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    04/07/2023

    « On n'est pas soutenus, on n'est pas légitimes. On est accusés, on n'est pas victimes »

    La famille de Mahamadou Cissé, tué par un ancien militaire, face à la justice

    Par Christophe-Cécil Garnier

    Le 9 décembre 2022, un octogénaire et ancien militaire a tué Mahamadou Cissé, 21 ans, à Charleville-Mézières. Un « crime par exaspération » pour le procureur local. Une version qui a choqué la famille, qui dénonce une stigmatisation de l’affaire.

    Palais de justice, Reims (51) – Il est à peine 9h et le soleil tape déjà fort sur les personnes qui sortent du car gris. Sur son écran qui affiche normalement la destination, est inscrit : « Justice pour Mahamadou ». Ce comité s’est monté suite au meurtre de Mahamadou Cissé, 21 ans, tué en décembre à Charleville-Mézières (08) d’une balle dans le thorax par Hocine A. voisin et ancien militaire octogénaire. La sono est enclenchée, le petit rassemblement démarre et marche rapidement vers le tribunal blanc en travaux. « On est là pour que justice soit faite. Nous réclamons justice pour Mahamadou », lance son cousin Abdou au micro, avant d’entonner :

    « Pas de justice, pas de paix ! »

    Le groupe est venu pour soutenir Sofiane (1), ami de Mahamadou, qui doit faire une confrontation avec Hocine A. Tous se rassemblent derrière une banderole : « Monsieur le procureur, on ne tue pas par exaspération. » Une référence aux propos de Matthieu Bourrette, procureur de la République à Reims. Après la mort de Mahamadou, ce dernier présente dans un point-presse de dix minutes, la version d’Hocine A. : une « thèse » qu’il appellerait un « crime par exaspération ». Un terme « plus proche de l’excuse morale que de la qualification pénale », comme le souligne Libération mi-juin dans un long reportage. Une version qui a profondément choqué la famille. Si Hocine A. est mis en examen pour « meurtre, détention d’arme illicite et violence avec arme sur personne dépositaire de l’autorité publique » et qu’il est en détention provisoire depuis les faits, la famille Cissé craint « une injustice ». Ils pointent « une stigmatisation de l’affaire, car elle s’est déroulée dans une cité » et constatent « une récupération abjecte de l’affaire par l’extrême droite ». Devant le palais de justice, Assetou prévient :

    « Aujourd’hui, c’est un symbole qu’on veut envoyer à la justice. On y croit encore, même s’il y a eu pas mal de négligences et de manquements. Je ne suis pas là pour jouer la victime : nous sommes des victimes. »

    « Je vais te tuer »

    Les soutiens s’amassent devant le tribunal et la station de tramway attenante. Sur le côté, un barnum est installé avec un banc pour sept dames : des tantes et la mère de Mahamadou. Au micro, tous évoquent la « gentillesse » du garçon, qui aidait les mamans « à monter leurs courses ». Abdou parle de ses projets. Il voulait devenir acteur et avait joué comme figurant dans Tirailleurs, le film de Mathieu Vadepied avec Omar Sy sorti début 2023 : « C’était un honneur pour nous de le voir dedans ». « Il en était fier. Il en parlait à tout le monde et montrait même des photos à sa conseillère d’orientation ! », se rappelle Assetou.

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    Mahamadou avait joué comme figurant dans Tirailleurs, le film de Mathieu Vadepied avec Omar Sy sorti début 2023. « Il en était fier. Il en parlait à tout le monde et montrait même des photos à sa conseillère d’orientation ! », se rappelle Assetou. / Crédits : Famille Cissé – Droits réservés

    Le 9 décembre 2022, le vingtenaire retrouve son ami Sofiane au 12 rue des Chardonnerets, dans le quartier populaire de la Ronde-Couture. Il habite désormais à 600 mètres après avoir déménagé il y a quatre ans. Alors qu’ils papotent dans le hall, Hocine A. arrive dans l’immeuble et leur demande de partir. « On a obtempéré », raconte le copain. À l’extérieur, « à peine sortis », Sofiane soutient que l’octogénaire revient avec une arme. Une réplique de M16, achetée il y a environ 25 ans, qu’il n’a jamais déclarée. Mahamadou aurait « demandé à plusieurs reprises » à Hocine A. de « ranger son arme ». Ce dernier aurait répété :

    « Je vais te tuer. »

    Il lui tire dessus une fois. Mahamadou meurt dans la soirée d’une « hémorragie massive au niveau de l’aorte ».

