En ce moment

    12/11/2025

    Ces catholiques intégristes possèdent une cinquantaine d’établissements scolaires hors contrat

    Dans les écoles de la Fraternité Saint-Pie X, les violences oubliées de la récente commission parlementaire

    Par Jeanne Casez

    Malgré un débat national sur le contrôle de l’enseignement privé cette année, le réseau scolaire de la Fraternité Saint-Pie X n’est pas inquiété. StreetPress révèle des faits de violences et d’endoctrinement dans cinq de ces écoles entre 1995 et 2020.

    De l’extérieur, ce sont de grandes bâtisses en pierre, des châteaux parfois, dont on voit rarement sortir quelques têtes blondes en uniforme. De l’autre côté des murs, d’anciens élèves racontent avoir été terrorisés au nom du diable, avoir reçu des coups, parfois même subi des attouchements sur leurs parties intimes par le personnel encadrant. En classe, ils auraient appris que les chambres à gaz des camps de concentration nazis n’ont pas existé et que le maréchal Pétain a sauvé les Juifs. Ces écoles sont celles de la Fraternité Saint-Pie X (FSSPX), une communauté catholique traditionaliste ayant rompu avec le Vatican. Il en existe aujourd’hui 56. Mais peu de Français les connaissent, pas même ceux qui vivent à côté.

    L’actualité parlementaire n’y a rien changé. En février, les révélations de Médiapart sur l’affaire Bétharram ont entraîné une vague de témoignages sans précédent : 80 collectifs de victimes se sont formés et 260 établissements scolaires ont été accusés de violences, selon les chiffres du ministère de l’Éducation nationale.

    Malgré la création d’une commission d’enquête parlementaire exceptionnelle pour recueillir la parole des victimes et engager la responsabilité de l’État au printemps, aucun débat n’a été amorcé sur les dérives de l’enseignement traditionaliste. Pour tenter d’y remédier, sept anciens fidèles de cette mouvance intégriste prennent le risque de témoigner. Seule une des écoles concernées a répondu à nos questions. Contactée, la Fraternité n’a pas donné suite à nos sollicitations.

    À LIRE AUSSI : Cartofaf

    Climat anxiogène et insalubre

    La mère de Benoît lui a raconté s’être convertie à la Fraternité Saint-Pie X après avoir vu la Vierge apparaître sur la chaise d’un musée. Il n’a pas assisté à la scène mais en porte les conséquences dans sa chair. Sur les conseils d’un abbé, lui et ses six frères et sœurs ont été envoyés étudier dans les pensionnats de la communauté. Le cadet de 28 ans analyse rétrospectivement :

    « Nos parents nous y ont abandonnés. Comment voulez-vous qu’ils puissent s’occuper d’une si grande fratrie ? »

    En 2005, Benoît atterrit à La Péraudière, dans le Rhône (69). L’école enseigne une pratique rigoriste de la religion. Une dizaine de prières par jour sont imposées : au réveil, en début et en fin de chaque cours, de chaque repas et de chaque étude du soir. Déjà bien lancé dans le monde du travail, il se souvient difficilement du contenu de ses cahiers mais il n’a pas oublié les « baffes », les « fessées » et encore moins les « coups de poing dans les côtes pour qu’on se tienne droit ».

    À LIRE AUSSI : Casino utilise l’arrondi en caisse pour financer des écoles privées hors contrat proches de la droite conservatrice

    Une fois, un professeur de latin lui aurait cassé une planche sur le coccyx dans la salle de bain. Sa blessure l’aurait empêché de courir pendant un mois. Dans ses souvenirs, personne n’aurait fait appel à un médecin. Contactée, la direction actuelle de La Péraudière « n’a pas connaissance du coup » et répond que « ce type de pratique n’est pas toléré au sein de l’établissement ». Benoît pose le récit d’une violence banalisée :

    « On arrivait à un point où ça ne nous faisait plus rien. On en jouait, limite. C’était comme si on cherchait les coups. »

    Charles (1), un paysagiste de 23 ans, a fait un passage dans cette école avec son petit-frère entre 2012 et 2015, avant que le divorce de ses parents ne les éloigne de leur père et de la FSSPX. Il se souvient bien de « quelques claques » mais ses cauchemars lui rappellent surtout « les conditions de vie insalubres » de l’internat. Les 13 degrés affichés au thermomètre des chambres les nuits d’hiver, l’unique toilette assise disponible dehors pour cinquante pensionnaires, le « filet d’eau » de la douche à laquelle ils avaient accès deux fois par semaine et la nourriture avariée qu’on lui a parfois demandé d’avaler dans un silence religieux.

    Clothilde (1) se rappelle avoir été « traînée par les cheveux pour un éclat de rire ». Mais dans les écoles traditionalistes pour filles, l’essentiel des violences se situe ailleurs, « quelque part entre la peur et l’asservissement », selon elle. Dès l’âge de cinq ans, en 2006, elle est interne au Cours Saint-Anne de la Providence de Saint-Franc (73), à 150 kilomètres de chez ses parents. L’étudiante se souvient :

    « On nous terrorisait avec le diable. »

    « Les enseignantes s’amusaient à nous “kidnapper” en nous mettant dans des sacs de pommes de terre, puis elles nous enfermaient dans une pièce où nous étions obligées d’avouer nos péchés sous peine d’aller en enfer. » L’école est aujourd’hui fermée. Consulté par StreetPress, le règlement intérieur de l’époque s’adresse aux élèves sur un ton pour le moins anxiogène :

    « Sachons que nous vivons en un temps de corruption — que nous venons d’un monde où Jésus Christ est méprisé […]. En conséquence, soyons sûrs que nous sommes atteints du Mal et qu’il faut nous méfier de nous-mêmes. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/5_18.png

    Consulté par StreetPress, l'ancien règlement intérieur de l'école s'adresse aux élèves sur un ton pour le moins anxiogène. / Crédits : DR


    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/7_15.png

    « Anxiogène », c'est le moins que l'on puisse dire... / Crédits : DR

    Des violences ignorées

    Scolarisée ensuite au Cours Saint-Dominique de Pouilly-en-Auxois (21), en Côte d’Or, Clothilde raconte avoir été « mise à l’écart, dans une chambre à part » après le divorce de ses parents. « J’étais vue comme la fille du diable. » À la maison, elle et ses six frères et sœurs étaient battus. « Nous avons connu la barre de fer, le nerf de bœuf, la cravache. » Mais la violence de ses parents aurait été ignorée par les religieuses enseignantes voire encouragée par la communauté. « À la messe, j’ai entendu le prêtre conseiller de battre les enfants comme des animaux pour les éduquer. » Quand elle quitte l’internat pour un lycée public, l’adolescente pèse 32 kg pour 1 m 68 :

    « J’avais 15 ans. C’était la première fois qu’on me demandait comment j’allais. »

    Survenus entre 2005 et 2015, les faits dénoncés par ces trois premiers témoins sont récents et laissent craindre que de telles méthodes soient restées de mise dans ces pensionnats. Difficile de le savoir : aucune victime et aucun responsable de ces 56 écoles n’ont été auditionnés par la commission d’enquête parlementaire sur la prévention des violences en milieu scolaire. « Nous étions submergés par les témoignages, nous n’avons pas pu tout étudier », regrette Violette Spillebout, députée Renaissance co-rapporteuse de la commission, aux côtés de Paul Vannier (La France insoumise). Interrogées sur ces nouveaux éléments, les équipes de ces deux parlementaires ont immédiatement réagi. Un signalement via l’article 40 du Code de procédure pénale a été envoyé aux procureurs des territoires concernés. Les ministères de l’Éducation nationale et de la Justice ont également été informés.

    À LIRE AUSSI : J’ai grandi dans une école d’extrême droite

    Favoriser les inspections inopinées, former les encadrants au recueil de la parole de l’enfant, faire connaître les plateformes de signalements : une future proposition de loi, ainsi qu’un comité de suivi parlementaire devraient bientôt renforcer la prévention de tous les types de violences, dans tout type d’établissement, promet l’élue. Elle enchérit : « En matière de protection de l’enfance, le droit doit être transversal. L’enfant n’a pas choisi où il va à l’école. »

    Des violences sexuelles

    Mais un enfant qui grandit dans la Fraternité a-t-il des chances d’être entendu et cru par ses pairs ? Cette communauté est surveillée par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires depuis 2017 — elle est à nouveau citée dans un rapport de l’instance en juin. « Dans un système clos qui est en alerte sectaire, le risque de la violence systématique est plus élevé », complète Violette Spillebout, qui enjoint l’Éducation et l’Intérieur à coopérer sur ce dossier particulier.

