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    22/12/2022

    Un prêtre pédocriminel encore en poste à Lourdes

    Omerta sur la pédocriminalité chez les cathos intégristes de la Fraternité Saint-Pie-X

    Par Maxime Macé , Pierre Plottu

    Plusieurs affaires de pédocriminalité secouent la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X. L’église intégriste d’extrême droite fait tout pour enterrer les affaires. Témoins et victimes racontent.

    Ils dénoncent une véritable « omerta ». Au fil d’une enquête commencée il y a plusieurs mois, StreetPress a pu s’entretenir avec des victimes et proches de victimes agressées par des prêtres pédocriminels de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X, des catholiques intégristes d’extrême droite. De ces récits poignants, il ressort une même accusation : l’institution fait tout pour enterrer le scandale, au mépris même des victimes. Pire encore, outre des sanctions pour le moins légères contre les agresseurs – quand il y en a –, ces témoins soulignent que rien n’est fait pour empêcher ces crimes de se reproduire. Ainsi, au moins un prêtre agresseur d’enfants, qui a pourtant avoué, est toujours en poste. Il célèbre la messe à Lourdes. Selon nos informations, des cas récents de signalements seraient restés à ce stade lettre morte.

    « La Fraternité, c’est une secte », assène Claude. Comme il l’a raconté dans une récente enquête très fouillée de Jeune Afrique, le quinquagénaire a été agressé au cours de son enfance et pendant de longues années par l’abbé Groche. Le croyant est amer. La FSSPX a toujours été dans sa vie. Du Gabon, son pays de naissance et où il a très jeune été servant de messe de la mission de Libreville, jusqu’en France, où il a été invité à intégrer les écoles de la Fraternité. Il en a suivi l’enseignement, a fréquenté ses cercles. Il « en était ». Il était pris dans ce phénomène d’emprise flirtant avec la dérive sectaire, décrit par StreetPress dans une précédente enquête sur la FSSPX.

    À LIRE AUSSI : Les catholiques antirépublicains de la Fraternité Saint-Pie-X

    Mais il ne veut plus se taire. Il se décide à briser le silence fin 2019, alors que son fils doit partir au Québec pour ses études. Claude cherche une paroisse pour que son enfant puisse célébrer Noël dans la Tradition, avec un grand « T ». Sur place, il y a bien une église de sa tendance mais elle est tenue par un prêtre, l’abbé Groche, qui a été son agresseur pendant de longues années.

    Le choc est violent pour le père de famille. À tel point qu’il décide d’alerter la direction de la FSSPX. Nous sommes en décembre 2019. Le supérieur général de la Fraternité Davide Pagliarani décide de lancer des investigations et missionne son secrétaire général, l’abbé Thouvenot. Le « décret d’ouverture d’enquête », que nous avons pu consulter, est signé par Pagliarani le 17 janvier 2020. Il mentionne les accusations de Claude. Mais sans entrer dans le détail. Il évoque seulement des actes « de nature à mettre en cause le comportement de Monsieur l’abbé Patrick Groche ».

    Une enquête « orientée »

    « Ils n’ont pas traîné et sont très vite revenus vers moi », souligne Claude. « L’abbé Thouvenot, alors secrétaire général de la Fraternité, m’a écrit puis m’a reçu. J’ai pensé qu’il prenait les choses au sérieux », confie-t-il. Et en effet l’abbé agresseur est rapatrié en France dans la foulée. Mais avec le recul, Claude assure :

    « Bien sûr, ils ont réagi. Mais c’était pour connaître l’ampleur du dossier, je pense. Ils n’étaient pas sincères. Il n’y avait pas de transparence. »

    Il se retrouve lui aussi à témoigner devant la « justice » de la FSSPX. Un entretien particulier, selon lui. « Je suis un homme mûr, solide. Heureusement, sinon j’en serais ressorti en pleurs. » Il évoque une ambiance « un peu malsaine ». « Je me suis senti accusé, comme si c’était moi qui avais commis une faute qui m’éloignait des sacrements. » Et de conclure :

    « L’enquête était orientée. »

    « Par la suite, on n’a plus eu aucune nouvelle par la Fraternité, ils ne nous ont pas dit qu’ils étaient désolés ou que Patrick Groche était passé aux aveux », souligne la femme de Claude. « Tout ça, on l’a su par la justice. » Car Claude a également décidé de déposer plainte, bien que la Fraternité ait aussi fait un signalement au procureur, comme l’y oblige la loi. Claude veut faire confiance à « son » église, mais… « C’est moi qui l’y ai poussé car je sentais que leur démarche était fausse », confie sa femme. Une bonne idée, disent-ils tous les deux aujourd’hui, car « ce qu’ils ont transmis à la justice est un dossier vide ».

