En ce moment

    25/03/2021

    La direction est mise en cause

    Plusieurs rapports internes à l’ONG Aides décrivent un contexte de « violence généralisé et plus particulièrement de nature sexuelle »

    Par Marc Faysse , Aurelie Garnier

    Un cabinet indépendant qui a étudié les conditions de travail au sein de l’association Aides tire la sonnette d’alarme : viols, agressions sexuelles… « Une escalade inquiétante des faits rapportés, justifiant un signalement au procureur ».

    Les agressions sexuelles et les faits de harcèlement sexuel à l’oeuvre chez Aides sont manifestement plus graves que ce que nous imaginions. Fin janvier, StreetPress publiait un article détaillant la « culture du viol » à l’oeuvre au sein de l’ONG, vaisseau amiral du militantisme gay et de la lutte anti-VIH. Dans la foulée, la direction de Aides nous a fait parvenir un droit de réponse et le président de Aides a donné une interview au magazine Têtu. Dans cet entretien, titré : « Ce n’est pas la réalité », il évoque des « faits (qui) remontent aujourd’hui à une dizaine d’années et (qui) ont été traités, par des licenciements et des radiations de l’association. » Une manière de renvoyer la balle à l’ancienne direction et minimiser le problème. En interne, certains salariés ont vu rouge. L’un d’eux nous a contactés :

    « Suite à l’interview mensongère d’Aurélien Beaucamp, je vous transmets plusieurs documents attestant de la réelle situation des violences sexistes et sexuelles que nous subissons au sein de l’association Aides. Je suis fatigué. »

    En pièce jointe plusieurs rapports internes menés par le cabinet indépendant Alteo (1). L’un d’entre eux, le plus récent, est daté de janvier 2021. Une autre source nous a fait parvenir plusieurs comptes rendus de réunion du Conseil social et économique (CSE). Des documents accablants qui révèlent chez Aides des faits d’agressions sexuelles et de harcèlement sexuel bien plus massifs et bien plus graves que ce que nous décrivions dans notre premier article.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/capture_decran_2021-03-23_a_22.12.17_1.png

    L'expertise d'Alteo estime que les salariés d'Aides vivent depuis plusieurs mois dans un « contexte très pathogène, voire dangereux » et dénote des « faits très graves ». / Crédits : DR

    L’un de ces documents détaille les réponses données par les salariés à un questionnaire. 67% des 467 employés sollicités ont répondu à l’enquête et dressent un tableau apocalyptique des conditions de travail. « Les faits exposés dans les réponses au questionnaire sont d’une exceptionnelle gravité et constituent en grande partie d’entre elles des infractions pénales », résument les auteurs du rapport :

    « Ce constat est un aveu de violence généralisé et plus particulièrement de nature sexuelle ».

    Dans le détail, 11% des répondants travaillant au siège mais surtout 38% des salariés présents sur les lieux de mobilisation – donc au contact du public – assurent avoir subi une agression sur leur lieu de travail. La litanie des violences évoquées est dramatique : « injures sexistes, racistes et homophobes », « menaces voires menaces de mort », « pressions », « vols », « exhibition sexuelle », « harcèlement sexuel », « agissements sexistes », « agressions sexuelles ». Deux répondants disent même avoir été victime de viol.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/streetpress_aides2_illustration1_1.jpg

    Plus d'un tiers des salariés au contact du public assurent « avoir subi une agression sur leur lieu de travail ». / Crédits : Aurélie Garnier

    Des faits d’une telle gravité que le cabinet recommande, fait rarissime, d’alerter la justice :

    « Nous sommes face à une escalade inquiétante des faits rapportés, justifiant un signalement au procureur. »

    De nombreuses agressions sont le fait d’usagers, extérieurs à l’association, mais pas uniquement. « Concernant les agressions sexuelles, les volontaires sont les plus fréquemment mis en accusation. Pour autant, quatre salariés sont cités et trois responsables hiérarchiques ».

