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    14/06/2022

    Menaces, insultes et courriers à la hiérarchie

    Le RN n’aime pas les journalistes

    Par Pierre Plottu , Maxime Macé

    Le RN n’aime pas les journalistes. Certains sont blacklistés, d’autres insultés ou menacés. Des journalistes de La Voix du Nord, France 3, Le Monde et Libé racontent leurs relations avec le parti d’extrême droite.

    Le Rassemblement national n’est pas un parti comme les autres. Il entretient un rapport aux journalistes particulièrement tendu. Ceux qui travaillent sur ce parti le savent : il n’est pas rare d’essuyer des quolibets, des insultes voire des coups de la part de militants d’extrême droite et même de cadres. La campagne de 2022, que Marine Le Pen a voulu apaisée, n’a pas fait exception. En avril dernier, une journaliste de France Bleu Creuse a porté plainte après avoir été agressée par un militant du RN. Lors d’une soirée électorale qu’elle couvrait à Bourganeuf (23), un village situé à une cinquantaine de kilomètres de Limoges, l’homme l’a insulté avant de lui lancer une chaise.

    Dérapages isolés de militants par nature incontrôlables ? À voir : les instances dirigeantes du parti ont également des relations particulièrement compliquées avec la presse. Il y a ceux qui sont interdits de séjour, comme les journalistes de Quotidien. Ceux qui sont écartés en route : ainsi, à Mayotte, un journaliste qui couvrait le déplacement de la candidate notamment pour StreetPress s’est fait mettre la porte. Et ceux qu’on piste. Le RN a fait la chasse aux taupes, soupçonnées de tuyauter tantôt les antifas, tantôt le rival Eric Zemmour, sur le planning de Marine Le Pen.

    La Voix du Nord et les 100 droits de réponse

    Un journal plus qu’aucun autre est confronté aux humeurs du parti d’extrême droite : la Voix du Nord. Le grand quotidien régional entretient des rapports conflictuels avec le parti de Marine Le Pen, particulièrement à Hénin-Beaumont depuis l’élection du maire Steeve Briois en 2014. C’est ce qu’explique à StreetPress Cédric Gout, délégué syndical SNJ-CGT :

    « En 2021, la mairie RN a envoyé plus de 100 droits de réponse à la locale pour des articles qui lui ont déplu. Il y avait parfois des droits de réponse aux droits de réponse, c’était ubuesque. »

    Dire que les journalistes de la Voix du Nord sont ostracisés à Hénin-Beaumont est un euphémisme. La rédaction ne reçoit plus aucune invitation pour les événements liés à la vie de la commune ou à la politique locale. « Et quand ils arrivent à trouver les horaires et les lieux des manifestations, ils doivent s’accréditer comme pour un match de foot… Sauf que là c’est le forum des associations d’Hénin-Beaumont », s’amuse Cédric Gout. Moins rigolo : le défaut d’accréditation vaut à ses confrères « d’être régulièrement expulsés par le service d’ordre ». Et lors des conseils municipaux, les journalistes du quotidien présents sont souvent pris à partie par l’équipe municipale. « C’était notamment à l’initiative de Bruno Bilde entre 2014 et 2017 quand il était adjoint au maire », précise Cédric Gout. Ce dernier n’hésite d’ailleurs pas à envoyer des SMS ou à appeler les journalistes tard le soir ou tôt le matin pour se plaindre de tel ou tel article.

    Marine Le Pen veut sa tête

    Des comportements désagréables auxquels se prête également la présidente du Rassemblement national elle-même. Marine Le Pen a en effet la fâcheuse tendance à appeler la hiérarchie des journalistes qu’elle n’apprécie pas. Jusqu’à réclamer leur tête. C’est l’expérience qu’a vécue Véronique Marchand, ancienne journaliste à France 3 Hauts-de-France, qui a témoigné dans une conférence organisée récemment par le SNJ-CGT. Contactée par StreetPress, elle raconte ses relations compliquées avec la présidente du RN qu’elle a côtoyé à partir de « 1998 lorsqu’elle a été parachutée dans le Nord par Carl Lang ».

