« On était quatre auto-entrepreneurs à travailler dans ce Monoprix (1) », rembobine Etienne (2). Le jeune homme de 20 ans a besoin d’argent. Alors qu’importe le job ou le contrat, quand il voit passer l’annoncer sur le site StaffMe, il postule. « Moi ça me faisait des sous », commente-t-il, laconique. Pendant une semaine, alors que la France vient d’être confinée, Etienne est envoyé en « première ligne ». Son job : remplir les rayons du supermarché. Horaires fixes, tâches imposées et rémunérations non-négociables, l’activité a tout d’un travail. Sauf le contrat.

Sur son site, Staffme vante un service qui « vous libère des formalités administratives liées au contrat, à la facturation et au paiement » et « un tarif attractif ». / Crédits : DR
StaffMe met en relation de jeunes auto-entrepreneurs (c’est réservé aux moins de 30 ans) avec des entreprises susceptibles de faire appel à leurs services. Accueil, vente, manutention,… L’appli’ fournit des petites mains à moindre coût. Sur son site, elle vante un service qui « vous libère des formalités administratives liées au contrat, à la facturation et au paiement » et « un tarif attractif (…) à partir de 16,50 euros de l’heure ». Certaines annonces diffusées uniquement dans des espaces privés, que Streetpress a pu consulter, semblent même offrir une rémunération inférieure. Ainsi, il est proposé une « mission vente en boutique à Argenteuil (95100) du Lundi 16/03 au Samedi 21/03 mars pour 13,20 euros/h soit 462€ au total », suivie d’une émoticône billets qui volent… Une rémunération proche du Smic (une fois les charges et cotisations déduites). De bien belles promesses que nous aurions aimé évoquer avec les fondateurs de cette startup, mais nos appels et SMS sont restés sans réponse.
Casino et Leclerc s’y mettent aussi
La semaine dernière, StreetPress épinglait l’enseigne Franprix (3) pour des pratiques similaires. Le responsable d’un Biocoop raconte à StreetPress avoir lui aussi été démarché par une entreprise qui lui a « proposé des auto-entrepreneurs ». Une offre qu’a déclinée ce patron pour des raisons éthiques. Des principes dont ne s’embarrassent pas certains de ses concurrents. Selon une enquête très bien documentée du magazine Marianne, Casino (1) mais aussi Leclerc font également appel à des auto-entrepreneurs en cette période de crise.
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Une pratique qui inquiète les salariés du secteur. « Ça va créer des précédents. Ils ont commencé par nous remplacer par des caisses automatiques. Maintenant, c’est des auto-entrepreneurs pour remplir les rayons. C’est quoi la suite du programme ? », s’étrangle Sophie (2) employée du groupe Casino en Seine-Saint-Denis (93). Et de conclure dans un soupir :
« Ils font des tweets pour nous dire merci. Ils peuvent : on prend les risques, eux, ils empochent. Faire appel à des auto-entrepreneurs maintenant, c’est vraiment immonde. »
À l’issue de sa prestation comme auto-entrepreneur, Etienne s’est vu offrir un CDD d’une semaine pour effectuer la même mission. Une bonne nouvelle pour lui, qui – cependant –, selon un juriste, démontrerait le caractère probablement illégal de la première mission. À l’issue de cette seconde semaine, le jeune homme ne s’est pas vu proposer de prolongation de son contrat. Quelques jours plus tard, dernier SMS d’Étienne :
« Bonjour, j’ai reçu mon salaire de la semaine [pour son CDD, ndlr], il est de 298,44€, il ne contient donc pas la prime offerte aux salariés. »
Il n’y a pas de petites économies…
(1) Monoprix et Franprix appartiennent au groupe Casino.
(2) Le prénom a été modifié.
(3) Au lendemain de la publication de notre article, Franprix prenait l’engagement de renoncer aux entrepreneurs.
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