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/capture_decran_2021-03-23_a_22.14.21_1.png

    Dans sa synthèse, le cabinet Alteo liste les faits : « injures sexistes, racistes et homophobes », « menaces voires menaces de morts », « exhibition sexuelle », « harcèlement sexuel », « agissements sexistes », « agressions sexuelles ». Deux répondants disent même avoir été victime de viols. Fait rare, Alteo a préconisé d'alerter la justice. / Crédits : DR

    StreetPress a décidé de publier en intégralité le dernier rapport d’Alteo. Il ne met en cause nominativement personne mais détaille les dysfonctionnements graves. Vous pouvez le consulter ici.

    Point 1 – Alteo Jds by Garnier on Scribd

    Une hyper-sexualisation des échanges

    L’agression sexuelle est décrite par les rapports comme régulière et banalisée. « Il n’arrêtait pas de me toucher le sexe pendant qu’on travaillait alors que je lui disais d’arrêter » ou : «Il a mis la main dans mon caleçon, je suis parti». Un autre témoin raconte :

    « Un volontaire a proposé plusieurs fois à un jeune homme de l’argent contre du sexe. Il m’a dit que c’était pour l’aider. Le jeune homme n’ose plus revenir. Mais on ne fait rien. »

    Dans le cas des volontaires, les témoins déplorent une culture de l’impunité. L’un implore : « Il faut que les agressions sexistes cessent de la part des volontaires qui ne craignent rien puisqu’ils ne sont jamais ou presque sanctionnés. » Un autre insiste : « Impossibilité de faire valoir ses droits quand l’agresseur est un volontaire. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/streetpress_aides2_illustration2_1.jpg

    « Un volontaire a proposé plusieurs fois à un jeune homme de l’argent contre du sexe. » / Crédits : Aurélie Garnier

    Culture du viol

    Alteo décrit aussi l’hyper-sexualisation des échanges entre salariés. Un témoin interrogé par le cabinet raconte :

    « Il nous a envoyés sur notre boucle WhatsApp des photos du pénis de son compagnon. »

    Le sexe est très présent dans les discussions, dans un contexte pourtant professionnel. « Vous avez le droit à toutes les histoires sexuelles des uns et des autres [et] tout le dégoût qu’ils peuvent éprouver pour les relations hommes/femmes », témoigne un salarié. À cela s’ajoute « un ADN Aides portant sur la drague lourde », comme ce témoignage :

    « J’ai dit à mon N+1 qu’il faisait froid dans la salle de réunion, il m’a répondu : “On a qu’à baiser.” »

    Les propos problématiques sont souvent lancés « sur le mode de la blague » et sous les yeux de plusieurs personnes. Mais le ton plus ou moins humoristique « ne change en rien la gravité et l’atteinte potentielle qu’il provoque chez les victimes », note Alteo.

    Au fil des pages, il est régulièrement évoqué une « culture Aidienne favorable à la minimisation des agressions et du harcèlement ». Il est décrit un ensemble de comportements et d’attitudes partagés qui minimiseraient, normaliseraient voire encourageraient le viol. Comme StreetPress l’écrivait, il existe donc bien une culture du viol chez Aides. Alteo insiste notamment sur le fait que, si les agressions sexuelles sont un fait social global, « leur survenue est favorisée par des environnements spécifiques et peut être prévenue dans ces espaces. »

    À LIRE AUSSI : Culture du viol chez Aides, 15 salariés de l’ONG brisent l’omerta

    La direction dans le déni

    Toujours selon ces documents, la direction de Aides n’est pas à la hauteur des enjeux. « Le cabinet Alteo a réalisé deux expertises pour risques graves en 2018 et 2020. Les deux rapports relataient des faits très graves. Nous considérons que la situation se dégrade au fil de nos interventions. (…) La direction est donc au courant depuis plusieurs mois voire plusieurs années », tacle le cabinet qui parle d’une « escalade » de la violence (2).