    Les deux femmes sont régulièrement face à face sur le plateau du magazine politique que Véronique Marchand anime pour l’antenne régionale. « Marine Le Pen a essayé plusieurs fois de saboter l’émission. Je me rappelle que lors des législatives de 2012, nous avions organisé un débat sur la circonscription où elle se présentait. Elle a tenté de nous empêcher d’inviter le candidat du PCF au profit du candidat LFI qu’elle pensait pouvoir plus facilement contrer. Elle avait passé une semaine à clamer qu’elle ne viendrait pas dans l’émission, s’imaginant faire annuler le débat. En vain. Finalement, elle s’était présenté en plateau quelques minutes avant l’émission pour me déstabiliser. »

    À l’occasion de son départ en retraite, Véronique Marchand demande, curieuse, à consulter son dossier administratif archivé par France Télévision. Au milieu des documents, elle a la surprise de découvrir deux lettres manuscrites de la présidente du RN envoyées à ses supérieurs demandant purement et simplement son éviction… Elle précise :

    « Je n’en avais jamais eu vent, ni de la part de ma hiérarchie, ni de celle de Marine Le Pen. »

    La presse nationale n’est pas épargnée

    Un procédé qui nous est d’ailleurs confirmé par d’autres journalistes qui travaillent ou ont travaillé sur le RN. Le journaliste du Monde Abel Mestre explique que Le Pen « a plusieurs fois menacé de se plaindre de (lui) à (s)es supérieurs ». En réponse : il lui « a proposé de lui donner leur numéro ». Mais comme note ce vieux briscard du traitement de l’extrême droite, la manœuvre ne lui semble pas des plus efficaces :

    « Ça a tendance à créer un effet Streisand, les chefs ont tendance à te féliciter après. »

    « Après les brouilles avec Marine Le Pen sont toujours courtes. Elle peut vous envoyer un SMS courroucé après un papier et vous répondre au téléphone deux jours après », tient à préciser Abel Mestre. Le journaliste poursuit : « À l’époque de Philippot, on m’a dit qu’il y avait des listes noires de journalistes. Et, effectivement, il y a eu des périodes où plus personne au FN ne répondait, c’est assez pénible pour faire son travail. » Un événement l’a plus marqué :

    « Lors d’un 1er mai du Front national, des autocollants avec mon adresse personnelle et celle de Caroline Fourest, avaient été stickés tout au long du parcours de la manifestation. »

    Ambiance. « Évidemment, le FN avait nié toute responsabilité », conclut Abel Mestre. « Les relations avec les dirigeants du RN, c’est un conflit permanent », raconte de son côté Tristan Berteloot qui suit le parti pour Libération. Et d’ajouter : « Ils ont dû menacer plus d’une vingtaine de fois de porter plainte contre moi après des articles. À chaque fois, les propos à mon encontre sont plus durs. » Le rubricard est un des rares à s’être vu refuser l’entrée de conférences de presse du RN, avec des confrères de Quotidien et de Mediapart :

    « Ça s’est calmé avec le temps mais j’ai reçu pas mal de coups de pression par messages de cadres dirigeants avant la publication de certains articles les mettant en cause pour essayer de me faire changer le papier ».

    Les relations difficiles entre le RN et la presse ne se limitent pas aux médias plutôt réputés de gauche ou régionaux. Elles apparaissent également avec les journaux d’extrême droite à l’image de ce tweet récent de Bruno Bilde qui s’en prend au journaliste de Valeurs Actuelles Jules Torres.

    Le député reproche au rubricard un article de l’hebdomadaire, condamné pour incitation à la haine raciale, intitulé : « Communautarisme, purges, autoritarisme : quand l’entourage de Marine Le Pen traque les proches de Marion Maréchal », paru en juillet dernier. Et Bruno Bilde de publier un autre tweet qui ne manque pas de sel :

    La paille, la poutre, tout ça.

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