    Un abbé « pas prudent avec les filles »

    StreetPress a pu consulter une partie de ce dossier. Il s’agit d’une « enquête canonique » dirigée donc par l’abbé Thouvenot au nom de la FSSPX. Au fil des entretiens menés avec des témoins, est évoquée l’« attention excessive » de l’abbé Groche envers des « jeunes gens ». Seuls quelques religieux semblent le disculper, comme celui niant le moindre « sentimentalisme » ou toute « attirance malsaine » de Groche. Tout en concédant qu’il « recevait quelquefois des jeunes dans sa chambre pour des entretiens ».

    Un autre juge pourtant l’homme « malsain », justement. Et c’est bien ce qui ressort de certaines auditions. Comme ce religieux qui était pendant les années 1990-2000 à la mission de Libreville, là même où Groche officiait et où il a agressé Claude. Il évoque « des prêtres qui recevaient pendant trop longtemps des femmes ». Mais aussi : « Ce qui était un peu déplaisant, c’étaient les confessions dans les bureaux de jeunes filles. » Il parle de propos rapportés sur des « prêtres qui se comportaient mal », d’un abbé « pas prudent avec les filles ».

    Il raconte : « J’appréciais beaucoup le père A. (1), il était très proche des jeunes. Mais, à ce moment-là, je ne pouvais même pas imaginer qu’il pouvait y avoir un attrait pour des garçons. » Et de poursuivre : « Le père Y. (1) appréciait un garçon, de seconde, et je le vois encore : le garçon en train d’étudier et le père Y., derrière, en train de masser le cou du gamin. Un jeune diacre qui était passé à ce moment-là avait fait la réflexion qu’il y avait une amitié un peu, pas déplacée, mais… » Il ne finit pas sa phrase, l’enquêteur de la Fraternité ne le relance pas. Plus loin, ce témoin se souvient encore : « Nous étions à la plage et nous nous baignions. À un moment, le diacre P. (1) est arrivé avec un jeune de la mission. Ils se battaient au bord de l’eau, c’était tactile, je trouvais cela déplaisant. Et j’ai su qu’il avait ramené ce garçon-là tout seul en voiture de la plage. »

    La Fraternité ne cherche pas à savoir

    Autant d’éléments qui ne semblent pourtant pas avoir déclenché de plus amples investigations. Certains des religieux en poste à Libreville à cette époque ont pris du galon depuis. Un seul « jeune » de la mission à l’époque des faits dénoncés par Claude a été interrogé, alors que beaucoup de noms sont cités par les uns et les autres. Quant aux aveux de Groche, ils sont résumés en une courte page d’une « note interne confidentielle », que StreetPress s’est procurée. L’abbé, est-il écrit, reconnaît ses « dérapages » et « sa culpabilité de façon claire et sans difficulté ». Le document se termine par cette précision : « L’abbé souhaite que son cas ne soit pas inutilement connu par des personnes tierces. » Son souhait sera exaucé. Les faits ne sont pas plus amplement détaillés, aucune date n’est donnée.

    Visiblement, la Fraternité n’a pas cherché à en savoir plus. Elle a néanmoins pris des « restrictions et mesures », compulsées dans un autre document : pas de catéchisme, des « visites privées » qui ne doivent plus se tenir que « dans un lieu privé ». Mais l’abbé peut continuer à célébrer la messe. Ce qu’il fait d’ailleurs toujours, à Lourdes donc comme le rappelle Jeune Afrique qui précise que le prélat ne semble pas être accablé par ces sanctions. En parallèle, Claude nous dit que la Fraternité et sa communauté lui ont tourné le dos. La FSSPX a évalué à 5.000 euros la réparation de ses souffrances.

