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    11/12/2018

    Les héritiers du GUD au tribunal

    Six militants d’extrême droite devant la justice pour des violences et dégradations sur les Champs-Élysées

    Par Christophe-Cécil Garnier , Yann Castanier

    Six militants d'extrême droite, membres du Bastion social ou des Zouaves, sont passés devant la justice pour des violences et dégradations commises sur les Champs-Élysées lors de l’acte 3 des gilets jaunes, le 1er décembre dernier.

    Tribunal de Grande Instance de Paris – « Putain ! » Du fond de la salle, l’auteur de l’insulte regarde de ses yeux tombants son ami quitter le box, encadré de policiers. Aloys V. est maintenu en détention, ce qui déclenche la colère de ses soutiens. Les cinq autres prévenus, interpellés comme lui le vendredi 7 décembre à l’aube, écopent d’un contrôle judiciaire. Tous sont issus de la même mouvance : membres des Zouaves ou du Bastion social, deux groupuscules d’extrême droite.

    Hooligans

    Il est minuit et demi et l’audience vient à peine de se terminer. La journée a été longue pour la petite bande, présente dans le grand atrium du tribunal dès le début d’après-midi. Ils sont une dizaine, bientôt plus, presque tous coiffés d’une mèche. La plupart portent des griffes qu’affectionnent les « indeps », les hooligans français. Lyle and Scott, Barbour et Stone Island côtoient des marques plus grand public comme Fred Perry ou The North Face.

    Certains appartiennent au Bastion social, ce mouvement fondé il y a plus d’un an à Lyon et qui essaime aux quatre coins de la France (Strasbourg, Marseille). D’autres font partie des Zouaves Paris, un petit groupe affinitaire qui reprend les codes de la mouvance hooligan. Deux structures nées juste après la mise en sommeil du Groupe Union Défense (GUD), organisation nationaliste-révolutionnaire violente.

    Long long day

    Le petit groupe squatte les bancs dehors ou à l’intérieur de la salle. Plusieurs s’agacent de l’attente. Avant leurs camarades, jugés en dernier, une dizaine de gilets jaunes passent devant le tribunal, du pompier relaxé au Breton sans activité depuis trois ans, coupables d’avoir transporté à Paris « un équipement digne de Robocop », selon le procureur. Lors d’un délibéré, un journaliste brésilien a le malheur de discuter le bout de gras avec un couple de septuagénaires, trop près d’eux. L’auteur du « Putain » de la fin d’audience, barbe et cheveux bruns, lance tout haut :

    « Il peut pas fermer sa gueule ? »

    Vêtu d’une veste noire Lyle and Scott, d’un jean bleu et d’une paire de baskets New Balance pourpres, il enchaîne « Oh c’est un bon enquêteur lui, hein, oh ! », avant de mimer une fellation. À ses côtés, un de ses camarades, « contre le monde moderne » tatoué sur le bras droit, parle de lui en « mettre une ». La soirée s’éternise. Certains parlent même de squatter les bancs du tribunal « jusqu’à trois ou quatre heure du mat’ », s’il le faut :

    « Et on rentre par les premiers métros ! »

    La majeure partie du groupe souhaite absolument rester, « histoire que Marc voie qu’on est là ». Ce dernier, l’un des prévenus incarcérés est, selon nos informations et malgré ses 20 ans, le chef des Zouaves. Après une affaire de vol chez GoSport qui a eu lieu samedi après la manif’, il finit par se présenter dans le box vitré. Il est accompagné d’Aloys V., 22 ans. Il est 22h45 quand les quatre autres prévenus se présentent un à un sur le banc des prévenus : Charles F., Louis D., Vianney G. et Xavier M. Ils ont entre 22 et 27 ans et sont mis en examen pour des violences et dégradations commises sur les Champs-Élysées, lors du troisième acte des gilets jaunes, le 1er décembre dernier. Tous ont été interpellés chez eux au petit matin.

    CV corsé

    Le président du tribunal, dont les yeux oscillent entre le dossier et les prévenus, égrene leurs CV. Il commence par les Parisiens. Aloys V. a déjà été condamné en février 2018 à 105 jours de travaux d’intérêt général, pour des faits de « participation à un attroupement avec une arme blanche ». Vendredi matin, au moment de son interpellation, celui qui se présente comme un gamin studieux a lancé aux policiers :

    « Sales enculés, ça vous fait bander de faire une interpellation à six. »

    Charles F., identifié par les policiers le 1er décembre un pavé à la main, a lui aussi une mention au casier : deux mois avec sursis, en mars 2014, pour violence sur policiers et rébellion. Tout comme Louis D. En novembre 2016, il écope d’une amende de 400 euros, pour un port d’arme blanche de catégorie D. Le juge prend le temps d’étaler son parcours. Il raconte ses nombreuses études, se permettant un petit commentaire :

    « Les études, c’est très bien. Mais il va falloir y aller à un moment [dans le monde du travail] ! »

    La discussion s’étire et le magistrat évoque une grand-mère « déportée ». Le prévenu interrompt le juge et bafouille :

    « Non, non, ma grand-mère était résistante ! »

    Marc D. n’a lui aucune mention au casier judiciaire, ce qui ne veut pas dire qu’il n’a jamais eu affaire à la justice. Le jeune homme aux yeux creusés et à la veste Ellesse bleue et rouge a déjà été impliqué « pour des faits similaires », indique le procureur de la République, mais la condamnation n’est pas encore définitive. Les deux derniers n’ont jamais été condamnés, même si la police a trouvé chez le Haut-Rhinois Xavier M. des armes « de catégorie A ou B » : une carabine Browning, un fusil de chasse de calibre 12 et une 22 long rifle, explique le juge. Dernier prévenu, le Lyonnais Vianney G. s’est fait casser une dent lors de son interpellation. Son avocat s’insurge :

    « Six gars sont tombés sur lui à coup de tonfas. »

    Ce n’est qu’un au revoir

    Tous demandent le renvoi de leur affaire. Nouveau délibéré du tribunal à minuit pour savoir s’ils restent en détention dans l’attente de leur procès, finalement renvoyé au 9 janvier. Les accusés et leurs soutiens discutent en cercle près de la porte.

    Plus loin, le père d’Aloys V. échange avec le représentant de son fils. « Ils prennent conscience », lâche le paternel en les regardant. Le verdict tombe : seul Aloys V. est maintenu en détention, les 5 autres sont soumis à un contrôle judiciaire. Tous ont l’interdiction de détenir une arme et d’entrer en contact avec leurs camarades mis en examens. Xavier M., Vianney G. et Marc D. ont aussi l’interdiction d’être à Paris. Dans l’assemblée, tout le monde se lève, sauf le père d’Aloys V. Il soupire.

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