Sur la seule route qui mène à Kaweni – agglomération rattachée à Mamoudzou, la préfecture de Mayotte (976) – quatre poubelles barrent l’accès aux véhicules cette matinée du mardi 20 janvier 2025. Seuls les secours sont autorisés par la vingtaine de personnes présentes à passer. La banderole « Kaweni est déjà une épave ! Ne nous privez pas du peu qu’on a ! On étouffe ! Nos vies comptent ! », est déployée au sol sur le bitume. Le préfet, sur les lieux, négocie avec les manifestants et tempère : « Je vous demande un dernier effort ». Les raisons de la colère ? La mise à l’abri, après le cyclone Chido, d’environ 500 personnes réfugiées depuis le lycée Bamana vers un gymnase en construction de Kaweni, à quelques kilomètres de là.

Sur la seule route qui mène à Kaweni, quatre poubelles barrent l'accès aux véhicules. Une banderole « Kaweni est déjà une épave ! Ne nous privez pas du peu qu'on a ! On étouffe ! Nos vies comptent ! » est déployée. / Crédits : Louis Witter
Le 3 janvier dernier, des parents d’élèves accompagnaient déjà des manifestantes du collectif des Citoyens de Mayotte. Fondé en 2018, il multiplie depuis les actions, dont le blocage de l’hôpital et des dispensaires pour empêcher aux sans-papiers d’accéder aux soins. Depuis le cyclone, ils exigent le départ de 500 personnes logées dans l’établissement scolaire mahorais. « Il faut que nos enfants puissent reprendre l’école ! », s’emportent Nadia et Fatima devant les grilles du lycée, pancartes à la main. « Bien sûr que nous devons partir d’ici, nous aussi nous avons des enfants qui vont à l’école », insiste Vanessa, l’une des réfugiés à la rue depuis la catastrophe :
« Mais pour aller où ? Il faut que la préfecture trouve des solutions ! »

Le préfet, sur les lieux, négocie avec les manifestants et tempère : « Je vous demande un dernier effort ». / Crédits : Louis Witter
Les collectifs de manifestants, eux, ciblent directement le préfet. « S’il veut les accueillir, il le peut. Mais pas dans nos lycées ! Il faut envoyer ces gens en métropole pour qu’ils fassent là-bas leur demande d’asile ! »

Depuis le passage du cyclone Chido à Mayotte, des collectifs de Mahorais s'opposent violemment à l'accueil de personnes exilées. / Crédits : Louis Witter

« Il faut que nos enfants puissent reprendre l'école ! », s'emportent Nadia et Fatima devant les grilles du lycée, pancartes à la main. / Crédits : Louis Witter
« Des femmes m’ont frappé »
En décembre, le passage du cyclone Chido a ravagé le 101ème département français : 39 personnes sont mortes et 5.600 autres ont été blessées selon le dernier bilan. C’est dans ce contexte que plusieurs centres d’hébergement d’urgence ont ouvert – dans des établissements scolaires, des complexes sportifs… – afin d’abriter les populations les plus exposées. Près de 100.000 personnes s’y sont réfugiés à travers l’île, alors que les vents soufflaient à plus de 200km/h. Les semaines qui suivent, la majorité des occupants sont repartis dans leurs villages avec comme priorité la reconstruction de leurs bangas, ces petites maisons en tôles très présentes dans les bidonvilles de Mayotte. Mais à quelques jours de la rentrée, le lycée Bamana à Mamoudzou et le collège de Kwale à Tsoundzou, commune de la capitale, sont les dernier établissements occupés par plusieurs centaines d’exilés, en majorité originaires de la région des Grands Lacs en Afrique, Congo, Burundi ou encore Rwanda.

En décembre, le passage du cyclone Chido a ravagé Mayotte. Plusieurs centres d’hébergement d'urgence ont ouvert dans des établissements scolaires ou des complexes sportifs, afin d'abriter les populations les plus exposées. / Crédits : Louis Witter
Ces derniers jours, les tensions devant le lycée se sont accentuées et, ce vendredi 17 janvier, plusieurs manifestants se sont introduits dans l’école pour déloger eux-mêmes et par la force les familles. Devant le portail, un homme invective les occupants en hurlant : « Rentrez chez-vous ! ». Devant les policiers, impassibles, des membres des collectifs de manifestants mahorais jettent des matelas et des affaires, avant d’entamer le nettoyage des lieux. « Des femmes m’ont même frappé avec leur balai alors que je n’opposais aucune résistance », témoigne Jules-César, originaire de l’Est du Congo. Comme d’autres, il dénonce la violence avec laquelle les collectifs s’en prennent à eux depuis plusieurs semaines :
« Nous devions normalement aller à Kaweni, où un camp était prêt pour nous. Mais les Mahorais nous ont menacé : ils ont dit que si on venait à Kaweni, ils mettraient le feu au gymnase. »

