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    19/01/2024

    Une enquête du parquet est ouverte depuis deux ans

    L’Alvarium continue ses activités malgré la menace de reconstitution de ligue dissoute

    Par Guillerme Captant

    La dissolution du groupuscule catho-nationaliste Alvarium, entamée en 2021 et actée fin 2023, ne change rien à ses activités. Ils peuvent utiliser des faux-nez, commémorer des fascistes et tabasser des manifestants sans que l’État ne réagisse.

    Un « simulacre de justice qui foule aux pieds l’État de droit ». Jeudi 9 novembre 2023, 16h25. Dans une série de quatre tweets à la rage à peine contenue, le compte X-Twitter de l’Alvarium réagit par communiqué à sa propre dissolution. Quelques minutes plus tôt, le Conseil d’État a officiellement acté la fin des activités de la bande de nervis nationaux-catholiques implantée depuis 2017 à Angers (49), avec un local historique rue du Cornet, dans l’hypercentre. L’aboutissement d’une procédure lancée en 2021. Fidèle à sa rhétorique provocatrice, le groupe dissous ne résiste pas à une nouvelle saillie victimaire, devenue une marque de fabrique chez ces militants identitaires.

    La liste des méfaits égrenés dans le décret de dissolution montre pourtant les activités répréhensibles du groupe. « Manifestations armées », « agissements violents », provocation « à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe […] à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur appartenance […], vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée ». Les exemples courent sur trois pages.

    Alors qu’ils avaient fait appel, le Conseil d’État n’a pas trouvé de raison valable pour interrompre ce processus de dissolution, à l’inverse d’autres associations visées comme les Soulèvements de la Terre. La décision entrave-t-elle pour autant la vie de l’Alvarium ? Pas le moins du monde. Les responsables du groupuscule ont toujours assumé ce refus de se soumettre, quitte à risquer l’infraction pénale de reconstitution de ligue dissoute.

    Sur X et Telegram, l’Alvarium affiche ses soutiens

    Dès l’annonce de sa dissolution en 2021, le groupuscule national-catholique reçoit des soutiens de toute l’extrême droite radicale de France et de Navarre. Academia Christiana, institut de formation identitaire catholique visée aussi par une procédure de dissolution depuis la fin 2023, évoque « la meilleure jeunesse du pays ». Le discours est similaire chez les néofascistes sudistes de Tenesoun et Jean-Marie Le Pen lui-même affiche son soutien dans son « journal de bord 639 ».

    Des encouragements qui rendent les militants angevins bravaches. Jean-Eudes Gannat, le patron de l’Alvarium – ex-militant FN et fils de Pascal Gannat, ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen –, prévient que l’organisation ne se pliera pas à la dissolution. « C’est un fait que nous avons des lieux qui nous appartiennent ou appartiennent à des sympathisants. Et par conséquent, dans ces conditions, ça va être très difficile de nous empêcher d’exister. Et même si nous n’avions plus de lieu, qui va nous empêcher de coller des banderoles, d’éditer des affiches ? », déclare-t-il à RCF Anjou.

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    Faux-nez et stratégie de contournement

    Le porte-parole de l’Alvarium et ses amis ont pris soin d’anticiper le couperet et ont tenté de brouiller les pistes, comme l’a repéré le Réseau angevin antifasciste. Comment ? En déposant les statuts de plusieurs associations, toutes prêtes à prendre la relève de celles qui couvraient l’Alvarium, dont le nom signifie la ruche en latin. Ainsi, deux assos dans le style apoïde ont vu le jour avant la dissolution : les Butineurs de l’Ouest et La Guêpe Ride. Si la prononciation de cette dernière en fait une mauvaise blague, son objet déclaré au Journal officiel confirme la fumisterie : il mentionne la « préservation des deux roux », couleur de cheveux de Jean-Eudes Gannat et son frère François-Aubert. L’artifice est néanmoins inefficace d’un point de vue du droit, compte tenu du mode de dissolution choisi par le gouvernement : il vise non pas une association mais un groupement de fait.

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    Finalement, les militants angevins d’extrême droite ont préféré relancer le Rassemblement des étudiants de droite (Red). Une coquille vide créée au début des années 2010 mais sans réelle activité et dont les militants sont les mêmes que ceux de l’Alvarium. Alors qu’il sommeillait depuis quatre ans, le Red se réveille subitement en janvier 2022. Deux mois après le décret de dissolution de l’Alvarium. Sacré hasard.