    Selon notre enquête, il apparaît que ces faits ne sont pas un cas isolé. Nous avons pu nous entretenir avec un ancien prêtre de la Fraternité Saint-Pie-X, une parole rare. L’homme a demandé à rester anonyme. « La première fois que j’ai entendu parler de violences sexuelles au sein de la FSSPX, c’était en 2007 », nous a-t-il confié. Il détaille :

    « J’étais en poste hors d’Europe. Lors d’un voyage, un supérieur m’a révélé le cas d’un confrère qui est désormais incarcéré pour de la pédophilie. À l’époque, nous étions 500 ou 600 prêtres et il m’avait révélé qu’il y avait déjà 10 cas “avérés” d’affaires de prêtres pédocriminels reconnus par la Fraternité. »

    Un refuge des Hautes-Alpes pour échapper à la justice ?

    Comment gèrent-ils ces affaires ? « À mon époque, la FSSPX priait pour qu’il n’y ait pas de plaintes au civil. Elle règle les choses en interne en espérant qu’il n’y ait pas d’enquête judiciaire. C’est peut-être toujours le cas », nous glisse l’ancien homme d’église, amer. Il décrit aussi un système mis en place pour tenter de cacher les responsables d’actes pédocriminels. Une source proche de la Fraternité nous révèle que la maison contemplative de Montgardin, près de Gap (05), sert notoirement de refuge aux prêtres qui ont fauté. Même les pédocriminels. Un témoin nous raconte qu’au moins une fois, les gendarmes sont venus y chercher un religieux de la Fraternité. C’était en 2020 et La Croix avait à l’époque relaté les faits, précisant que le prêtre avait été mis en examen pour des viols et agressions sexuelles commis en Vendée entre 2006 et 2020 sur 19 victimes mineures.

    Une « planque » ? En tout cas, Montgardin ne serait pas, selon plusieurs sources, le seul lieu qui accueillerait des religieux soupçonnés. L’une d’elles évoque le cas de l’abbé Roisnel qui a violé en 2010 trois enseignantes d’une école de la FSSPX qu’il dirigeait. Il aurait été caché dans une communauté intégriste d’extrême droite, proche de la Fraternité, nous assure notre source :

    « Il y avait vraiment cette pratique de placer des prêtres dans des maisons religieuses pour les soustraire à la justice. »

    L’abbé Patrick Groche ne serait donc pas une exception. Et la Fraternité le saurait, selon ces témoignages. Pourtant, aucune mesure de prévention ne semble avoir été mise en place. « Le drame de la FSSPX, c’est qu’au séminaire, il n’y a pas de prévention ni même d’éducation aux questions de la sexualité et de la vie affective. On nous expliquait juste que les femmes étaient “dangereuses” et qu’il fallait être prudent avec elles », raconte une source qui a suivi ce cursus. « Lorsque j’ai parlé de ces carences dans la formation des prêtres, notamment sur la vie sexuelle, on m’a répondu que c’était “délicat” car “on pouvait inculquer de mauvaises pensées aux séminaristes”. C’est la pire des réactions à avoir. »

    Un collectif créé cet été a reçu plus de 30 signalements

    Pas question non plus d’envisager des réparations. Ainsi, si Rome – également frappée par des scandales de violences sexuelles et pas seulement pédocriminelles – a mis en place des processus pour indemniser les victimes, la Fraternité n’y a pas souscrit. La FSSPX jouerait-elle double jeu, un pied dans l’Église quand ça l’arrange, un pied dehors quand il faut préserver ses intérêts ? « Oui », assurent plusieurs de nos sources.

    Et pendant ce temps-là, le problème reste entier. Mais la parole se libère. Le collectif des victimes de la FSSPX, créé cet été, nous révèle avoir reçu une trentaine de signalements depuis la rentrée. Parmi eux, le cas d’un prêtre en Amérique du Sud dont les agissements ont été rapportés au collectif par une de ses fidèles. Il avait un comportement plus que déplacé avec les jeunes, par exemple en les caressant d’une manière qui l’a alarmée. « Nous avons transmis à la Fraternité », dit un des responsables de l’association. Mais il n’y a eu aucune suite à ce stade.

    À LIRE AUSSI : Le gros magot des cathos tradis de la Fraternité Saint-Pie-X

    Contacté, la FSSPX n’a pas répondu à nos sollicitations.

    (1) Pour préserver l’anonymat des religieux, nous avons choisi de ne mettre que leurs initiales.

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