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    21/12/2021

    Elle veut moins d'immigrés... et moins de journalistes

    Depuis Mayotte, Marine Le Pen parle immigration pour faire peur aux métropolitains

    Par Cyril Castelliti

    Marine Le Pen n’a eu de cesse de répéter que « Mayotte, c’est notre futur » pointant des politiques migratoires « laxistes ». La candidate RN veut toujours plus d’expulsions. Même de journalistes : l’auteur de ces lignes s’est fait virer de sa tournée.

    L’événement de ce 18 décembre est annoncé en grande pompe depuis plusieurs jours déjà. La réunion publique aurait dû avoir des allures de grand meeting populaire. Mais en cette après-midi ensoleillée à Mayotte, la foule qui accueille Marine Le Pen sur la place de République de Mamoudzou, n’est guère impressionnante.

    Parmi les badauds, Nadjib, étudiant mahorais de 19 ans. Il est venu avec trois potes depuis le quartier populaire de Kaweni. « Par curiosité », dit-il. Il prévient d’emblée : « Je ne suis pas venu par soutien ! Son discours est raciste. Ses propos visent systématiquement les Comoriens et ceux qu’elle considère comme étranger. » Comme la majorité des Mahorais, il est musulman :

    « Ses propos sur l’Islam et le voile me choquent. »

    Au micro, le député territorial Daniel Zaïdani chauffe la foule. Trois semaines plus tôt, cet ancien président du Conseil départemental avait provoqué la surprise en apportant publiquement son soutien à la présidente du Rassemblement national. L’occasion au passage de détourner l’attention médiatique de ses démêlés judiciaires. Il a été condamné en première instance, en octobre dernier à 80.000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité pour prise illégale d’intérêt.

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    Marine Le Pen, avec à sa droite Daniel Zaïdani, l'ancien président du Conseil départemental condamné à 80.000 euros d'amende et cinq ans d'inéligibilité en octobre pour prise illégale d'intérêt. Il a apporté son récent soutien à la candidate d'extrême droite. / Crédits : Cyril Castelliti

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    Ça s'envoie des fleurs. / Crédits : Cyril Castelliti

    Autant dire que l’homme politique ne fait plus vraiment l’unanimité. Alors qu’il est à la tribune, « un mec qui passait par là avec sa famille a traité Zaïdani de menteur », rembobine Nadjib. S’en suit une baston dont le jeune homme « peine encore à comprendre aujourd’hui à comprendre la disproportion ». Des gens vêtus de tee-shirts aux couleurs du Collectif de Défense des intérêts de Mayotte (Codim), lui auraient sauté dessus. « Des femmes en majorité », précise le témoin :

    « J’ai dit que ce monsieur avait le droit de s’exprimer dans la mesure où nous sommes en France et donc en démocratie. Elles m’ont enchaîné avec des gifles et des coups de poings devant les caméras et la police nationale. »

    C’est finalement la police nationale qui le tirera de cette mauvaise passe, alors qu’il commençait à tourner de l’œil. Nadjib a décidé de porter plainte contre le Codim.

    Ce collectif radical, déjà impliqué dans des actes de violence, constitue un soutien important pour Marine le Pen. Ce sont déjà ses militants qui trois jours plus tôt constituaient son seul comité d’accueil à son arrivée à Mamoudzou. Malgré cette proximité affichée, ses leaders refusent de revendiquer publiquement leur alliance. « La Guadeloupe et la Martinique ont fait grève avec leurs barrages. Nous, notre barrage, c’est Marine Le Pen », assure Souffiane Moutouin, figure du mouvement. Treillis militaire et ton martial, le militant dit ne pas avoir sa carte au RN. Il partage pourtant avec la candidate une même analyse de la situation locale : les sans-papiers sont la source de tous les maux de Mayotte.

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    Drôle de pin's. / Crédits : Cyril Castelliti

    C’est au cours d’un déjeuner de travail entre la candidate RN et les membres du Codim que ma couverture de l’événement fut interrompue. Le service d’ordre m’a prié de vider les lieux, affirmant que je suis lié aux « antifas aux Comores ». Des accusations « ridicules et fallacieuses », comme le note le journal qui m’emploie et des confrères locaux. En cause : une arrestation en 2019 à Grande Comores, l’île située de l’autre côté de la frontière. Avec le photoreporter Louis Witter nous étions en reportages pour raconter un pays traversé par des tensions politiques suite à l’élection controversée de son président Azali Assoumani. Reporters Sans Frontière (RSF) avait, à l’époque, dénoncé notre arrestation. Et plusieurs titres s’en étaient fait écho.

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    Tout sourire. / Crédits : Cyril Castelliti

    À fond contre l’immigration

    Marine Le Pen a fait de l’immigration clandestine, la thématique principale de son déplacement. Quelques heures à peine après avoir posé le pied posé en terre mahoraise, la candidate se dirige devant les locaux de l’association la Cimade. Depuis le 13 décembre, des banderoles hostiles habillent le bâtiment. Sur le palier, des collectifs radicaux tiennent le piquet de grève. Au cœur du conflit, le soutien apporté par l’association a des victimes de « décasages » : suite à un arrêté d’expulsion pris par le préfet le 22 octobre 2021, leurs habitats ont été détruits sans solution pérenne de relogement. Tous sont Français, ou étrangers en situation régulière mais qu’importe, c’est toute l’action de la Cimade qui est dans le viseur de ces militants. Qatary Lawson qui anime régulièrement des lives Facebook sur cette occupation, livre sa vision des faits : « On travaille pour défendre l’île avec le Codim. Nous voulons que la Cimade quitte Mayotte. Cette association est derrière les violences que nous subissons car des gens entrés illégalement territoire s’y rendent pour être régularisés. »

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    Depuis le 13 décembre, des banderoles hostiles habillent le bâtiment de la Cimade. Des collectifs radicaux tiennent le piquet de grève et ont toute l'action de relogement de la Cimade dans leur viseur. / Crédits : Cyril Castelliti

    Pour cette première sortie, Marine Le Pen a revêtu la salouva traditionnelle. À la poignée de militants, elle lance :

    « Je continuerai à me battre avec vous pour vous défendre. Partout ! À l’Assemblée nationale et demain, je l’espère, à la tête de l’État. »

    Le lendemain, la candidate du Rassemblement national invite les journalistes à un point presse dans le quartier de Tsoundzou. Objectif : braquer les caméras sur les logements d’urgences dont bénéficient certaines victimes des « décasage », ces destructions des quartiers informels. Son soutien mahorais Zaïdani flanqué à ses côtés, elle déroule sa com’. « Zaïdani ! Combien ça a coûté ça ? 50 Millions, non ? », l’homme acquiesce. Marine Le Pen enchaîne :

    « On a construit des maisons en dur pour héberger les gens dont les cases ont été détruites. Cela génère un sentiment d’injustice chez les Mahorais qui constatent que l’on dépense des millions pour loger des gens qui n’ont pas vocation à rester ici. »

    Les jeunes adultes qui habitent le quartier observent la scène d’un air dubitatif. « Tout le monde est en situation régulière ici. Il y a des Mahorais et des Comoriens. C’est la même culture », explique Mohamed, 23 ans. Son collègue Abdou Oussen, 21 ans, né à Mayotte poursuit : « Par contre, c’est vrai que sur les chantiers on ne voit pas beaucoup de Mahorais ». Approbation du groupe de jeunes hommes.

    À LIRE AUSSI : À Mayotte, des dizaines d’habitations rasées en plein confinement

    Mayotte, c’est la France de demain

    Suite de la visite. Direction Kahani et son « pire lycée de France » selon les parents d’élèves. Ils pointent les violences à répétitions dont sont victimes les élèves. L’occasion pour Marine Le Pen de cultiver l’image d’une d’élue à l’écoute de la jeunesse mahoraise en souffrance. Et la visite d’une personnalité d’envergure nationale dans l’établissement n’est pas pour déplaire. « J’ai aimé cette rencontre. J’espère qu’elle fera ce qu’elle nous a promis, car nous vivons dans la peur », commente Nafissa, 17 ans. Mais les sourires ne démontrent pas forcément un soutien à la politique prônée par la députée. « Je suis Comorienne et Française », explique la jeune fille :

    « On dit que les Comoriens viennent pour faire des bêtises à Mayotte. Ce que j’ai essayé de lui dire, c’est que beaucoup de jeunes qui caillassent les bus sont jaloux, car ils ne sont pas scolarisés contrairement à d’autres. »

    Elle ajoute qu’elle ne votera pas Le Pen quand elle aura 18 ans. En cause les positions de cette dernière sur l’islam.

    Un peu plus tard, la candidate fait étape au dispensaire de Kahani. Les visages qui l’accueillent sont encore une fois souriants. Mais en off, certains professionnels s’indignent de la visite de la candidate d’extrême droite. Ils l’accusent d’instrumentaliser les souffrances des habitants sans proposer de véritables solutions. Marine Le Pen semble parfois s’adresser plus à son électorat métropolitain qu’aux habitants de l’île.

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    En campagne. / Crédits : Cyril Castelliti

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    En off, certains professionnels s’indignent de la visite de la candidate d’extrême droite. Ils l’accusent d’instrumentaliser les souffrances des habitants sans proposer de véritables solutions. Marine Le Pen semble parfois s’adresser plus à son électorat métropolitain qu’aux habitants de l’île. / Crédits : Cyril Castelliti

    Trois jours durant, “elle n’a de cesse de répéter que « Mayotte, c’est notre futur »,”:​​https://www.valeursactuelles.com/politique/mayotte-cest-notre-futur-si-rien-nest-fait-previent-marine-le-pen/ conséquence des politiques migratoires qu’elle juge laxistes. Les titres de séjour sont « massivement distribués », dit-elle. Pourtant, dans ce département le code d’entrée au séjour des étrangers est plus restrictif qu’ailleurs en France. « Il est de plus en plus difficile de se faire régulariser, même pour les parents d’enfants français », explique Taslia Ali, travailleuse sociale locale et autrice des Naufragés du lagon. Son ouvrage met en lumière les difficultés d’accès aux droits élémentaires que rencontrent les étrangers :

    « Non, nous ne sommes clairement pas sur des régularisations en masse. »

    Comme l’expliquait StreetPress en 2019, les expulsions à répétition et la législation d’exception en vigueur sur le territoire ne suffisent pas à réduire la question de l’immigration. « Les populations ont toujours migré entre les îles de l’archipel des Comores, avec ou sans visa Balladur. C’est une illusion de vouloir fermer une frontière qui est déjà ouverte de façon ancestrale », explique Taslia Ali. « Nous avons grandi dans la mixité. Les îles sont peut-être séparées politiquement, mais pas les populations », abonde Nadjib qui milite pour « le vivre ensemble dans le respect des spécificités politique de chacune des îles » :

    « Il n’y a quasiment que les vieilles générations – qui n’ont pas connu cette mixité qui soutiennent – Marine Le Pen. Ils se faisaient la guerre au sein des Comores et ne comprenaient pas que nous soyons aujourd’hui mélangés. On a grandi ensemble. Ils veulent qu’on vive dans leurs vieilles conceptions, mais ce n’est pas possible. Le monde a évolué, impossible de nous dénaturer. »

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