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    10/12/2019

    « Il n’est quasiment jamais porté ou caché sous les équipements »

    Pourquoi les policiers ne portent pas leur matricule RIO obligatoire ?

    Par Mathieu Molard , Yann Castanier

    En manif, très peu de policiers arborent leur matricule RIO. Les syndicats de force de l’ordre invoquent un matériel inadapté. D’autres voix pointent une volonté d’échapper aux enquêtes.

    Des volutes de lacrymogène couvrent la Place de la République. La situation est confuse. Un cordon de policiers harnachés barre la rue Léon Jouhaux. Leurs matricules RIO (Référentiel des identités et de l’organisation) est invisible. Ce numéro à 7 chiffres, propre à chaque fonctionnaire, est pourtant obligatoire. Sauf qu’en maintien de l’ordre, « il n’est quasiment jamais porté ou caché sous les équipements », observe Nicolas Krameyer, responsable du programme Libertés à Amnesty International. En cas d’incident ou de possible manquement au règlement, ce code doit permettre une identification plus facile des fonctionnaires mis en cause. Et ce jeudi 5 décembre, des incidents il y en a eu.

    Un peu avant 17h, ce groupe de fonctionnaires déclenche une charge. « Dégagez, dégagez », lance l’un d’eux en guise de sommation. On décampe à petites foulées, tout en longeant le mur pour éviter de se retrouver pris en étau entre les policiers et les manifestants les plus virulents. Un bruit sourd retentit. Mes oreilles sifflent. Je tourne la tête vers le confrère journaliste qui m’accompagne. Il est à l’arrêt et se tient le pied en grimaçant. Une grenade vient de lui exploser sur la chaussure. Quelques heures plus tard, il a le pied enflé mais, heureusement, pas de blessure grave. Ce jour-là, de nombreux manifestants et 25 reporters venus couvrir les manifestations, selon le collectif REC, ont été blessés. Mustafa Yalçin, photojournaliste de l’agence turque Anadolu, a notamment perdu 90 pourcents de la vision d’un oeil suite à un tir de grenade. Plusieurs d’entre eux envisagent de porter plainte.

    L’espoir de voir toute la lumière faite sur les circonstances de ces blessures est pourtant plutôt mince. À Paris, depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, 212 enquêtes ont été confiées à l’IGPN, la police des polices. 138 ne sont pas terminées ou sont encore en cours d’analyse au parquet de Paris, rapporte Libération. Sur les 74 procédures restantes, 18 ont entraîné l’ouverture d’une information judiciaire. Les autres ont été classées sans suite. Dans un peu moins d’un quart des cas (12 sur 56), l’IGPN explique ce classement sans suite par l’impossibilité qu’elle a d’identifier le ou les fonctionnaires.

    À quoi sert le RIO ?

    Pour Yves Milla, secrétaire zonale du syndicat Unsa Police, le port (ou non) du RIO est un « faux débat » : « Il existe de nombreux autres moyens d’identifier des fonctionnaires ». Il juge la mesure démagogique. « C’est de la calinothérapie politique pour faire plaisir à certaines associations », tacle-t-il, rappelant le contexte de sa mise en oeuvre, sous la précédente mandature. François Hollande, candidat, avait promis les récépissés en cas de contrôle d’identité. Une mesure visant à lutter contre les contrôles au faciès. Promesse non tenue. À la place, en 2014, Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, sort de son chapeau une réforme du code de déontologie des forces de l’ordre : vouvoiement obligatoire et port de ce fameux numéro RIO.

    Dire que le RIO est inutile, serait pourtant aller un peu vite en besogne. « J’ai plusieurs dossiers où, malgré la présence de vidéos, on n’arrive pas à identifier les policiers », témoigne l’avocat Arié Alimi, qui défend de nombreux Gilets jaunes. Et de citer à titre d’exemple les violences commises par des CRS dans un Burger King. Le 1er décembre 2018, une trentaine de manifestants fuient les lacrymogènes et se réfugient dans le fast food de l’avenue de Wagram. Plusieurs CRS s’engouffrent derrière eux et matraquent les Gilets jaunes, sous l’oeil d’une caméra.

    L’affaire fait grand bruit. L’IGPN conclut à des violences « qui ne semblaient pas justifiées », mais se déclare incapable d’identifier l’ensemble des fonctionnaires impliqués. « Est-ce-qu’il y a d’autres moyens de les reconnaître ? Sans doute. Mais en attendant, si leur RIO était visible, la procédure n’en serait pas là », grince Maître Alimi, avocat de deux parties civiles dans ce dossier. Et de conclure :

    « On voit des policiers qui en début de manifestation retirent leur RIO. Ca montre qu’ils ont conscience des violences qu’ils vont commettre. »

    Pas vraiment de sanction

    « Je ne crois pas ça. Mais face aux nombreuses procédures menées contre des fonctionnaires, certains pensent peut-être qu’ils s’évitent ainsi des tracasseries administratives », reconnait Denis Jacob d’Alternative-Cfdt Police. « Après si certains ne le portent pas c’est aussi qu’ils ont peur de se le faire arracher en manifestation. » Yves Milla de l’Unsa Police met en avant un autre motif pratique : « il n’y a pas d’emplacement prévu à cet effet sur les équipements de maintien de l’ordre. Ils le portent mais en dessous. »

    Amnesty international avait interrogé l’IGPN à ce propos. « On nous avait répondu que ça coûtait trop cher de changer les équipements », rembobine Nicolas Krameyer. Un argument qui ne le convainc pas vraiment. « Ca démontre que le pouvoir public tolère l’absence de RIO, ce qui peut laisse penser qu’il y a une forme d’impunité policière. En réaffirmant son caractère obligatoire, le ministère contribuerait à rétablir la confiance. » Interrogé, le Service d’information et de communication de la police nationale (Sicop) assure pourtant que des sanctions peuvent être prises (un blâme) contre les fonctionnaires qui refuseraient, de manière répétée, le port de ce matricule. « Mais comme c’est géré à l’échelon local, impossible de donner des chiffres. » Avant de reconnaître que dans une période où les policiers sont fortement mobilisés, certains gradés « peuvent remettre le sujet à plus tard. C’est du management… »

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