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    04/02/2025

    « La CR incarne un trumpisme rural nourri au grain de la détresse »

    La Coordination rurale, un syndicat à l’extrême droite du monde agricole

    Par Daphné Deschamps , StreetPress

    C’est le syndicat d’extrême droite du monde agricole. Les dirigeants de la Coordination rurale soutiennent le RN et l’un d’eux se rêve même en ministre de Jordan Bardella. Sur le terrain, ils multiplient les intimidations. Enquête.

    « On va détruire ta ferme et vos bureaux ! », articule lentement Lionel Candelon, agriculteur gersois et turbulent leader des « Canards en colère ». Ce 10 mai 2023, celui qui deviendra quelques mois plus tard le patron de la Coordination rurale (CR) du Gers ne menace pas. Il promet. Le pire, comme souvent. Au bout du fil, Sylvie Colas, porte-parole de la Confédération paysanne et agricultrice du même département, encaisse, et enregistre les invectives de ce trentenaire qu’elle connaît bien. Avec l’aval de la Conf’, syndicat proche des « escrolos » honnis par la CR, elle porte plainte. Le coup de semonce de Lionel Candelon, ex-militaire revenu à la terre, fait suite à un communiqué favorable à l’élevage en plein air signé par Sylvie Colas alors que la grippe aviaire décime la filière avicole locale : Candelon, dont l’élevage « se trouve dans le secteur contaminé », l’accuse « d’accabler les éleveurs », et d’être « responsable » de la pandémie.

    À la tête de trois chambres d’agriculture, la Coordination rurale espère en rafler plus d’une quinzaine lors des élections, dont les résultats seront connus ce 7 février. Et pour que les bulletins tombent comme des fruits mûrs dans sa besace, le syndicat verse dans le coup d’éclat permanent. Aux dernières heures de la campagne pour les chambres, les Jeunes agriculteurs (JA) du Gers qui font listes communes avec la FNSEA, ont fait les frais de ces méthodes abondamment relayées sur les réseaux sociaux, que la CR utilise sans modération ni modérateur. « Violence, misogynie, populisme, racisme… La CR incarne un trumpisme rural nourri au grain de la détresse et des difficultés d’un grand nombre d’agriculteurs », résume Sylvie Colas à propos de ceux qui ne veulent pas conquérir les chambres d’agriculture, mais bel et bien « les prendre ». Sous les bonnets jaunes, dont la CR a constitué le gros des troupes lors de la fronde paysanne de l’hiver dernier, la tentation brune fait plus qu’affleurer sous les applaudissements de l’extrême droite dans toutes ses composantes.

    Un syndicat plus que bourrin

    Fin 1991, la Coordination rurale naît d’une rupture avec la FNSEA, indéboulonnable leader du syndicalisme paysan. D’abord associative et transpartisane, elle rassemble des agriculteurs de tous bords politiques hostiles à la réforme de la politique agricole commune (PAC) qui expose les marchés à la concurrence mondiale. Quelques paysans de la Confédération paysanne et du Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), marqués à gauche, l’intègrent puis se carapatent à force de dérives ultra-droitières dénoncées même par Bernard Lannes, ex-patron de la CR de 2010 à 2022. Désormais en guerre contre l’hégémonique FNSEA, jugée trop proche du pouvoir par le mouvement dissident, la CR fait feu de tout bois. Une radicalité qui « aimante les ultras de la FNSEA. Beaucoup de ceux-là ont basculé dans les rangs de la CR », commente Benoît Biteau, ancien eurodéputé EELV et désormais élu en Charente-Maritime. Agriculteur bio, lui-même est visé par des « appels au meurtre depuis les mobilisations de Sivens, il y a maintenant plus de 10 ans ». En 2021, il a même été victime d’un sabotage qui aurait pu tourner au tragique :

    « De glorieux anonymes ont semé du datura, une plante hautement toxique, dans mes parcelles de sarrasin. J’ai dû détruire toute ma production, et si je ne m’en étais pas rendu compte, les ravages sanitaires auraient été considérables. Il aurait pu y avoir des morts. »

    Plusieurs « gros malins de la CR » ont ensuite moqué l’affaire sur les réseaux sociaux, sans qu’il s’agisse d’une revendication claire, le ton est donné.