Ces derniers jours, les tensions devant le lycée se sont accentuées. / Crédits : Louis Witter
Avec le blocage de la route, les collectifs gagnent finalement le bras de fer engagé avec la préfecture : la mise à l’abri prévue le 20 janvier dans le gymnase est annulée. Plusieurs engins incendiaires ont même été lancés sur le bâtiment la veille au soir. Les pompiers ont dû intervenir. Pour une intervenante qui a participé au montage du centre d’accueil, c’est la douche froide, « ça n’était pas parfait, mais au moins c’était organisé… ». Ces agressions posent des questions de sécurité, poursuit-elle :
« On ne peut pas décemment placer 500 personnes dedans après ces agissements. Je n’aurais jamais pu dormir sur mes deux oreilles. La préfecture non plus… »

À Mayotte, les tensions montent sur la mise à l’abri des personnes exilées après le cyclone Chido. / Crédits : Louis Witter
Dans l’urgence, plusieurs bus ont emmené les familles vers le collège de Kwalé à Tsoundzou, dernier établissement sur l’île à toujours héberger des sinistrés. Les lits de camp et la nourriture, eux, sont livrés l’après-midi même par hélicoptère.

Dans l'urgence, plusieurs bus ont emmené les familles vers le collège de Kwalé à Tsoundzou, dernier établissement sur l'île à toujours héberger des sinistrés. / Crédits : Louis Witter

« On ne peut pas décemment placer 500 personnes dedans après ces agissements. » / Crédits : Louis Witter
Xénophobie
Sur le stade du collège de Kwalé, qui jouxte les salles où sont hébergées les familles, Aimé, 13 ans, arrivé en juillet du Congo, s’attriste de la situation. Lui est en quatrième. Il raconte les tensions et les propos xénophobes de ces camarades :
« À l’école, tout le monde m’appelle l’Africain et personne ne veut jouer avec moi. »

La préfecture n'a pour le moment donné aucune information sur un possible nouveau lieu de mise à l’abri des sinistrés. / Crédits : Louis Witter
À côté de lui, Bowendi, âgé d’une cinquantaine d’années, abonde. « Quand nous sommes arrivés dans cet hébergement, nous avons été accueillis à coups de pierres et d’insultes. Ça a duré jusque tard dans la soirée. La police a dû faire fuir les assaillants en utilisant des gaz lacrymogènes. »

« Quand nous sommes arrivés dans cet hébergement, nous avons été accueillis à coups de pierres et d'insultes. » / Crédits : Louis Witter
Au même moment, des parents d’élèves et des habitants de Tsoundzou masqués font irruption sur le terrain de sport avec une banderole xénophobe :
« Tsoundzou n’est pas la poubelle de Mayotte. »
Sélavi, originaire du Congo, traduit en colère :
« Donc nous sommes des déchets, c’est ça ? Pourquoi tant de racisme alors que nous sommes tous noirs ? »

Des parents d'élèves et des habitants de Tsoundzou ont fait irruption sur le terrain de sport avec une banderole : « Tsoundzou n'est pas la poubelle de Mayotte. » / Crédits : Louis Witter
La police intervient et tente de temporiser. Farouk, un habitant, interpelle un jeune hébergé. « On sait que vous aussi, vous ne voulez pas rester là. Nous voulons que nos enfants puissent récupérer leur collège. » À quelques mètres de là, dépité, un agent technique de la mairie se désole. « C’est déplorable d’entendre tous ces propos sur les migrants depuis des semaines. » Pour Cheikh, qui a participé au montage du campement de Kaweni finalement abandonné par les autorités, « ces gens n’arrivent pas à Mayotte pour le plaisir » :
« Ils fuient la guerre. Et là, des gens rajoutent du traumatisme à leurs traumatismes en les agressant, c’est déplorable ! »

« Bien sûr que nous devons partir d'ici, nous aussi avons des enfants qui vont à l'école », lance une des réfugiés à la rue depuis la catastrophe. / Crédits : Louis Witter
La préfecture n’a pour le moment donné aucune information sur un possible nouveau lieu de mise à l’abri des sinistrés. Dans un message audio envoyé sur WhatsApp aux habitants, le sous-préfet précise toutefois :
« Les personnes vont partir petit à petit, à partir de vendredi. »
« Il y a de fortes chances qu’il s’agisse d’expulsions sèches », confie une source proche du dossier.
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