    Mais le numéro de bonneteau ne trompe personne : le Red a repris une à une les activités de son grand frère, notamment la lutte contre le pass vaccinal, fonds de commerce de l’Alvarium. Le 11 janvier 2022, un collage détourne le fameux titre des Bérurier noir avec : « La jeunesse emmerde le front vaccinal ». Autre signe : le Red se met, comme l’Alvarium avant lui, à organiser des conférences. Le 28 avril 2022, l’ancienne égérie de Génération identitaire Thaïs d’Escufon est invitée dans un « lieu secret » à Angers. L’endroit est rapidement identifié : il s’agit du local de l’Alvarium rue du Cornet où l’influenceuse d’extrême droite est attendue par des militants venus en nombre. Peu après, l’inventeur de la préférence nationale Jean-Yves Le Gallou est lui aussi discrètement invité à la même adresse.

    Commémoration des fascistes

    Les membres de l’Alvarium utilisent le faux-nez du Red pour perpétuer, en 2022, un autre temps fort de leur existence : le rassemblement annuel du 6 février, où ils commémorent l’émeute antiparlementaire en 1934 des ligues d’extrême droite. Comme à leur habitude, les militants respectent un alignement quasi militaire, munis de torches incandescentes et de bouquets de fleurs, le tout sous un ciel laiteux. Face à une banderole noire déployée au pied de la statue de Jeanne d’Arc, ils écoutent religieusement Jean-Eudes Gannat, qui pérore emmitouflé dans un trench-coat, un mégaphone à la main.

    Ce jour-là, l’Alvarium déguisé en Red brave même une interdiction préfectorale. Au nez et à la barbe de la police qui n’intervient pas plus quand ce petit rassemblement se termine par un pot offert au local de l’Alvarium-Red, avec des participants débordant sur les trottoirs et dans la rue, à la grande surprise des passants et des voisins médusés.

    Ils se retrouvent pour casser du manifestant

    Après l’événement, le parquet d’Angers annonce l’ouverture d’une enquête pour reconstitution de ligue dissoute. La peine maximale encourue paraît dissuasive : trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros. Pas assez pour les nervis de l’Alvarium qui n’en ont cure. Le 30 juin dernier à Angers, ils sortent de leur local historique, armés de bâtons et de battes de baseball pour casser des émeutiers après un rassemblement interdit contre les violences policières, suite à la mort de Nahel à Nanterre. Dans une scène d’une violence inouïe captée par plusieurs vidéastes amateurs, on les voit se projeter depuis la rue du Cornet vers la place Romain. Certains sont masqués et armés. D’autres, comme Jean-Eudes Gannat, n’hésitent pas à s’afficher. Les coups de bâton, de pied et de poing pleuvent. Des manifestants sont roués de coups au sol.

    Quatre des nervis passent ensuite en procès pour violences, port et usage d’armes prohibé et participation à un attroupement pour commettre des violences : Jean-Eudes Gannat, Théodore R., Gaspard B. et Côme Jullien de Pommerol. Mais que faisaient-ils tous là, dans ce local de l’Alvarium, rempli de bâtons et de battes de baseball, mais également de 26 fumigènes et de bombes lacrymogènes, comme l’a révélé la perquisition judiciaire ? L’un des membres, Gaspard B., trouve une réponse toute faite : « On était au local pour se réunir comme on le fait régulièrement, avec le Red ». Avant de prendre de nouveau une posture victimaire : « Ce qui est courant, c’est que le local est régulièrement attaqué ». Cette rhétorique coupable est entretenue depuis les débuts de l’Alvarium. Jean-Eudes Gannat essaie bien de se faire passer pour un militant repenti, malgré son activisme qu’il documente lui-même :

    « Suite à la dissolution de l’Alvarium, j’ai quasiment arrêté de militer. »

    Preuve que la dissolution du groupe ne les a pas vraiment impactés, l’un des avocats des militants à la langue qui fourche totalement pendant sa plaidoirie : « Le local de l’Alvarium… enfin, de la rue du Cornet est fermé ». Référence à l’arrêté municipal de fermeture administrative intervenu le 5 juillet 2023 pour trouble à l’ordre public.

    Malgré les faits, les militants nationaux-catholiques s’en sortent à moindres frais. Seul Côme Jullien de Pommerol écope d’une peine symbolique de deux mois de prison avec sursis pour des coups évidents et filmés. Les autres, dont Jean-Eudes Gannat, sont relaxés pour être intervenus « en état de nécessité ». Une décision d’une rare clémence qui a provoqué la satisfaction des militants, dont le parquet a fait appel.

    Depuis, la petite bande sévit toujours. Avant la fermeture du local, rue du Cornet, elle a eu le temps de déménager ses effets dans un bar voisin, le Bazar, situé dans la proche rue de la Parcheminerie. L’Alvarium-Red y organise ses réunions derrière des portes closes. L’histoire lui donne raison : à ce jour, aucune poursuite, aucune condamnation n’a été annoncée sur la base d’un non-respect de la dissolution qui joue mal son rôle d’épouvantail. Sauf peut-être comme outil de communication, pour donner au grand public une impression d’action de l’État.

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