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    17/07/2023

    « Ils nous ont déplacés pour faire des jardins »

    La mairie de Saint-Denis veut moins de pauvres dans son centre-ville

    Par Lina Rhrissi

    Centre-ville isolé des cités, marché populaire déplacé, HLM en moins, village olympique hors de prix… Depuis son élection en 2020, le maire PS Mathieu Hanotin fait tout pour gentrifier le centre-ville.

    « Notre équipe municipale a fait de l’attractivité et de la requalification du centre-ville un des projets phares de ce mandat. […] Le centre-ville apaisé sera accessible à tous.tes en transports en commun. » Signé : Mathieu Hanotin. Le visage souriant du maire apparaît sur le livret promotionnel glissé entre les pages du « Journal de Saint-Denis », de juin dernier. L’ancien hebdo associatif est devenu la feuille de chou de la municipalité depuis que le socialiste a racheté son nom en 2021.

    Derrière le papier glacé, le bilan est moins reluisant. Suppression de lignes de bus allant des cités au centre-ville, marché populaire voué à disparaître, démolition de HLM remplacés par des logements plus chers… Depuis son arrivée en 2020, le maire étiqueté PS Mathieu Hanotin est le chantre d’une gentrification accélérée. « Il a la volonté affichée de changer la population », s’inquiète la retraitée et militante dionysienne Nelly Angel. À l’approche des Jeux olympiques 2024 et du Grand Paris Express – qui doivent rendre la commune la plus peuplée de Seine-Saint-Denis attractive –, l’édile veut métamorphoser la ville. StreetPress a interrogé des habitants et des commerçants de Saint-Denis (93) qui ont l’impression d’être mis à la porte, voient leurs revenus chuter ou ont perdu leur logement. (1)

    Moins de bus pour les cités

    « J’ai pris un bus qui ne va plus exister », soupire Pascale Rebèche, 63 ans, à la sortie du métro Basilique de Saint-Denis. Ce matin de juin, la retraitée est venue se faire épiler dans le salon Nay Epil de la galerie marchande et faire ses courses au grand Carrefour. Cette ancienne employée de la Sécu’ habite dans un HLM de la cité des Franc-Moisins depuis 52 ans. Le 1er juillet dernier, les lignes de bus qui relient trois quartiers périphériques au centre-ville ont disparu. Sans discussion préalable, le maire Mathieu Hanotin a décidé de supprimer six arrêts des bus : le 153, 253 et 239 qui vont au Franc-Moisin, La Saussaie-Floréal-la Courtille et La Plaine. Pascale doit désormais marcher 15 minutes de plus, prendre deux bus ou un tram déjà bondé pour faire ses emplettes. « De toute façon, ils ne veulent plus de nous », se résigne la Dionysienne.

    « Il veut que le centre-ville soit “apaisé”, qu’il n’y ait plus de circulation à moteur. C’est vrai que beaucoup de centres-villes deviennent piétons, mais les transports en commun sont conservés ! », pointe Nelly Angel, 74 ans, habitante du quartier La Courtille, dans le Nord de la ville. Selon la militante à la Confédération nationale du logement (CNL) :

    « Il y a beaucoup de personnes âgées qui ne pourront même plus venir en centre-ville. »

    « On mesure qu’il faudra un changement supplémentaire pour venir dans l’hypercentre, mais ça vaut le coup par rapport à ce que le projet apporte en végétalisant et rafraîchissant le centre-ville », a expliqué au Parisien la première adjointe du maire Katy Bontinck. « Le 19 juin 2023, une soixantaine de Dionysiens ont organisé une chaîne humaine devant la mairie pour réclamer le maintien de ces transports en commun.

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    Centre-ville tout beau tout propre

    Dans le dense centre-ville bitumé de Saint-Denis, le marché et les commerces à bas prix attirent une clientèle à petits revenus, venue de toute l’Île-de-France. Le bruit de la circulation résonne et le sol est encombré par les détritus laissés par cette population de passage. Monsieur le maire veut tout le contraire : un espace végétalisé, totalement piéton, au look de quartier parisien. Notamment entre la place Jean-Jaurès et le marché, en face de la Basilique art gothique qui date du 12ème siècle. « L’inspiration est celle des petites places du 19ème arrondissement de Paris », imagine Hanotin dans Actu.fr. Les travaux pour le futur cœur de la ville coûteront 230 millions d’euros (4), dont 15,5 millions de subventions de l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU). Les plans 3D font rêver. En 2024, il y aura 100 arbres supplémentaires, 1.200 m2 de verdure, des aires de jeux, des pistes cyclables… Et à plus long terme, un miroir d’eau avec jets de fontaine devant la mairie !

    « Hanotin veut un centre-ville touristique sous cloche. Mais ça ne correspond pas à la réalité des gens qui ont besoin d’aller faire leurs courses à des prix abordables », assure Sophie Rigard, élue de l’opposition membre du groupe Saint-Denis à gauche. « Je ne vois pas en quoi rendre plus agréable un centre-ville où il y a 52 % de logements sociaux serait un truc de bobos », rétorque Mathieu Hanotin, interrogé par nos confrères de Mediapart. Il n’a pas répondu aux questions de StreetPress.

    Le nouveau maire cherche-t-il à plaire à un électorat CSP+ ? Élu en juillet 2020, après plus de 70 ans de mandature communiste accusée de clientélisme, l’ancien consultant a fait campagne en draguant la classe moyenne. Avec un taux de pauvreté de 37% (1), Saint-Denis est l’une des villes les plus pauvres de Seine-Saint-Denis. La gentrification – processus par lequel l’arrivée des classes moyennes et supérieures dans un territoire populaire a pour conséquence la hausse des loyers et l’exclusion des plus pauvres – y est moins avancée que dans des villes comme Montreuil (93) ou Pantin (93). L’ancien député du Parti socialiste (PS) qui a grandi dans l’Oise veut changer la donne. Il a promis aux habitants une ville « équilibrée » et plus de « mixité sociale ».

    Marché millénaire en voie d’extinction

    « Ils nous ont déplacés pour faire un jardin. Pour eux, on fait les “chiffons”. Voilà comment on est considérés », se lamente Chafiq, 50 ans, qui vend des bijoux en or plaqué à cinq ou dix euros. Pour mener à bien son projet de centre-ville vert et aéré, Mathieu Hanotin doit se débarrasser du marché populaire à ciel ouvert de la place Jean Jaurès, dont l’histoire remonte au Moyen-Age. « Le marché, je l’ai toujours connu. Ça me touche qu’on le déplace. [Mathieu Hanotin] ne connaît pas la ville, donc il s’en fout », tacle Brahim Chikhi, ancien adjoint au maire passé dans l’opposition en juillet 2021. En septembre 2022, la mairie a commencé par déplacer une centaine de commerçants sur la place du 8 mai 1945, de l’autre côté du tramway. Principalement ceux qui vendent des produits non-alimentaires. « Maintenant, on est morts. On travaille au compte-gouttes parce que les gens ne savent pas qu’on est là », explique Chafiq. Le marchand de bracelets dorés est fataliste :

    « Ce n’est pas seulement de la faute d’Hanotin. Partout en France les marchés populaires sont remplacés par des marchés “boboisés”. »

    Un stand plus loin, Fredo Caron, 39 ans, et sa mère Chantal, 60 ans, vendent des sous-vêtements à 2,50 euros. « Il y en a qui ont abandonné. Ils sont partis alors qu’ils avaient payé leurs fonds de commerce 50.000 euros. Ils ont tout perdu », raconte Fredo. Le vendeur, qui est né dans les étals du marché, estime avoir perdu 50% de chiffre d’affaires depuis le déménagement. Il doit travailler deux fois plus pour survivre. Salah Ghezal, 58 ans, vend des abayas et des djellabas importées de Dubaï :

    « C’est une catastrophe, on est en train de mourir à petit feu. »

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    Haro sur les HLM

    Les chalands qui achètent leurs vêtements au marché habitent bien souvent les logements sociaux du coin. Pour le maire, il faut justement moins de HLM à Saint-Denis. Pendant sa campagne, il a prévenu dans Le Parisien qu’il aimerait que les nouvelles constructions comptent « 23, 25, ou 27 % de logements sociaux », plutôt que les 40% recommandés actuellement (5). Les transformations urbaines de la ville n’ont toutefois pas commencé avec l’arrivée d’Hanotin. La réhabilitation des quartiers populaires, qui passe par la destruction d’une partie des HLM au nom de la mixité sociale, est menée par l’ANRU à l’échelle nationale.

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    À la cité Franc-Moisin, l’un des quartiers périphériques qui a perdu ses arrêts de bus de la ligne qui mène au centre, plusieurs centaines logements sociaux (5) du bâtiment 4 sont promis à la destruction depuis 2016. Ils seront en partie remplacés par des appartements privés. Certains habitants ont déjà été relogés dans des villes plus éloignées de la capitale, comme Nanterre (92), Bobigny (93) et Noisy-le-Grand (93). Très alignée avec l’ANRU, la nouvelle équipe municipale a pris les devants pour déloger les derniers locataires récalcitrants. Le 2 mai 2023 la première adjointe au maire Katy Bontinck les a reçus avec le bailleur social Logirep pour une réunion de crise et leur a proposé des logements provisoires.