    À LIRE AUSSI (en 2022) : Les catholiques antirépublicains de la Fraternité Saint-Pie-X

    Rares sont les familles qui se dressent contre la mouvance. Anne (1) en connaît le prix. Convertie à la Fraternité Saint-Pie X par ses parents, mariée à un homme de la communauté et mère de dix enfants, elle a été contrainte de placer ses quatre premiers fils à La Péraudière à la fin des années 1990 :

    « C’était un arrache-cœur, mais les prêtres nous y obligeaient. C’était une question de péché mortel. »

    À l’époque, les garçons reviennent à la maison un week-end sur trois. Quatre années s’écoulent avant que le plus jeune d’entre eux n’avoue à sa mère l’innommable, des faits révélés par « Le Nouvel Obs » en 2017. Elle confie à StreetPress :

    « Il m’a dit que son professeur passait sa main sur ses parties intimes sous la douche et que ça lui faisait mal. »

    Ses trois grands-frères passent aux aveux dans la foulée : eux aussi subissent les attouchements de Bruno C. sous la douche. Anne est impuissante. Elle et les enfants dénoncent les violences du père, selon un arrêt de la chambre de l’instruction que StreetPress a pu consulter. « J’étais ligotée. » En 2006, un médecin alerte les services sociaux, qui offrent un appartement et une porte de sortie à la mère de famille. Anne fuit le domicile conjugal avec ses dix enfants sous les bras, dépose plainte pour violences contre son mari et signale, dans une lettre adressée à la procureure de la République de Cusset, les agressions sexuelles subies par ses fils à La Péraudière.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/3_36.png

    Anne a placé, par contrainte, ses quatre premiers fils à La Péraudière à la fin des années 1990 qui ont dénoncé les attouchements sexuels de Bruno C. Après avoir signalé dans une lettre adressée à la procureure de la République de Cusset les agressions subies par ses enfants, l'ancien directeur la menace. / Crédits : DR

    Philippe Houzelle, l’ancien directeur de l’école, tente de la faire taire. « Je vous serai gré de mettre fin au plus tôt à ces faux bruits. Je pense que votre esprit catholique comprendra ma démarche », lui écrit-il dans une lettre consultée par StreetPress. Un courrier anonyme, reçu à son nouveau domicile, se veut plus menaçant. « Honte à vous madame, vous qui enlevez leur père à vos enfants pour avoir écouté vos mauvais génies. Ces injustices vous vaudront des violences bien plus dures dans l’éternité. »

    Dix élèves ont déclaré à la justice avoir été victimes de Bruno C., certains en dehors des douches. Une enquête a été ouverte, mais le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu. « L’information judiciaire n’a pas permis d’établir que ces gestes avaient une connotation sexuelle », a statué la cour d’appel de Lyon en 2016, qui a confirmé la décision. Dans l’arrêt en question, l’intéressé explique avoir agi ainsi pour vérifier la propreté des enfants, « comme une maman le ferait ».

    L’ancien directeur Philippe Houzelle y admet aussi avoir renvoyé un enfant de l’établissement « car il avait fait courir le bruit qu’il avait téléphoné au 119 [le numéro d’urgence de la protection de l’enfance, ndlr] depuis l’école ». Une autre plainte pour agression sexuelle a par la suite été déposée à l’encontre du professeur et a été classée sans suite. Mais selon le parquet de Lyon, Bruno C. est actuellement « mis en examen pour des chefs de viol et d’agression sexuelle sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité sur la victime ». Il est « placé sous contrôle judiciaire assorti d’une interdiction d’exercer toute activité impliquant un contact habituel avec des mineurs » (2). La direction indique avoir eu « connaissance des accusations » et qu’elle suivrait « de près cette affaire » après avoir « elle-même informé la justice ». Elle dit se tenir « aux côtés des anciens élèves plaignants ». Selon nos informations, Bruno C. resterait pourtant hébergé dans des locaux appartenant à La Péraudière, à plus d’un kilomètre de l’internat. L’établissement affirme pour sa part que le professeur « n’a plus de contact avec l’école ».