    Un épisode parmi d’autres. En janvier 2022, un agité de la CR a tenté de faire passer par-dessus la balustrade d’un pont un des porte-paroles de Bassines non merci, en marge d’un rassemblement dans les Deux-Sèvres. Plusieurs opposants aux méga-bassines de Sainte-Soline se souviennent des gros bras de la CR venus en 4×4 et en armes crever des pneus ou tabasser des manifestants. « Pour moi, on peut quasiment parler de milices, quand on a des gens qui circulent armés autour des bassines sous couvert de chasse », pose Julien Le Guet, autre porte-parole de Bassines non merci. Dans le Gers, après avoir intimidé l’agricultrice Sylvie Colas au téléphone, le président local de la CR Lionel Candelon a été condamné pour « menaces de mort » envers les services vétérinaires du département. Le bouillant Gascon avait qualifié les vétos de « sous-races » leur promettant « un feu d’artifice digne de la Corse » en cas de visite. « Cette sortie de route lui a valu une amende, mais de ces sanctions, il fait des titres de gloire ! », s’agace Sylvie Colas. La maraîchère dénonce la démagogie de la CR :

    « Ces gens pratiquent un syndicalisme dangereux et strictement défoulatoire, incapable d’apporter des solutions. À la Chambre d’Agriculture du Gers, leurs représentants se la jouent comme Bardella à Bruxelles : ils ne siègent pas, le vrai travail syndical les intéresse peu. »

    Avec le RN, « la sympathie n’est pas feinte »

    Avec des figures comme Véronique Le Floc’h, sa blonde et bretonne présidente depuis 2022, ou Amélie Rebière, patronne de la CR corrézienne, les « robocops » des campagnes « ont voulu adoucir leur image, mais la violence et le virilisme sont constitutifs de leur identité », soutient Benoît Biteau. À la tête de troupes qu’elle peine à contrôler, Véronique Le Floc’h s’ingénie à convaincre les foules de la démarche apolitique de la CR, mais les dénégations de cette ingénieure agronome de formation tournent à vide. « La délégation du Rassemblement national (RN) est celle qui l’a le plus invitée à Bruxelles », ronronne l’ex-eurodéputé RN Gilles Lebreton, qui a siégé à la commission Agriculture à Bruxelles de 2014 à 2019. « Entre elle et nous, la sympathie n’est pas feinte. Il y a une porosité de points de vue sur la tyrannie écologiste, l’inflation des normes, la concurrence déloyale, mais aussi les périls qui pèsent sur l’identité et les valeurs du monde rural », poursuit ce fervent mariniste. Ambigüe, Véronique Le Floc’h concédait à StreetPress en juin dernier, au moment des élections législatives anticipées, qu’« il y a encore quelques années, les agriculteurs penchaient pour la droite classique, mais Les Républicains (LR) ont beaucoup molli » :

    « Aujourd’hui, le RN nous écoute et accueille nos contributions avec beaucoup de bienveillance. Nous apprécions, mais ce constat ne vaut pas caution pour autant. »

    Un « je t’aime moi non plus » un peu obscur. Pour la lumière, mieux vaut considérer les faits qui, eux, laissent peu de place au doute. Christophe Barthès, qui a fait partie de la vague de députés RN élus en juin 2022, est l’ancien vice-président de la CR d’Aude. Quant à Yannick Bodin, l’actuel président de la section manchoise et candidat à la présidence de la chambre, il a été le suppléant de la candidate RN lors des élections législatives anticipées de l’été 2024. « La CR est une courroie de transmission du Rassemblement national dans le monde rural », affirme Pierre Thomas, président du Modef. Reconquête, le parti de Zemmour leur fait aussi du gringue. « Sarah Knafo les a reçus à Bruxelles », ponctue le porte-parole du parti, Stanislas Rigault.

    En avril 2024, le Cevipof a sondé les intentions de vote au sein de trois grands syndicats agricoles. Et, ô surprise, il est apparu que 47 % des adhérents de la CR s’exprimaient pour le RN et 15 % pour Reconquête. « Ce parti cristallise beaucoup d’attentes dans nos rangs parce qu’on ne l’a pas essayé, mais s’il arrivait au pouvoir et nous décevait, je ne répondrais de rien », commentait Véronique Le Floc’h en juin.

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    Dans ses tracts de la Coordination rurale, Serge Bousquet-Cassagne se vante de ses 17 procès, dont beaucoup pour violences. / Crédits : DR

    « Bousquet-Castagne », vraie bascule vers le RN

    Des précautions oratoires dont Serge Bousquet-Cassagne, « vrai » big boss de la CR sur le terrain et président de la Chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne depuis 2013, ne s’embarrasse pas. Surnommé « Bousquet-Castagne » ou sobrement « Dieu » par ses fidèles groupies, ce fort en gueule démago à souhait est pour beaucoup dans la bascule du syndicat à la droite de la droite. En novembre dernier, l’agriculteur a déclaré sa flamme à Jordan Bardella en marge d’un meeting du patron du RN à Tonneins :

    « On ne t’attend pas comme le messie mais pas loin. »

    Celui qui s’imagine devenir son ministre de l’Agriculture selon Sud-Ouest a d’ailleurs appelé à voter « à titre personnel » pour les trois candidats du parti lepéniste du Lot-et-Garonne lors des élections législatives anticipées. « Merci beaucoup Serge », ont répondu en chœur les candidats concernés.