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    Pour Assetou, si Mahamadou s’est interposé, c’est qu’il voulait « défendre ses amis ». / Crédits : Famille Cissé – Droits réservés

    Des mois plus tard, Assetou revient sur la mort de son frère. L’ingénieure commerciale de 31 ans est la voix du comité. « Sans elle, on ne sait pas où on serait », lance à son sujet Djibril, son grand frère ému, lors du rassemblement à Reims. Pour Assetou, si Mahamadou s’est interposé, c’est qu’il voulait « défendre ses amis ». D’autant qu’il connaissait le meurtrier. « On a vécu dans cet immeuble pendant plus de 20 ans. Ce voisin a vu grandir mon frère. Cet homme-là, je lui tenais la porte. Je lui disais bonjour tous les jours », se souvient-elle. La sœur de Mahamadou souligne que l’ancien commando de marine, qui a combattu pendant la guerre d’Algérie, a pris soin de mettre douze balles dans le chargeur, sur les presque 200 munitions qu’il stockait chez lui. « Il en a mis plus que le nombre de jeunes présents. Il faut être déterminé pour ça », souffle Assetou. Après avoir tiré sur Mahamadou, il aurait empêché toute aide. « Il nous a braqués avec son arme et nous a dit de partir, sans quoi il allait nous tirer dessus », a déclaré Enzo (1) lors de l’enquête.

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    Assetou, 31 ans, est la voix et l'organisatrice du comité. « Sans elle, on ne sait pas où on serait. » / Crédits : LA FAKH – Droits réservés

    Des explications très contestées

    Pour Hocine A., cet acte serait la conséquence des incivilités depuis des années commises par des jeunes dans son hall. « Ils sont toujours là pour le shit, bloquer les portes, le hall, ils sont les mains dans les poches, ils roulent leurs machins », répond-il à une question de son avocat, lors d’une audition devant la police. Pourtant, l’autopsie conclut à l’absence de drogue ou d’alcool dans le sang de Mahamadou. Les « jeunes » l’empêcheraient de rentrer chez lui et l’insulteraient. Sauf que, là encore, les témoignages divergent. Si certains des proches d’Hocine A. disent avoir déjà eu « un peu peur » en venant chez lui, d’autres de ses amis détaillent des jeunes sans histoires, « qui ouvrent la porte ». Quant aux habitants du quartier, ils sont catégoriques. « Je n’ai jamais eu de problèmes avec eux et je ne crois pas qu’il y en a avec les autres habitants du bâtiment », décrit un locataire du troisième étage.

    Dans ses auditions, l’octogénaire change de version. Une fois, il affirme que ses problèmes durent depuis neuf ans, une autre que ça date de son emménagement, il y en a presque 30. Il assure que ce sont toujours les mêmes jeunes mais qu’ils sont « cagoulés » et qu’on « ne voit pas leur visage ». Alors qu’il garantit qu’il ne connaît pas Mahamadou, il dira plus tard qu’il était « toujours avec eux ». Dans un premier temps, il avoue avoir tiré volontairement, avant de se rétracter ensuite.

    Il aurait tué Mahamadou parce que le vingtenaire, alors qu’il était mis en joue, aurait « insulté » Hocine A. de « fils de pute » et lui aurait « craché à la figure ». Face à cette version, Assetou questionne :

    « Qui fait ça ? Personne ne fait ça. Il dit que mon frère avait les poings levés, prêt à le frapper. Alors qu’il a un fusil. »

    Racisme et négligences ?

    C’est pourtant cette version du « crime par exaspération » qui est popularisée par le discours du procureur. « Le parquet a fait preuve de partialité et a donné, je regrette de le dire, une orientation ignominieuse à cette affaire. L’exaspération n’est certainement pas une cause d’irresponsabilité pénale ou d’atténuation de la responsabilité pénale », se désole maître Saïd Harir, l’avocat de la famille Cissé.

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    À Reims, lors du rassemblement, le comité Justice pour Mahamadou se place derrière une banderole : « Monsieur le procureur, on ne tue pas par exaspération. » Une référence aux propos du magistrat à Reims. / Crédits : Christophe-Cécil Garnier

    « Vous n’imaginez pas la peine pour moi, pour ma famille… Parler d’exaspération comme ça, c’est inconcevable », lance Djibril d’une petite voix devant le tribunal de Reims, alors que des personnes sorties des trams s’arrêtent parfois pour écouter les discours. Assetou, elle, relie cet acte aux crimes racistes des années 70 ou 80. Elle tonne au micro :

    « Lier ça à l’exaspération, c’est réduire la vie de mon frère. La question du racisme se pose. Pourquoi avons-nous l’impression que notre vie ne vaut rien ? »

    Contacté, le procureur Matthieu Bourrette – qui a quitté son poste à Reims le 1er juillet – ne souhaite pas « polémiquer avec la famille du défunt sur les mots que j’ai pu employer ». Il tient à souligner que sa phrase entière appelait à « infirmer ou confirmer la thèse du mis en cause » et rappelle que c’est son parquet qui a ouvert une information judiciaire et qu’Hocine A. « a été placé en détention provisoire conformément aux réquisitions du parquet ».

    À LIRE AUSSI : De 1970 à 1997, plus de 700 crimes et attentats racistes en France

    La sortie du proc’ s’ajoute à une longue liste de reproches faits par la famille aux différents services de l’État. À l’hôpital, on a certifié aux Cissé que Mahamadou était encore au bloc opératoire. Quelques instants plus tard, ils ont appris par un article de presse la mort de leur frère. Il y a ensuite les dépositions à la police – qui aurait reproché à la famille les tensions dans le quartier à la suite du meurtre, une cinquantaine de lacrymogènes ont été tirées – et devant la juge d’instruction, où la famille et les témoins auraient encaissé « des questions qui laissaient entendre qu’il y avait deux catégories de victimes dans notre pays », souligne maître Harir. « On n’est pas soutenu, on n’est pas légitime. On est accusés, on n’est pas victimes », lâche Assetou. Elle a fait une liste de douze témoins qui pourraient apporter quelque chose à l’enquête. Des mois plus tard, aucun n’aurait été interrogé par les autorités. Assetou pointe également le rôle de la police municipale, dont le chef de nuit avait été alerté dix jours auparavant par un voisin qui a témoigné auprès de RMC :

    « J’avais averti, le papy du rez-de-chaussée, il va tirer, il est à deux doigts de craquer. »

    Les médias et un collectif d’extrême droite

    Lors de sa prise de parole, Abdou, le cousin au béret vert vissé sur la tête, a également critiqué « les médias ». « Ils ont essayé de salir l’image de Mahamadou. On a eu des articles diffamatoires », tance l’homme. Certains journaux ont en effet tordu les propos du procureur et Mahamadou est devenu dans leur titre, l’homme qui menait personnellement la vie dure à Hocine A. « Tout a été orienté et accusatoire. On a parlé de points de deals, de poubelles brûlées, on a tout mélangé, alors que ça ne concernait pas mon frère », s’énerve Assetou.

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    Pour Abdou, le cousin de Mahamadou, les médias « ont essayé de salir l’image de Mahamadou. On a eu des articles diffamatoires ». / Crédits : Capture d'écran

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    Certains journaux ont tordu les propos du procureur et Mahamadou est devenu dans leurs titres l’homme qui menait personnellement la vie dure à Hocine A. / Crédits : Capture d'écran

    L’arrivée d’un dernier acteur a fini de révolter les Cissé : l’extrême droite. Dix jours après la mort de Mahamadou, le collectif Place d’Armes – connu pour ses participations aux rassemblements anti-migrants à Callac (22) ou Saint-Brévin (44) – lance une pétition avec l’asso Générations Harkis pour qu’Hocine A. soit libéré et placé sous contrôle judiciaire. « Plus victime que coupable face à ces “anti-France” qui nous pourrissent la vie au quotidien », disent-ils dans leur tribune. « Ça a créé une déferlante de haine », lâche Assetou. Des soutiens ont écrit au prisonnier. « Ce n’est pas vous qui devriez être où vous êtes, mais les voyous qui vous ont gâché la vie », croit savoir l’un d’eux. Une autre, ancienne pied-noire qui a vécu « la guerre horrible infligée par le FLN » évoque la théorie complotiste du « grand remplacement » et accuse : « Quand l’État abandonne les populations qu’il doit protéger à la loi du plus fort, celles-ci n’ont que le choix de baisser la tête et de subir, ou bien de se faire respecter… Et de finir en prison. »

    À Reims, après quelques heures, la famille apprend finalement que la confrontation n’a pas eu lieu : Hocine A. ne s’est pas présenté. Des militants récoltent des numéros de téléphone pour créer un groupe WhatsApp, afin de tenir au courant des prochaines actions. Ils préviennent : « Le combat ne fait que commencer. »

    Contactés, les avocats de Hocine A. n’ont pas répondu aux sollicitations de StreetPress.

    (1) Le prénom a été modifié.

    Photo de Une par LA FAKH – Droits réservés. _

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