    Le contenu idéologique des cours en question

    Dans les écoles pour filles, le sujet des violences sexuelles n’est pas abordé. Scolarisée au Cours Saint-Dominique du Cammazou (11), dans l’Aude, jusqu’en 2020, Déborah (1), 23 ans, reste marquée par les propos de sa professeure principale au sujet du viol. « Elle nous a dit qu’une femme pouvait toujours choisir de dire non. » Les écolières de la Fraternité n’ont pas de cours d’éducation sexuelle. En sciences, un manuel sur la reproduction humaine affiche l’ambition de « contribuer à l’émerveillement des jeunes filles devant les splendeurs de la création ».

    « On nous faisait comprendre que notre seul rôle social était de fonder une famille nombreuse ou de servir un prêtre, qu’on est intrinsèquement faites pour ça », explique Madeleine (1), 35 ans, ancienne élève du Cours Saint-Thomas d’Aquin de Romagne (86), dans la Vienne. « Une éducation extrêmement sexiste », résume Déborah, qui l’a par la suite dissuadée de poursuivre des études scientifiques, et désarmée face à des situations de violences sexuelles.

    Le contenu idéologique des cours a valu à la Fraternité Saint-Pie X d’être citée dans le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les violences à l’école. Connue pour ses liens avec Jean-Marie Le Pen — il a reçu l’extrême-onction d’un ancien de l’église intégriste Saint-Nicolas-du-Chardonnet (75005), principal lieu de culte de la FSSPX — ou encore les cercles royalistes de France, le mouvement catholique aux 15.000 fidèles dans l’Hexagone se situe à la droite des extrêmes droites. Ces écoles, dont est par exemple issu le militant radical multi-condamné Marc de Cacqueray-Valmenier (3), sont au service d’un projet politique identitaire, révisionniste et réactionnaire. Marie (1) a elle aussi été scolarisée à Romagne au cours des années 2010. Elle résume dix ans d’endoctrinement :

    « En sortant de là, je pensais que les chambres à gaz n’avaient pas existé, que les Juifs étaient un peuple aux manettes de ce monde, et que la colonisation était un bienfait pour les Indigènes. »

    Au Cours Saint-Dominique de Pouilly-en-Auxois, Clothilde se souvient avoir appris « que Hitler n’était pas si monstrueux, car selon la Bible, les Juifs seraient punis jusqu’à la fin des temps ».

    À LIRE AUSSI (en 2023) : Marc de Cacqueray, noble et nazi

    Consultés par StreetPress, une poignée de rapports d’inspection signalaient déjà les dérives de l’enseignement traditionaliste à la fin des années 2010. Le Comité national d’action laïque les a révélés au grand public en 2021 mais l’alerte a sonné dans le vide. « On élève des enfants en dehors de la République. C’est quand même assez effrayant ce sectarisme », commente la secrétaire générale de l’organisme, Marie-Laure Tirelle. Selon elle, aucun doute :

    « Ces écoles continueront à fonctionner ainsi si l’État ne se soucie pas spécifiquement de la question du hors contrat. »

    Une école hors contrat comme celles de la FSSPX peut s’ouvrir sur une simple déclaration de son directeur. À ce jour, aucune législation ne permet au préfet de fermer ce type d’établissement pour des motifs pédagogiques. Ce réseau scolaire continue de s’étendre dans l’indifférence des pouvoirs publics. La Fraternité et ses congrégations amies ouvrent une école par an depuis 2010.

    « On m’a volé quinze ans de ma vie. Quinze ans de lavage de cerveau », lâche Marie, 26 ans. L’étudiante s’est affranchie de la mouvance intégriste après un combat intérieur contre la peur d’aller en enfer et de vivre dans le péché : « Je veux que cela cesse. Je veux que ces écoles ferment pour le mal qu’elles ont causé et qu’elles continuent de causer à des centaines d’enfants innocents. »

    (1) Les prénoms ont été modifiés.

    (2) La procédure étant en cours, il est présumé innocent.

    (3) Contacté, Marc de Cacqueray-Valmenier a refusé de répondre aux sollicitations de StreetPress.

    Illustration de Une par Joseph Colban.

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER