Béret vissé sur la tête, menton en avant et garde-à-vous, Jean-Marie Le Pen, alors député et lieutenant, est décoré par le général Massu en 1957. La photo est connue. Elle fait même partie de la légende du fondateur du Front national, qui cultive cette image de parachutiste et son attachement à l’Algérie française. Le menhir a toujours défendu cette mémoire de l’empire français et de la colonisation, malgré les crimes qu’elle a engendrés.
Un héritage qu’on aurait pu croire dissous dans un parti prétendument dédiabolisé à l’initiative de sa fille, Marine Le Pen, lorsqu’elle en a pris les rênes en 2011. Et pourtant, le Rassemblement national va se choisir un nouveau président lors de son congrès en novembre. Deux candidats s’affrontent : Louis Aliot incarnerait la ligne modérée du parti, face à un Jordan Bardella tenant de la ligne dure. Pour se démarquer de son concurrent donné largement favori, le maire de Perpignan (66) appelle, dans une tribune, le RN à rompre avec « l’identitarisme ». Il dénonce la fausse théorie du grand remplacement, « qui inquiète plus qu’elle ne rassure et entraîne inexorablement à la défaite, voire à la violence aveugle ». L’homme a également décoré les célèbres chasseurs de nazis, Serge et Beate Klarsfeld, de la médaille de la ville de Perpignan. Modéré, l’ancien époux de Marine Le Pen qui exhorte à « sortir de la nostalgie radicale » ? Pas tant que ça quand on constate qu’il prétend réhabiliter un terroriste d’extrême droite et arrose de subventions les nostalgiques de l’Algérie française.
Côté pile, Pierre Sergent est un résistant et un « fidèle patriote » selon l’édile. Côté face, c’est l’un des fondateurs de l’Organisation armée secrète (OAS), un groupe terroriste d’extrême droite actif au début des années 1960. Un homme condamné à mort par contumace pour attentat ainsi que complot contre l’autorité de l’État. Un ancien député du Front national. C’est la mémoire de cet homme que le maire de Perpignan, Louis Aliot, a décidé d’honorer en annonçant fin septembre en conseil municipal son intention de baptiser une esplanade de la ville de son nom, provoquant la colère des partis de gauche et des associations antiracistes.
L’idée n’est pourtant pas nouvelle et on ne la retrouve pas tout de suite à l’extrême droite. En effet, en 1976, c’est l’emblématique maire de droite de Nice, Jacques Médecin qui inaugure un mémorial des « rapatriés d’Algérie ». Problème, il rend également hommage à Roger Degueldre, fondateur et chef des « commandos Delta », les escadrons de la mort de l’OAS, responsable de nombreux attentats et condamné à mort. Quelques années plus tard, à Toulon (83) en 1980, une stèle à la mémoire des « Martyrs de l’Algérie française » est inaugurée en présence d’un secrétaire d’État RPR, Jacques Dominati. Le monument a cette particularité d’avoir été plastiqué avant l’inauguration.
Louis Aliot a annoncé fin septembre son intention de baptiser une esplanade au nom de Pierre Sergent, l’un des fondateurs de l’OAS, groupe terroriste d’extrême droite. / Crédits : DR
Cette surenchère pro-OAS ne choque alors pas grand monde et surtout pas l’extrême droite qui continue à faire vivre un souvenir faussé de l’Algérie française. Dès le début des années 2000, des municipalités – notamment FN – reprennent l’offensive mémorielle. Celle de Toulon (alors FN) décide ainsi en 2001 de baptiser un carrefour de la ville du nom du général Raoul Salan, leader du putsch des généraux d’Alger en 1961 et chef de l’OAS. À Perpignan, en 2003, c’est sous le mandat du maire divers-droite Jean-Paul Alduy, que l’Adimad (association proche de l’extrême droite qui fraye désormais avec Civitas ou Yvan Benedetti) obtient la concession pour installer une stèle en hommage aux « fusillés de l’Algérie française » au cimetière du Haut-Vernet. Elle sera inaugurée en présence du premier adjoint de l’époque, qui deviendra ensuite maire, Jean-Marc Pujol. Elle symbolise la mort d’un condamné au peloton d’exécution et porte les noms de quatre condamnés à mort : Degueldre, encore, mais aussi le terroriste de l’attentat du Petit-Clamart contre De Gaulle, Bastien-Thiry, ainsi que Dovecar et Piegts, des commandos Delta qui ont assassiné un commissaire accusé d’avoir « trahi » la cause de l’Algérie française.
Le même genre de monument est érigé en 2005 à Marignane (13). Avec ces hommages, et d’autres encore, c’est tout l’arc méditerranéen qui est concerné.
Kermesse de l’Algérie française
À Perpignan, ville où il n’y a pas de rue commémorant le cessez-le-feu en Algérie – le 19 mars 1962 –, l’élection de Louis Aliot aux municipales de 2020 a renforcé l’exaltation du colonialisme. En mars 2021, le maire RN organisait une exposition temporaire présentée comme un « lieu de mémoire et de recueillement aux victimes oubliées de la guerre d’Algérie », témoignant selon lui des violences perpétrées contre les harkis et les pieds-noirs à la fin de la guerre. Une exposition à sens unique. Entre le 24 et le 26 juin dernier, la capitale de la Catalogne française accueillait une grande kermesse de l’Algérie française avec force expositions, conférences et même une procession religieuse. Trois organisateurs du putsch, le commandant Hélie Denoix de Saint Marc et les généraux Edmond Jouhaud et André Zeller sont élevés à la distinction de « citoyens d’honneur » de la ville. Honorer des militaires qui ont voulu renverser De Gaulle, le comble pour un parti qui se réclame du gaullisme.
À Perpignan, trois organisateurs du putsch des généraux de 1961, Edmond Jouhaud, André Zeller et Hélie Denoix de Saint Marc (de gauche à droite) ont été élevés à la distinction de « citoyens d’honneur » de la ville. / Crédits : Montage StreetPress
Pour organiser ce raout, la mairie de la ville a offert une subvention de 100.000 euros à l’association organisatrice : le Cercle algérianiste de Perpignan. « On n’est pas loin du communautarisme que le RN fustige tant », nous glisse, amer, un observateur de la politique locale. Mais ce n’est pas tout : la mairie a également accordé une subvention de 3,7 millions d’euros, pour la rénovation du centre de documentation des Français d’Algérie du même Cercle algérianiste – bâtiment pourtant en très bon état, nous glissent plusieurs habitants.
Pendant ce temps, le centre-ville tombe littéralement en ruine : un immeuble s’est par exemple effondré début octobre. Le site héberge une bibliothèque où on peut retrouver de nombreux ouvrages d’extrême droite et notamment des exemplaires du très antisémite journal, Rivarol.
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Un geste en direction de la droite
Et enfin, cette fameuse place Pierre Sergent validée par le conseil municipal de Perpignan le 22 septembre dernier. À StreetPress, Dominique Sopo, président de SOS Racisme, ne cache pas son indignation : « La majorité municipale aurait pu jouer l’hypocrisie en parlant du Pierre Sergent élu local et conseil régional de Perpignan. Et ce ne fut pas le cas, il a été surtout question d’un des fondamentaux de l’extrême droite : l’illégitimité du départ de la France de l’Algérie et au contraire la légitimité de ceux qui, par des attentats, ont tenté de l’empêcher. On se demande où cela va s’arrêter. Pourquoi pas une place Degueldre ou Bastien-Thiry à l’avenir ? »
« Louis Aliot vient récupérer un électorat d’une certaine droite marqué par une nostalgie de l’Algérie française. Les précédents maires de droite et du centre ont fait de même en leur temps. On note d’ailleurs que l’ancien maire, Jean-Marc Pujol, s’est montré plus qu’enthousiaste lors des débats sur cette question au conseil municipal ». En effet, l’ex-édile s’est lancé dans un parallèle plus qu’audacieux, en comparant Pierre Sergent au Charles De Gaulle de l’appel à la résistance en 1940.
L’élu a même questionné la légitimité de la Ve République, a relevé le média local Made in Perpignan : « Fallait-il respecter la légalité nazie ? Hitler a été élu légalement et les lois étaient votées. Fallait-il respecter la légalité Pétain, puisque le maréchal Pétain avait été porté au pouvoir par le vote de la chambre populaire […].Pendant ces périodes troublées, il y a des hommes qui disent non. De Gaulle en 1940 a été celui qui a dit non. Pierre Sergent a été celui qui a dit non à l’abandon de l’Algérie Française. Et cela s’appelle l’honneur », a estimé l’élu Les Républicains.
Des affirmations fausses, recadre l’historien Nicolas Lebourg, rappelant notamment :
« Ni Hitler, ni Pétain n’ont été élus et n’ont joui d’un pouvoir légalement conquis. Hitler a été nommé légalement chancelier sans avoir reçu la majorité absolue des voix. À partir de là, il détruit la démocratie et instaure la dictature nazie en violant les cadres légaux de l’Allemagne ».
« Contrairement à ce qu’on pourrait penser de prime abord, le geste de Louis Aliot n’est pas un assaut de radicalité mais un désenclavement vers la droite », explique à StreetPress Nicolas Lebourg. En témoigne d’ailleurs le fait que les premiers monuments et rues à la mémoire de l’Algérie française ou de personnalités de l’OAS ont été inaugurés par des maires de droite. « Avec Jérôme Fourquet, nous avions bien montré qu’à Perpignan, les pieds-noirs de la bourgeoisie votent RN mais ceux des classes populaires votent à droite », précise le chercheur.
Louis Aliot, lui, se retranche derrière la loi d’amnistie dont Pierre Sergent a bénéficié en 1968. Pour autant, cette dernière n’efface pas les crimes dont il s’est rendu coupable, soit « attentat et complot contre l’autorité de l’État ». « C’est amusant de constater que le RN, qui réclame toujours plus d’autorité et de sanctions contre ceux qui s’en prennent aux policiers ou aux symboles de l’État, puisse accepter d’honorer des gens qui ont voulu renverser la République et qui sont responsables de l’assassinat du commissaire central d’Alger, Roger Gavoury », remarque Dominique Sopo. En clair, au RN, il y a les bons tueurs de flics et les mauvais.
SOS Racisme a d’ailleurs saisi, le 25 septembre, le préfet des Pyrénées-Orientales en lui demandant d’avoir une particulière vigilance sur le contrôle de légalité, à propos de la délibération du conseil municipal de Perpignan, et de la soumettre à un tribunal administratif. Dominique Sopo précise :
« Il y a une remise en cause de la légitimité des institutions françaises et une légitimation de l’action terroriste. Je m’interroge sur la lenteur de la réaction du préfet »
Jeudi 13 octobre, les services de l’État ont fait savoir qu’ils « finalisaient l’analyse juridique » afin de « répondre dans les meilleurs délais ».
Poids électoral
Et Marine Le Pen dans tout ça ? Son père, s’il s’est tenu éloigné de l’OAS, a accueilli naturellement au Front national la thématique des rapatriés d’Algérie, quand sa fille s’est longtemps désintéressée du sujet. « Dans un premier temps, elle avait la position de tous les jeunes de Génération Le Pen dans les années 2000 : la guerre d’Algérie et l’OAS, c’est ringard, il ne faut pas en parler », affirme Nicolas Lebourg.
« Elle poursuit sur cette position en engageant la dédiabolisation en 2010. Sauf qu’elle va être contrainte par les événements : dans le sud de la France, les électeurs sont contre cette position et les élus locaux font remonter ce sentiment, continue l’historien. Marine Le Pen constate qu’en 2014, les maires RN qui s’intéressent à la question font des cartons locaux. » Il ajoute :
« Elle-même va saluer les pieds-noirs et les rapatriés au début de ses meetings dans le sud et elle va se rendre compte que la thématique marche. »
Il y a en effet un électorat à conquérir : en région Paca en 2014, l’électorat pieds-noirs représente 14,5 % des votants selon l’IFOP. Sans compter les descendants. À Perpignan, il est de l’ordre de 5,5 %. Nicolas Lebourg souligne :
« C’est un électorat qui peut offrir une marge de manœuvre non-négligeable. Les barons locaux du RN l’ont bien compris. »
Jacki Malléa, perpignanais et membre fondateur de l’Association des Pieds-noirs progressistes, dénonce aussi une mesure purement électoraliste de Louis Aliot : « Déjà, avec la subvention au Cercle algérianiste, il les brossait dans le sens du poil et là, il en rajoute. » Le militant associatif analyse :
« Mais ça va au-delà de la politique locale, il est en campagne pour être élu président du RN. En faisant un geste en direction d’une partie des pieds-noirs, il tente de mobiliser ses troupes avant le congrès »
Coïncidence, le festival de l’Algérie française de Louis Aliot précédait de quelques jours la prise de parole à la tribune de l’Assemblée nationale – en tant que doyen des députés – de José Gonzalez, néo élu RN, né à Oran en 1942. Un discours où il évoquait largement le drame des rapatriés d’Algérie dont il faisait partie. Si sa prise de parole n’a suscité de bronca que sur les bancs de la gauche, ses propos lors d’une suspension de séance, ont choqué bien au-delà.
« La France a-t-elle commis des crimes en Algérie ? », l’interrogeait une journaliste. « Je ne pense pas que ce soit le cas », a-t-il répondu, avant d’ajouter : « Je ne suis pas là pour juger si l’OAS a commis des crimes ou pas. Je ne sais même pas ce qu’était l’OAS, ou presque pas ». Interrogée sur ce point par France Info, Marine Le Pen a défendu son député. « Ce n’est pas un dérapage, il a fait un discours très digne, très républicain », a-t-elle affirmé. Dont acte.
De Perpignan à Toulon, le RN choie les nostalgiques de l'Algérie française. / Crédits : DR
Difficile de ne pas voir derrière cet hommage d’Aliot à Pierre Sergent une volonté électoraliste autant que mémorielle. Dominique Sopo estime d’ailleurs qu’il y a un troisième intérêt :
« On voit poindre un autre message que Louis Aliot lance à ses électeurs perpignanais et à ceux du RN en général. C’est la nostalgie d’un ordre viriliste et raciste qu’on aurait perdu et avec en creux ce message : “On va vous protéger des Arabes. Avec nous, ils seront bien tenus”. »
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