    Les représentants des salariés réunis au sein du comité social et économique (CSE) font le même constat. « Les plans de prévention ne suffisent pas à endiguer les risques gravissimes au sein de l’association », peut-on ainsi lire dans le procès-verbal du CSE en date du 28 janvier 2021, à la page 9. Selon eux, « les plans de prévention contre les addictions et de lutte contre les violences sexuelles et sexistes ne suffisent pas à endiguer les risques gravissimes au sein de l’association » :

    « Ces plans peinent à être mis en œuvre et n’avancent que par coups de pression de la part du CSE. »

    Car la direction de Aides refuse d’assumer sa part de responsabilité. Confrontés aux questions des experts du cabinet Alteo, les dirigeants de l’association ont fait la même réponse qu’à StreetPress, la même que dans Têtu :

    « Ce sont des sujets qui ne concernent pas Aides en particulier. On vit dans une société où les rapports de domination existent. »

    Un recours au contexte général bien confortable, dénoncé dans les rapports indépendants :

    « La direction semble être dans le déni ou l’indifférence des situations de souffrance au travail, renvoyée aux individualités ou opportunément mise sur le compte du recrutement communautaire. »

    Alteo déplore que les problématiques d’agressions et de harcèlement soient « systématiquement réduites à des responsabilités personnelles ».

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/streetpress_aides2_illustration3_1.jpg

    « La direction semble être dans le déni ou l’indifférence des situations de souffrance au travail. » / Crédits : Aurélie Garnier

    La direction de Aides a, vis-à-vis de StreetPress tenu cette ligne jusqu’à ce que nous l’ayons informé que nous possédions ces différents rapports, le 23 février dernier.

    Confrontée à ces documents, l’association a en partie modifié son discours et demandé de manière insistante le report de la publication de cette enquête afin de ne pas nuire à une campagne imminente. Une requête qui pourrait démontrer que l’ONG a parfaitement connaissance du problème et qu’elle a sciemment tenté de dissimuler la gravité de la situation. Mais conscient de l’importance des actions menées par Aides, StreetPress a cédé et décalé de trois semaines la publication.

    Nous avons prévenu la direction que nous détaillerions sa demande et demandé un entretien avec la direction, avant la publication. Au cours de cet échange Marc Dixneuf – délégué général – et Olivier Benoît, – directeur des Ressources Humaines et Militantes – ont reconnu certains problèmes tout en insistant encore et toujours sur le contexte de libération de la parole qui favorise l’émergence de ces récits :

    « Il y a des agressions sexuelles chez Aides comme dans le reste de la société, la spécificité chez Aides est que nous avons choisi de regarder le problème en face. »

    Au cours de l’entretien, la direction a également mis en avant les différentes actions de prévention mises en place pour lutter contre ces comportements. Un programme aurait été pensé dès 2018 mais il aurait pris pas mal de retard. C’est en fait depuis la remise du dernier rapport d’Alteo et la publication de notre première enquête que les choses se sont véritablement mises en place. La direction assure organiser pour 2021 une série de réunions en petit comité au cours desquelles les salariés se verront présenter un film de sensibilisation à la lutte contre les violences sexuelles ainsi que les dispositifs internes de prévention.

    « Changer une culture d’association prend du temps, nous mettons tout en oeuvre pour que chacun des salariés en poste actuellement puisse assister à l’une de ces réunions. »

    Concernant les deux témoignages évoquant un viol, la direction explique avoir écrit au procureur de la République.

    (1) StreetPress s’est procuré le rapport Altéo sur la politique sociale de Aides présenté en janvier 2021, le rapport d’Expertise CSE d’Aides relative à un risque grave sur la région Grand Est présenté par Altéo à l’automne 2020, le procès-verbal de la réunion du CSE d’Aides datée du 29 janvier, ainsi que le mail envoyé par le CSE aux salariés d’Aides suite à la parution de notre enquête.

    (2) La direction conteste une telle « escalade », jugeant qu’elle n’était pas basée sur des données précises et fiables.

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER