs, shorts roses et oreilles de lapins pour quelques uns, paillettes pour tous, sont une centaine à être mobilisés.

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    Le cortège du pinkbloc mettait de la couleur dans la manif'. / Crédits : Alice Maruani

    Léo, un américain de 23 ans, avait manifesté contre Trump, et il le fait aujourd’hui contre Le Pen.

    17h : la chasse aux abstentionnistes est ouverte

    Thomas est énervé. Veste en cuir clair et longs cheveux bouclés, il s’est fait vilipender par des manifestants qui l’ont traité d’irresponsable. Il brandit un carton « Le 7 mai, abstention ». Il a manifesté contre la loi travail, et la loi Macron. Pas question de mettre un bulletin Macron dans l’urne dimanche prochain :

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    Léo s'abstiendra le 7 mai, mais il ne "prône pas l'abstention" pour autant, nuance-t-il. / Crédits : Alice Maruani

    « Franchement, je pensais qu’il y aurait plus d’abstentionnistes que ça. On est le 1er mai, fête du travail, et tous les deux sont contre les travailleurs. J’en ai marre qu’on nous appelle à faire barrage au FN pour cautionner une politique ultra-libérale. »

    Au loin, chez Lutte Ouvrière, on crie « Le Pen, Macron, deux façons de servir les patrons ».

    Béatrice, metteure en scène de 58 ans, va voter contre Le Pen sans hésiter : « Aujourd’hui on manifeste contre le FN, le 8 mai, on sera dans la rue contre Macron ». Béatrice trouve que la manif’ est bien sympa, mais qu’il n’y a pas foule, « moins que pour Charlie Hebdo, moins qu’en 2002. C’est dommage. Les jeunes n’ont plus confiance en la démocratie. Ils ont moins peur du fascisme ».

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    Béatrice et sa fille Leelou manifestent ensemble derrière le cortège CNT. / Crédits : Alice Maruani

    Leelou, sa fille, punkette de 19 ans, dreadlocks colorés et pantalon bicolore jaune et noir, abonde : « Macron et Le Pen c’est comme une bonne diarrhée ou le sida, c’est vrai que c’est dur de savoir quel est le pire ». Mais elle votera comme sa maman.

    Le camion anti-FN passe à fond I Follow Rivers, et ça danse.

    17h45 : « Marine, la pire des racistes »

    Camille est épuisé. Il est resté en tête de cortège tout du long, « Ca a pas arrêté de se castagner. » Ses potes qui étaient tranquillement en queue de cortège l’ont rejoint à Nation. Ils se posent tous sur la place avec des canettes de bières. Dans l’herbe, on souffle.

    Ahmed, jeune syrien de 20 ans, arrivé à Paris il y a un an, range ses drapeaux franco-syriens en priant pour le FN ne passe pas dimanche :

    « Marine Le Pen déteste les réfugiés, c’est la pire des racistes.»

    19h : Métro, dodo.

    Dans le métro à Nation, au milieu des odeurs de graille, certains essayent de gruger sous les yeux des gars de sécurité RATP : « Oh on est invisibles ou quoi ? » Une manifestante rétorque : « Ca devrait être gratuit, c’est le 1er mai, c’est la fête des travailleurs ! »

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