Boxing club Montjoly, Cayenne (97) – Sur le ring, Mohammed Maher souffre. Garde bien haute, le Sahraoui de 32 ans tient tant bien que mal son opposition face à un boxeur du coin. Les conditions de vie de ce dernier lui permettent-elles d’être plus en forme ? Ou ce Guyanais est peut-être simplement plus aguerri ? Le réfugié, dur au mal, persévère jusqu’à ce que la cloche retentisse. Épuisé, il s’essuie le front avec son gant, avant de saluer son adversaire. Une fois sorti du Boxing club Montjoly, il se confie :
« L’entraînement fait sortir de moi les mauvaises choses et les souffrances. »
Le père de famille, à la moustache épaisse, est arrivé en Guyane en 2023, avec sa femme et sa fille. En s’occupant de sa jambe douloureuse, dans la nuit chaude de juillet où résonnent les chants des grenouilles, il raconte leur parcours d’exil depuis le Sahara occidental (1), les galères pour obtenir leur statut de réfugié et la précarité de leur quotidien. Alors, quand il monte sur le ring, c’est l’exutoire : il oublie tout et ne pense qu’aux techniques des arts martiaux, qu’il pratiquait déjà de l’autre côté du globe. « C’est grâce à mon entraîneur et à la salle que j’ai eu la motivation. »
De l’extérieur, le Boxing club Montjoly est un grand conteneur métallique posé sur un parking, entouré de végétations et éloigné du centre de Cayenne. « En 2023, les autorités ont installé des demandeurs d’asile au-dessus de chez nous, dans des anciens bureaux administratifs abandonnés », contextualise Ordinei Da Cruz, l’un des gérants du club.
Le Boxing club Montjoly est un conteneur métallique posé sur un parking, entouré de végétations et éloigné du centre de Cayenne. / Crédits : Ronan Liétar
Tout le monde connaît l’histoire du premier exilé à avoir franchi les portes de la salle, Boubacar. Le Marocain, qui pratiquait déjà le kick-boxing, commence à combattre sous les couleurs du club en 2023. « Le fait d’avoir sa licence sportive a été un argument pour obtenir sa carte de séjour », dit son coach. Peu à peu, d’autres migrants se sont mêlés aux sportifs guyanais. « On leur a ouvert les portes. Ça nous a semblé normal. »
À l’occasion des élections municipales qui auront lieu en mars 2026, StreetPress a décidé de tirer le portrait de Cayenne, en Guyane. À travers une série d’enquêtes et de reportages, nos journalistes Romain Allimant et Ronan Liétar racontent au long cours ce territoire, ses habitants, et les enjeux qui le traversent à l’aune du scrutin.
Episode 1 : Boxing club Montjoly, refuge des exilés de Cayenne
Episode 2 : « On pêche pour vivre » : avec les pêcheurs informels du Vieux Port de Cayenne, entre débrouille et réglementation
Episode 3 : En Guyane, des habitants tentent de sauver la jeunesse du quartier de Mont-Lucas
Episode 4 : (à venir)
Vivre dans des « conditions ultra-indignes »
Bader Ezzhar regarde, bras croisés, ses deux amis en train de se battre. Le Marocain de 27 ans est arrivé en retard. Alors, pas d’entraînement. Entre les murs du boxing club décoré avec des drapeaux guyanais, français, brésilien, surinamais, breton ou encore normand, c’est avant tout la discipline qui prime. Lui pratiquait déjà le taekwondo avant d’arriver en Guyane il y a quelques semaines. Il montre fièrement ses saltos arrière publiés sur son compte Instagram. « Je reviens au prochain cours, c’est sûr », sourit-il. « De toute manière, on n’a rien d’autre à faire. On est loin de tout ! »
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Bader fait partie des 130 à 190 demandeurs d’asile qui vivent au camp de la Verdure, situé au-dessus du club de boxe. Il faut grimper sur une dizaine de mètres de route bordée de végétation envahissante pour arriver au campement, installé autour d’anciens locaux de la direction générale de la cohésion et des populations maintenant recouverts de tentes et de bâches. « Là, ils nous ont mis des toilettes mais c’est trop sale, personne ne les utilise », montre Bader en pointant huit installations en plastique :
« On a un point d’eau mais parfois ça s’arrête sans qu’on sache pourquoi, d’autres fois l’eau a une odeur horrible… »
En 2023, environ 350 personnes vivaient sur le site. Ce qui avait poussé les associations à dénoncer l’existence d’un « camp bidonville géré par l’État » et à entamer une procédure contre le gouvernement français. En avril, deux cas de leptospirose – une maladie infectieuse transmise par l’urine des animaux, notamment des rats – ont été détectés chez un homme de 17 ans et une femme de 40 ans. « Ça veut dire que ces gens vivent dans des conditions ultra indignes. Tant qu’il n’y a pas de gestionnaire de site, ça ne changera pas », déplore Camille Guedon, coordinatrice régionale de l’association Médecins du Monde. Contactée à ce sujet, la préfecture n’a pas souhaité répondre à nos multiples relances.
Entre 130 et 190 demandeurs d'asile vivent sur le camp de la Verdure, situé au-dessus du club de boxe. / Crédits : Ronan Liétar
« Une association [Humanity First] vient distribuer des repas une fois par jour, mais ça fait léger pour la journée », soupire Bader Ezzhar, anxieux. Arrivé en juin, il ne sait pas comment il va réussir à survivre dans ces conditions. « Tout est loin ou coûte super cher. » Il tire son téléphone de sa poche pour montrer une photo d’un document administratif : sa convocation pour un rendez-vous au guichet unique des demandeurs d’asile le 17 décembre 2026. En attendant cette date, aucune aide n’est possible.
« Je ne vais pas pouvoir vivre dans un camp pendant un an et demi, sans argent et sans travail. »
En Guyane, le système d’accueil des demandeurs d’asile est complètement engorgé. En 2024, 4.697 nouvelles demandes d’asile y ont été déposées, selon l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. « L’État n’a pas anticipé le changement de statut des Haïtiens », déplore Camille Guedon de Médecins du Monde. Le 5 décembre 2023, la Cour nationale du droit d’asile a jugé que Haïti connaissait une situation de violence aveugle, justifiant l’octroi de protections subsidiaires, ce qui a poussé un grand nombre de ressortissants haïtiens déjà présents en Guyane à déposer une demande d’asile (2). L’humanitaire poursuit :
« On se retrouve avec un embouteillage monstre et des délais insensés ! En janvier, on avait 10.000 dossiers en attente. »
Surtout que pour beaucoup de demandeurs et demandeuses d’asile, notamment venus du Maghreb ou du Moyen-Orient, la Guyane n’est qu’une étape avant de rejoindre l’Hexagone. Après avoir obtenu le statut de réfugié en novembre 2024, Mohammed Maher, le combattant sahraoui venu avec sa femme et sa fille, attend les documents nécessaires à l’obtention de son passeport. « Comme ma femme a trois frères qui vivent à Paris et que j’ai une sœur à Marseille, on a envie de les rejoindre », sourit-il.
Mohammed Maher, 32 ans, est arrivé en Guyane en 2023 avec sa femme et sa fille. / Crédits : Ronan Liétar
Mohammed Maher, à gauche, a déménagé dans l'Hexagone avec sa famille après l'évacuation du camp. / Crédits : Ronan Liétar
Sortir de l’isolement et de la misère
Au club, Ordinei Da Cruz, l’un des gérants, serre la main de deux habitués, posés à côté des appareils de musculation. Il propose un « sparring » (« entraînement ») à une combattante à l’autre extrémité de la salle, corrigeant au passage la posture d’un autre. L’homme est partout et connaît son planning par cœur. « Le lundi, on est plutôt sur du cardio. Le mercredi, on travaille la technique. Le vendredi, on met les gants pour appliquer ce qu’on a appris dans la semaine », détaille le Brésilien, arrivé en Guyane à l’âge de 9 ans. Après avoir obtenu un contrat d’occupation précaire auprès de la collectivité territoriale de Guyane, l’équipe a retapé totalement l’espace pour fonder le Boxing club Montjoly.
Depuis, plusieurs dizaines de demandeurs d’asile syriens, afghans, sahraouis et marocains – des nationalités qui représentent 20 % des nouvelles demandes d’asile en 2024 – se sont joints aux habitués du Boxing club Montjoly. La majorité d’entre eux passent par un pays tiers, comme l’Iran ou le Qatar, avant de rejoindre le Brésil puis la Guyane :
« Bien sûr, on ne leur fait pas payer. Les gens nous remercient, disent qu’on est gentil. Mais c’est normal de s’entraider. »
En enfilant ses gants, Ordinei Da Cruz, l’un des gérants, explique que l’équipe du Boxing club Montjoli a ouvert des sessions spéciales pour les habitants du camp devant le nombre de demandes devenu trop important. « On organise des activités pour les enfants, avec des coloriages, du ping-pong… C’est aussi des moments de rencontres où des gens viennent faire des dons de nourriture », dit-il avant de monter sur le ring.
L'un des gérants du club, Ordinei Da Cruz (à droite), explique que l'équipe du Boxing club Montjoli a ouvert des sessions spéciales pour les habitants du camp La Verdure. / Crédits : Ronan Liétar
Un mental forgé
Déjà présent dans l’espace de combat, Mahdi, 17 ans, enchaîne de puissants coups de pied. Le bruit sourd de ses protège-tibias venant frapper sur les gants d’Ordinei est impressionnant. « J’ai fait du muay-thaï pendant trois ans en Afghanistan », explique-t-il, en retirant ses bandelettes une fois le ring quitté. Il voudrait devenir professionnel :
« Je dois travailler mon mental, c’est d’abord dans l’esprit qu’il faut être un bon guerrier. »
Un mental déjà forgé par un certain nombre d’épreuves. Mahdi a quitté précipitamment l’Afghanistan avec sa mère et son frère quand les talibans sont entrés dans Kaboul le 15 août 2021. Sa famille fait partie du peuple hazara – une minorité ethnique et religieuse régulièrement persécutée par le régime. « Mon père a été tué dans un attentat en 2016. À l’arrivée au pouvoir des talibans, ma mère a été interdite de travailler et nous, nous ne pouvions plus étudier », raconte Mahdi en s’aidant de Google Traduction. Lui et les siens sont d’abord passés par l’Iran, avant de prendre l’avion pour le Brésil, pour enfin arriver en Guyane. La famille s’est installée dans le camp de La Verdure pendant deux mois et demi, avant de se voir proposer un logement dans le centre de Cayenne.
Avant de quitter l'Afghanistan, Mahdi, 17 ans, pratiquait le muay-thaï. / Crédits : Ronan Liétar
Pour le frère de Mahdi, Alin Sin, « l'entraînement nous permet de communiquer avec les gens [...] et de nous améliorer en français ». / Crédits : Ronan Liétar
Combattant aguerri, le frère de Mahdi, Ali Sin, s’entraîne lui aussi au club. « Le muay-thaï est une combinaison de coups de poing, de coude, de pied et de genou », explique-t-il, cheveux ébouriffés et grand sourire. Il est l’extraverti de la famille :
« L’entraînement nous permet aussi de communiquer avec les gens sur place et de nous améliorer en français. »
Âgé de 20 ans, Ali Sin retourne s’entraîner contre un sac de frappe, sous l’œil expérimenté d’un homme en chemise bleue. Les deux Hazaras se connaissent bien : Jamil Mohammadi était l’entraîneur de l’équipe nationale de muay-thaï d’Afghanistan et l’a déjà entraîné. Il est parti avec sa famille le 3 janvier pour les mêmes raisons que son protégé :
« Je vivais caché depuis 2021. J’étais connu, j’ai beaucoup travaillé sur l’émancipation des femmes et l’égalité des sexes par le muay-thaï. Donc ma famille était en danger. »
Les larmes montent lorsqu’il revient sur les persécutions dont est victime le peuple hazara. « C’est important de parler, pour que les gens se rendent compte que nous subissons un génocide », reprend-t-il en essuyant ses yeux.
L’entraînement touche à sa fin. Les participants et participantes se saluent en joignant leurs mains devant leur visage. Certains boivent de l’eau, d’autres discutent en riant. « Quand j’ai vu le club juste en dessous du camp, j’ai ressenti beaucoup d’espoir. J’ai su que ma mission d’entraîner des jeunes allait se poursuivre », raconte le coach hazara, Jamil Mohammadi : « En Thaïlande, les maîtres disent que le muay-thaï a sorti les gens de la pauvreté et a donné aux jeunes la force et l’espoir d’une vie meilleure. »
Depuis notre reportage, la préfecture de Guyane a effectué une opération de « mise à l’abri » des habitants de La Verdure. Selon un article de France Guyane, des solutions de relogement ont été proposées à près de 80 personnes jugées vulnérables. D’autres personnes affirment avoir reçu l’ordre de quitter le site, sans solution d’hébergement. Mohammed Maher et sa famille ont déménagé dans l’Hexagone après l’évacuation du camp.
(1) Le Sahara occidental est territoire occupé militairement par le Maroc, mais revendiqué par la République arabe sahraouie démocratique et son organisation militaire.
(2) Plus de 5.600 personnes ont été tuées dans des conflits armés en Haïti en 2024, selon les chiffres de l’ONU.
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