    L’ancienne du « B4 » Ramata Diawara était présente. Le 16 juin 2023, elle a accepté de déménager in extremis dans un appartement à Saint-Denis, également promis à la destruction dans un an ou deux. « Ils n’ont pas trouvé de logement pour moi », regrette la mère célibataire de 46 ans qui élève trois ados. La Malienne a vécu 16 ans au Franc-Moisin, où elle louait son 84m2 pour 860 euros charges comprises. L’intérimaire prend les transports en commun tous les matins pour travailler dans des cantines collectives d’hôpitaux ou de maisons de retraite. Ses enfants, scolarisés à Saint-Denis, lui rappellent sans cesse que leur cité leur manque. Mais la cuisinière ne peut pas leur dire de quoi leur avenir sera fait.

    Selon une publication de la page Facebook « collectif Franc-Moisin » et des informations recoupées par StreetPress, l’élue Katy Bontinck aurait même proposé à des familles des locations Airbnb lors de réunions individuelles, en attendant de leur trouver une solution pérenne. Les locataires concernés n’ont pas voulu témoigner de peur de ne pas être relogés. Interrogée par nos soins, la mairie n’a pas souhaité commenter ces affirmations. « Le projet c’est détruire les HLM. D’accord, mais il faut construire ! », juge Ramata Diawara.

    JO 2024 et valorisation immobilière

    Le boss de la ville a bien repris en main un projet immo’ : le futur village olympique, en partie construit dans le quartier Pleyel, non loin de la gare. « Il faut emmener la ville dans un projet magique ! », s’est-il émerveillé en parlant des Jeux olympiques de 2024 pendant un meeting de campagne. Le maire de Saint-Denis cumule sa fonction avec celle de président de Plaine Commune, un établissement public territorial qui regroupe neuf villes du 93. Cette double casquette en fait l’un des plus fervents avocats des JO, au plus grand bonheur des investisseurs immobiliers. « Les propriétaires misent sur les JO 2024 et le Grand Paris pour valoriser leurs biens », indique à StreetPress un agent immobilier de l’agence Laforêt locale, qui préfère rester anonyme.

    À Saint-Denis, selon le professionnel, le prix au mètre carré oscille entre 5.000 euros – quartiers de la Gare ou de la Plaine – et 2.500 euros – quartiers Franc-Moisin ou Université. Des prix qui restent bien plus bas que ceux de Montreuil ou Pantin, où le mètre carré moyen est autour de 6,500 euros.

    Clara (2), 32 ans, journaliste dans un média parisien, habite dans le quartier de La Gare depuis 2022. La rédactrice a acheté son appartement de 50m2 pour 230.000 euros. Elle fait partie de cette nouvelle population plus aisée qui débarque. « Je vivais à Pantin, mais c’était trop cher. À Saint-Denis, il y a ce côté ville avec une histoire qui m’a plu. » La native de Paris se dit attachée au marché où se mélangent les classes sociales : « Ça me ferait chier s’il devenait aseptisé. »

    Après les Jeux, le village olympique se transformera en un quartier avec 2.000 logements neufs. « Les appartements privés seront à 7.000 euros du mètre carré. Quasiment aucun habitant du 93 ne pourra acheter ! », s’agace la Dionysienne Cécile Gintrac, géographe de formation, qui milite au sein du Comité de vigilance JO 2024. « Il devait aussi y avoir 40% de logements sociaux, c’est descendu à 25%. Et dans ces logements sociaux, on redoute une majorité de loyers qui seront en réalité accessibles à la classe moyenne. » Pour la prof de géo, une chose est sûre : « Les mères célibataires précaires n’auront pas les moyens ». (3)

    (1) À Saint-Denis, 40.000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté, soit moins de 940 euros par mois, selon le dernier rapport de l’Observatoire des inégalités publié en 2022

    (2) Le prénom a été modifié.

    (3) Contactée par mail le 10/07/2023, la municipalité n’a pas souhaité répondre à nos questions. Le service communication de la mairie avait pourtant accepté de répondre aux questions de nos deux premières enquêtes sur la politique de Mathieu Hanotin.

    Illustration de Une par Caroline Varon.

    (4) Edit le 17/07/2023 : 230 millions d’euros et non pas 230.000 euros comme écrit précédemment.

    (5) Edit le 19/07/2023 : selon le parisien, les 470 logements détruits le sont sur l’ensemble de la cité des Franc-Moisin et non sur le seul B4.

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