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    Pour une histoire de lac artificiel, pour lequel il a été condamné, « Bousquet-Castagne » peut promettre « la guerre » contre le préfet du département sur Facebook. / Crédits : Facebook

    « Je connais mes disciples et je peux vous jurer que 80 à 90% des adhérents votent RN. De toute façon, entre les connauds en souliers vernis à la solde de Macron et les escrolos écolos de gauche, qu’est-ce-qui s’offre à nous ? », lâchait alors Bousquet-Cassagne à StreetPress. Ces derniers mois, l’idole paysanne qui s’enorgueillit des quelque 17 procès qui l’ont visé, dont beaucoup pour violences, a copieusement labouré le terrain pour soutenir les candidats CR aux chambres à grand renfort de laïus populo-testosteronés. Perle entre quelques autres, la promesse de convertir les chambres gérées par la CR en « gilets pare-balles contre tous ceux qui nous veulent du mal et leurs sbires ».

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    Le président de la Chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne semble être un grand fan du RN et des points de suspension. / Crédits : Facebook

    Capable de traquer Marine Tondelier et lui dire qu’il va « l’attraper » et la « plumer », l’agriculteur peut également promettre « la guerre » contre le préfet local sur Facebook. « C’est une brute », soupire un élu de la Confédération paysanne. « Ici, tu as forcément un pote ou un cousin à la CR. Alors personne n’ose contester », se désole Arthur (1), jeune agriculteur du Lot-et-Garonne.

    Des profils très radicaux et des départs

    D’autant que derrière le baron local pullule une palanquée de figures tout aussi radicales. Pendant des années, Richard Roudier, leader de la Ligue du Midi, un groupuscule identitaire violent, a par exemple présidé la section du Gard de la Coordination rurale. En 2014, lors d’une descente contre des opposants au barrage de Sivens, des militants de la CR47 s’autoproclament « chemises vertes ». Une référence aux comités de défense paysanne, groupe fascisant de l’entre-deux-guerres, proche de l’Action française. Est-ce en souvenir de cette amitié que Sophie Lenaerts, vice-présidente de la Coordo’, s’est pointée en août dernier à l’université d’été du mouvement royaliste d’extrême droite ? Elle s’est en tout cas réjouie de l’accueil.

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    À la tête de trois chambres d’agriculture, la Coordination rurale espère en rafler plus d’une quinzaine lors des élections, dont les résultats seront connus ce 7 février. / Crédits : DR / Facebook

    Plusieurs adhérents de la CR du Tarn-et-Garonne ont en revanche décidé d’aller planter leurs choux syndicaux ailleurs. En cause, la dérive ultra-droitière du bureau local incarnée par les radicaux Christian Schievene et Pierre-Guillaume Mercadal. Le premier est co-président départemental, le second porte-parole, bombardé tête de liste aux élections à la chambre d’agriculture. Le tandem « politise outrageusement notre combat », tacle Cédric Carran, qui avec une poignée de dissidents vient de fonder le Syndicat des paysans occitans. Désolé que Véronique Le Floc’h échoue à tenir les épandeurs de populisme qui gangrènent la CR, ce céréalier bio condamne « une démarche anti-système qui s’exerce sur le dos des paysans ». Il n’y a qu’à voir les prises de positions de Christian Schievene sur X. Outre les retweets de Marion Maréchal, de sa tante ou de Sarah Knafo, le co-président de la CR82 repartage des propos de Jean Messiha, du Cercle Aristote – dirigé par le souverainiste Pierre-Yves Rougeyron, qui a fricoté avec Serge Ayoub – et des appels à violenter les migrants « et ceux qui les aident ». Quant à l’éleveur de cochons laineux, Pierre-Guillaume Mercadal, passé par la Confédération paysanne, c’est une figure bien connue de la fachosphère. Ce proche de l’influenceur d’extrême droite Papacito, marié à la chanteuse néonazie Epona (son mari conteste ce qualificatif 2), apparaît dans plusieurs de ses vidéos contre le maire de son village. L’affaire a lancé un intense harcèlement de l’édile et d’un journaliste pour lequel Mercadal a été condamné à un an de prison avec sursis. L’éleveur précise à StreetPress qu’il a fait appel de la décision (2).

    Dans l’Aveyron, certains agriculteurs racontent aussi avoir été poussés vers la sortie, voire « purgés » pour leur manque de proximité avec le Rassemblement national. Quelques-uns de ces « mal-pensants » ont rallié le Modef. Son président Pierre Thomas analyse :

    « Le nettoyage a été fait pour éviter d’avoir des gens qui critiquent le RN. »

    (1) Le prénom a été changé.

    (2) Edit le 6/02. Le 31 janvier 2025 jour de la publication, il n’y avait aucune mention d’un appel de la décision par Pierre-Guillaume Mercadal et le parquet n’avait pas répondu à nos sollicitations. M. Mercadel a affirmé à postériori avoir fait appel, information que nous ajoutons à l’article. Dans ce même échange, il affirme que son épouse n’est pas néonazie mais qu’elle pratique l’humour noir.

    Illustration de Une de Caroline Varon.

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