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    16/12/2022

    Depuis la chute des températures, leurs conditions de vie étaient insupportables

    775 personnes qui vivaient sur le camp de La Chapelle ont été mises à l’abri

    Par Elisa Verbeke

    Voilà des semaines que les exilés du camp de la Chapelle dénoncent leurs conditions de vie infernales depuis la chute des températures. Ils ont enfin été mis à l'abri ce 16 décembre, après plusieurs jours de tensions.

    Paris, 10ème arrondissement – Après plusieurs semaines sous des températures négatives, les exilés de La Chapelle ont été mis à l’abri ce vendredi 16 décembre. Tôt le matin, 23 bus ont été dépêchés par la préfecture de police, pour conduire 775 personnes à la rue dans des hôtels sociaux et gymnases d’Île-de-France. Certains ont été conduits dans le Sud, autour de Toulouse. Une cinquantaine de migrants n’ont pas pu accéder aux cars, manque de place.

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    Camp de la Chapelle, enfumé par les feux de camps des exilés le 12 décembre 2022. / Crédits : Elisa Verbeke

    « Tout le monde est malade ici », expliquait Asif (1) à StreetPress, quelques jours plus tôt. Le jeune homme de 25 ans est arrivé à la Chapelle il y a quelques semaines. Comme lui, la plupart des exilés du camp sont des primo-arrivants originaires d’Afghanistan :

    « Les gens ont mal à la tête, à la gorge. Ils ont de la fièvre et ils toussent. »

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    La plupart des exilés du camp sont des primo-arrivants originaires d’Afghanistan. / Crédits : Elisa Verbeke

    Depuis la chute des températures début décembre, les pompiers sont venus plusieurs fois emmener des hommes à l’hôpital, selon les associations sur place. Un d’entre eux était en hypothermie. Des conditions de vie insupportables qui ont fait augmenter les tensions à La Chapelle. Plusieurs manifestations ont été organisées et ont occasionné des violences policières. StreetPress a suivi la situation.

    Grand froid

    « On ne manque pas de nourriture. On a des solutions pour ça. Le problème, c’est qu’on est épuisé. Absolument tout le monde est malade ici. On n’en peut plus », explique Asif. Début décembre, il rejoint Anna Margueritat, une photographe militante présente tous les jours sur le camp. « J’essaye d’aider les malades avec mon brevet de premier secours », raconte-t-elle. Les pieds de Asif sont rongés par la gale. Autour d’elle, d’autres exilés s’attroupent et attendent leur tour. Elle les bande et les soigne avec le peu de moyens à sa disposition. Il y a quelques semaines, StreetPress publiait un article sur la grande épidémie de gale à la Chapelle.

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    Anna Margueritat, photographe militante présente sur le camp tous les jours, panse les croutes d'un exilé atteint de la gale. / Crédits : Elisa Verbeke

    « Les grippes, les angines, quelques Covid… », énumère Milou, le responsable de la permanence de Médecins du monde à la Chapelle :

    « Ce sont des maladies d’hiver, tout le monde en attrape. Sauf que quand on dort dehors, c’est compliqué de guérir. »

    Révolté, il insiste : « Vous vous imaginez, malade, avec de la fièvre, une grippe et dormir avec des températures inférieures dehors ? ». Devant leur camionnette estampillée Médecins du monde, située à quelques mètres du camp, Milou et ses collègues assurent une permanence médico-sociale. Chaque jour, ils soignent gratuitement une trentaine de personnes. Bien peu face à la demande.

    À LIRE AUSSI : Des centaines de malades de la gale dans les campements d’exilés parisiens

    Des petits groupes d’hommes s’accroupissent autour de réchauds ou de petits bidons d’huile enflammés. « C’est notre seul moyen de nous réchauffer », explique Asif. Quand soudain, trois policiers entrent sur le camp, bouteilles d’eau à la main, pour éteindre la maigre source de chaleur. Allumer des feux est interdit en ville. Rahmatullah (1), un jeune Afghan de 25 ans, témoigne :

    « On ne peut même pas garder les feux. La police vient jour et nuit les éteindre. On les rallume car il fait trop froid et qu’on n’a pas d’autres solutions. »

    Ce jeu autour du feu, d’allumer puis d’éteindre, se reproduit inlassablement toute la journée.

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    Des petits groupes d’hommes s’accroupissent autour de réchauds ou de petits bidons d’huile enflammés. « C’est notre seul moyen de nous réchauffer », explique Rachid. / Crédits : Elisa Verbeke

    Soulèvement

    Le 5 décembre, une assemblée générale sauvage s’organise. « Ce sont les pires conditions, on ne peut pas rester comme ça », explique Omed (1), qui vient d’arriver en France. Le médecin a dû fuir l’Afghanistan, menacé de mort par les Talibans. Un autre ajoute :

    « Je suis allé voir les associations, je leur ai dit, je préfère me faire tuer par la police que vivre ici. »

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    Omed vient d’arriver en France. Ce médecin dû fuir l’Afghanistan, menacé de mort par les Talibans. / Crédits : Elisa Verbeke

    Le bruit provoque l’intervention des CRS. Armés de matraques et de lacrymos, les forces de l’ordre n’hésitent pas à frapper des exilés. Sur une vidéo que StreetPress a pu consulter, on peut voir un habitant la tête en sang. Sur une autre filmée par Utopia56, une fonctionnaire somme les exilés du camp de ne pas allumer de feu avec un mégaphone :

    « Le prochain que je vois allumer un feu, il finit en garde à vue ce soir. C’est compris ? »

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    Le 5 décembre, après une assemblée générale sauvage, les policiers interviennent et frappent à coups de matraques plusieurs habitants du camp de la Chapelle. / Crédits : DR

    Le lendemain, les exilés manifestent sur le boulevard. Aucun résultat, regrettent-ils. Quelques jours plus tard, le 13 décembre, rebelote. 350 exilés bloquent le boulevard de la Chapelle avec des poubelles trouvées à droite à gauche. Ils brandissent les pancartes : « It’s too cold », « We want a home » ou « We have rights ». À 20h30, la CSI (Compagnie de sécurisation et d’intervention) et la Bac interviennent à la Chapelle. La foule est violemment nassée.

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    Le 6 décembre, les habitants du camp organisent leur premier bloquage. Avec des pancartes « It's too cold » et « We have rights », ils revendiquent un hébergement. / Crédits : Elisa Verbeke


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    Le 13 décembre, les habitants du camp de la Chapelle bloquent à nouveau la route pour revendiquer leurs droits à un hébergement. / Crédits : Agathe

    Des hommes tentent de résister. Un Afghan s’exclame :

    « Les Talibans ont tué toute ma famille. J’ai fui l’enfer. Ce n’est pas la police qui va me faire peur. »

    Toujours sur des vidéos, on voit la police répondre avec des tirs de LBD, des gaz lacrymogènes et des coups de matraque. Anna, présente lors des événements, raconte :

    « Un homme en a perdu sa dent. Plusieurs autres étaient blessés. Avec d’autres associatifs, on s’est mis au milieu pour faire effet tampon et éviter que les migrants ne prennent trop de coups. »

    Elle a pris plusieurs coups de matraque dans la nuque, comme son ami Axel.

    Promesses municipales

    Le 6 décembre, jour de la première manifestation, le commissaire du 10ème arrondissement est présent. Les associations lui expliquent la situation et rappellent les revendications des exilés : de meilleures conditions d’accueil et un toit. A minima, ils voudraient pouvoir se réchauffer avec des feux. Dans une démarche de dialogue, le commissaire rétablit le calme en promettant aux exilés de pouvoir conserver leurs feux de camp cette nuit « tant qu’ils ne montent pas trop haut ». Ce soir-là, ils applaudissent la police. Ils remettent d’eux-mêmes les poubelles à leurs places. Mais le lendemain, les tensions étaient de retour et les feux éteints.

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    Ramhatullah, un Afghan de 25 ans, témoigne : « On ne peut même pas garder les feux. La police vient jour et nuit les éteindre. On les rallume car il fait trop froid et qu’on n’a pas d’autres solutions. » / Crédits : Elisa Verbeke

    En parallèle, et depuis plusieurs mois, des riverains reprochent aux habitants de polluer les jardins partagés de la Chapelle. Ces derniers se sont même organisés sur les réseaux sociaux.

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    Les exilés dorment dans les jardins partagés depuis un mois. Autour, de la terre, des pigeons et des rats qui viennent se nourrir sur les restes. / Crédits : Elisa Verbeke

    C’est dans ce contexte que le 8 décembre – deux jours après la première manifestation –, Anne Hidalgo, la maire de Paris, s’est déplacée à la Chapelle donner une conférence de presse. « Si nous sommes là, c’est pour mettre en évidence cette situation qui dure depuis plusieurs semaines », affirme-t-elle, avant d’ajouter que « cette situation dépend de la compétence de l’Etat ». Le 12 décembre, la mairie de Paris a déclenché le plan Grand froid, qui promet de nouvelles places en hébergement pour loger les personnes à la rue. Le 16 décembre, les cars sont enfin arrivés. Le camp de La Chapelle est maintenant vide. Tôt ce matin, les éboueurs de Paris jetaient les dernières tentes.

    (1) Par soucis d’anonymat, les prénoms ont été modifiés.

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