En ce moment

    09/05/2023

    « Sale arabe, sale race »

    Coup de couteau à Nantes : un délit de faciès a tout déclenché

    Par Keuj

    Le 3 avril, Jamal a gravement tailladé le biceps d’un Nantais devant une boîte de nuit. L’extrême droite a utilisé l'agression pour illustrer l’insécurité dans la ville. Le dossier raconte une histoire plus nuancée. Le procès a lieu le 11 mai.

    Le 25 avril dernier, le Figaro raconte l’agression d’un « Nantais de souche », quartier Bouffay dans la cité des ducs de Bretagne. Dans la nuit du 2 au 3 avril, Baptiste, un patron de restaurant âgé de 28 ans, a reçu un coup de couteau au bras. Dans son témoignage, celui qui se fait appeler Brice revient sur le côté spectaculaire de l’agression. Ce qui est incontestable. L’homme a eu le biceps tailladé sur plus de 20 cm, perdant énormément de sang avant qu’un garrot ne lui soit apposé par un pompier volontaire présent à proximité. Il a eu peur d’y passer. L’article s’attarde ensuite sur le retentissement psychologique et les séquelles avant de faire le lien avec l’insécurité dans le centre de Nantes (44).

    À partir d’une poignée d’éléments sur Jamal, l’auteur du coup de couteau, et aucun sur Lounes, son copain impliqué dans l’affrontement qui a mené au coup de lame, le Figaro dresse le tableau de voleurs agressant sauvagement de gentils fêtards. L’affaire est largement relayée par des militants d’extrême droite qui dénoncent « l’ensauvagement » de la ville. Le dossier de procédure, auquel StreetPress a eu accès raconte une histoire plus compliquée.

    « Sale arabe, sale race »

    Il était un peu plus de deux heures cette nuit-là quand les choses se sont envenimées au niveau du Havana Café, à l’angle de la rue de la Juiverie et de celle des Petites-Écuries. Baptiste et six potes, des habitués de la tribune Loire du stade de la Beaujoire, sortaient de la Ribouldingue, située 100 mètres plus haut, pour prolonger la soirée en boîte au Colors, à quelques enjambées. Jamal, Lounes et un troisième copain, également jeune majeur, avaient passé le début de soirée à la fête foraine. Recalés du New Factory dans le quartier des Olivettes, ils s’étaient garés près de la Cathédrale et venaient de passer devant la queue du Colors quand ils ont été accostés par un pote de Baptiste. Persuadé d’être face à des pickpockets s’apprêtant à faire les poches d’un membre de la bande, ce fils d’une ancienne gloire du FC Nantes prévient sur un ton moqueur qu’il n’y aura pas de vol ce soir. Jamal ne laisse pas passer :

    « Comment ça, on ne vole rien ? »

    Le pote de Baptiste, seul à ce moment-là, lui met en retour une grosse torgnole. Dans la foulée, il décoche une patate à Lounes qui parvient à parer le coup. Cette première scène fait fuir le troisième membre du trio. Surpris par ce qui leur arrive, les deux jeunes majeurs se regardent dans un petit moment de flottement. Jamal saisit ensuite son téléphone dans sa poche de pantalon et le donne à Lounes. Puis, il sort un couteau de la poche centrale de sa veste Nike blanche flanquée d’un écusson du FC Chelsea. Le pote de Baptiste appelle du renfort en voyant l’impressionnante lame dépliée. Lounes et Jamal se retrouvent encerclés. Le premier invite son collègue à décamper avant que ça ne dégénère plus. En vain. « Il avait l’oreille sourde, la colère a pris le dessus », dira Lounes en garde à vue.

    S’ensuit une opposition à deux contre sept. Les potes de Baptiste tentent de mettre des coups. Un verre puis le panneau métallique affichant le menu d’un resto voisin volent en direction du duo. Des « sale arabe, sale race » fusent également selon les déclarations de Lounes, qui agitent ses poings dans le vide pour se défendre. Son couteau en main avec la lame pointée vers le groupe, Jamal fait des grands gestes latéraux. Le barouf attire un vigile du Colors, bientôt rejoint par celui du Havana. Malgré l’insistance du groupe des sept, les agents munis de gazeuses refusent de les utiliser pour tenter de désarmer Jamal. Il finit par toucher Baptiste alors que celui-ci s’est approché pour extirper un de ses potes. Un cri de douleur raisonne. L’artère humérale sectionnée, le sang gicle. Les pompiers sont appelés. Il est 2h28.

    Sans se concerter, le duo plaide le délit de faciès

    Après son geste, Jamal s’enfuit en direction de l’église Sainte-Croix et balance l’arme pendant que Lounes trace plus haut en direction des galeries Lafayette. Lui seul est finalement appréhendé. Arrivé vers la place du Commerce, il reprend ses esprits et laisse le vigile du Colors qui l’avait poursuivi le ramener devant le Havana où il est interpellé par la brigade anticriminalité. Son taux d’alcoolémie est nul. Natif de Nantes, employé de la Poste à 1.400 euros par mois, inconnu des services de police et de justice, Lounes donne d’emblée le téléphone de Jamal et délivre le peu d’informations qu’il sait sur ce copain qu’il fréquente depuis une semaine par l’intermédiaire du troisième larron ayant disparu au départ de la rixe. Entendu à deux reprises, il explique qu’il n’a pas vu le coup de couteau. Quand les policiers lui demandent si Jamal a prononcé des menaces de mort avant son geste, Lounes répond par la négative, évoquant seulement des :

    « Allez vas-y, viens ! »

    Sur ce point, ses déclarations sont en totale contradiction avec celles des six potes de Baptiste. Auditionnés le lendemain après-midi, tous ont répété au mot près, et sans que l’OPJ ne leur demande forcément, que Jamal avait crié à plusieurs reprises : « Il y aura un mort ce soir ». De quoi renforcer la thèse donnée en audition par deux membres du groupe d’un geste volontaire, visant initialement le thorax de Baptiste avant que celui-ci ne se détourne. Interpellé le dimanche matin dans son T1 bis en présence d’une de ses sœurs, enceinte, Jamal livre quant à lui, une version complètement farfelue. Selon lui, il aurait récupéré des mains de Baptiste et sans se couper un « pic en métal » avant que celui-ci ne soit atteint involontairement dans la mêlée. Mais sur l’origine de l’affrontement, ses propos vont comme Lounes dans le sens d’un délit de faciès alors que les deux jeunes majeurs n’ont pu se concerter.

    Condamné à trois reprises pour drogue

    Ayant grandi dans l’Aude, Jamal est arrivé à Nantes en août 2022 dans le cadre d’une mesure de placement judiciaire. Quand il était mineur, il a été condamné à trois reprises par le tribunal de Carcassonne (11) pour cession ou transport de cocaïne et de cannabis, sa dernière peine lui faisant interdiction de paraître dans l’Aude pendant deux années. Le rapport des éducateurs, datant de deux semaines avant l’agression, met en avant le sérieux et l’ouverture d’un jeune homme qui a « scrupuleusement respecté » les mesures de son contrôle judiciaire. Son loyer pris en charge et suivant une formation rémunérée, Jamal n’avait aucune raison de faire les poches des clients d’un bar. Son avocat, Maître Victor Font est « tombé de haut » en apprenant que cet ado, qui n’avait jamais eu un comportement agressif, était impliqué dans des faits « aussi graves. »

    Préférant garder ses explications pour le procès, Maître Font a néanmoins souhaité réagir à la suite de la parution de l’article du Figaro. « Si on lit entre les lignes, les déclarations de la victime sur son identité nantaise corroborent ce qui figure dans le dossier pénal sur la genèse de cette agression », a-t-il commenté. Une référence au passage où Baptiste déclare :

    « Je suis né ici, on m’a éduqué à la nantaise, j’ai une culture nantaise, ici, c’est chez moi et ça le sera jusqu’à ce que je le décide. Ce ne sont pas eux, qui n’ont aucune attache et pourraient faire ça dans n’importe quelle ville, qui me feront partir de chez moi. »

    À l’issue de sa garde à vue, Jamal a été présenté à un magistrat du parquet qui a fait le choix de le juger en comparution immédiate le mardi 4 avril. Une orientation procédurale que n’a pas du tout comprise Maître Aristote Toussaint, l’avocat de Baptiste. « Cela ne fait aucun doute, il s’agit d’une tentative de meurtre », a brandi le pénaliste, par ailleurs associé de Kevin Dailly au sein du cabinet Influence. Ce dernier est l’auteur d’une tribune publiée par Valeurs Actuelles en novembre 2022, qui a fait jaser localement.

    Il y dézingue le laxisme supposé de la municipalité sur les questions d’insécurité. Le texte vaut à son auteur une convocation de la bâtonnière et le soutien de Gilles-William Goldanel, raconte le Figaro.

    Report d’audience

    Sans surprise compte tenu de la complexité de l’affaire, Jamal a sollicité un délai pour préparer sa défense, comme la loi l’y autorise.

    Baptiste était présent à moins de trois mètres du box, assis sur un fauteuil roulant. Vêtu d’un simple short et d’un t-shirt, l’intégralité de son bras droit enveloppé dans une sorte d’attelle et un imposant pansement recouvrant l’intérieur de la cuisse, il a longuement dévisagé Jamal. Ses excuses et regrets formulés juste avant que le tribunal ne parte délibérer ont rebondi aussi sec sur la rage à peine voilée de Baptiste. La tension était accentuée par la présence d’un solide comité de soutien sur les bancs de la salle qui affichait complet. En attendant que l’affaire ne soit renvoyée à une date ultérieure, le tribunal a suivi les réquisitions du parquet en plaçant Jamal en détention provisoire.

    « Valait mieux pas qu’il ressorte le gamin », a lâché quelques minutes plus tard un observateur avisé des audiences alors que le comité de soutien se retrouvait sur le parvis à l’extérieur du tribunal. Cette « grosse bande de potes », dixit Baptiste, qui compte dans ses rangs un policier, sera à nouveau présente quand le dossier sera jugé sur le fond, jeudi 11 mai après-midi, dans la même salle 3 du tribunal judiciaire de Nantes. On ne sait pas si les proches de Jamal, dont une sœur gendarme adjointe, ont prévu de faire le déplacement.

    Image de Une du Palais de Justice de Nantes issue de Flickr prise le 2 août 2012 par Jean-Pierre Dalbéra. Certains droits réservés.

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER