La chute était annoncée. À tel point que la démission de François Bayrou ce 9 septembre, après avoir perdu le vote de confiance la veille, apparaît presque comme un non-événement. Si Emmanuel Macron a annoncé la nomination d’un nouveau Premier ministre « dans les tout prochains jours », la dissolution encore une fois de l’Assemblée nationale a trouvé son avocate : Marine Le Pen. Le lundi 8 septembre, au perchoir, la dirigeante du Rassemblement national (RN) s’est livrée à une longue plaidoirie en faveur d’un retour aux urnes. « La dissolution n’est pas un caprice, mais un levier institutionnel pour sortir des blocages. Compte tenu de la crise, la dissolution n’est pas une option, mais une obligation », a-t-elle lancé.
Là encore, personne n’est tombé de sa chaise. Sitôt le vote de confiance annoncé, le 25 août, le RN s’est mis en branle. Le 2 septembre, en sortant de Matignon, la députée du Pas-de-Calais (62) avait demandé une dissolution « ultrarapide ». La veille, le parti avait réuni son bureau de campagne des élections législatives. Lundi, tout sourire, Laure Lavalette, députée du Var (83) dit :
« Nous n’avons qu’une envie, c’est de revenir aux urnes. Et nous sommes prêts. Quel temps perdu ! Si Jordan Bardella avait été Premier ministre en juillet, nous n’en serions pas là. »
Ces derniers jours, les candidats RN semblaient tous en circonscription. Certains confiaient ne faire qu’un « simple aller-retour » pour la chute de Bayrou. Histoire de bien labourer le terrain avant la dissolution. Ce serait l’occasion pour l’extrême droite de prendre sa revanche après l’énorme raté des législatives anticipées en 2024.
Alors que le parti était en position de force au sortir des élections européennes, avec une gauche désunie et une majorité groggy, les forces lepénistes n’étaient arrivées qu’à la troisième place. Leur fameux « plan Matignon », plein d’ambition, s’est heurté à leurs propres candidats, dont 109 ont été épinglés pour propos racistes, homophobes, complotistes…
Encore un nouveau « plan Matignon »
Actuellement, dans les rangs du RN et de leurs alliés ciottistes de l’Union des droites pour la République (UDR), on affirme avoir tiré les enseignements de ces ratés. « Ça fait un an que l’UDR et le Rassemblement national auditionnent des candidats potentiels dans les 577 circonscriptions de France. On les a soigneusement sélectionnés et préparés », lâche le député de l’Hérault (34), Charles Alloncle.
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Depuis 2024, les députés Julien Odoul (Yonne, 89) et Thomas Ménagé (Loiret, 45), tous deux membres de la commission nationale d’investiture du RN, sont censés avoir fait le ménage dans les candidats putatifs à la législature — un ravalement de façade qui tient de l’antienne à ce stade. La sélection serait draconienne et la formation vidéo obligatoire. Fini donc les « brebis galeuses ». La commission utiliserait, selon La Croix, un outil d’intelligence artificielle pour fouiller le profil numérique des candidats et s’assurer qu’aucun squelette coiffé de casquette Waffen SS ne se trouve dans le placard.
Comme à l’accoutumée avec le parti lepéniste, depuis sa création il y a cinquante ans, la réalité passe peu par les éléments de langage. Le RN continue d’utiliser les milieux identitaires comme vivier de collaborateurs. Et cela même chez leurs cadres : l’affaire Caroline Parmentier (vice-présidente du groupe RN à l’Assemblée), dont Mediapart a révélé ses écrits racistes, antisémites et homophobes, montre la radicalité du parti d’extrême droite. Qu’importe, l’important est de transmettre l’image d’un parti offensif et en ordre de bataille.
Et l’inéligibilité dans tout ça ?
La responsable du parti est frappée d’une inéligibilité avec exécution provisoire à la suite de sa condamnation en première instance pour détournement de fonds publics dans l’affaire des assistants européens. Ironie du sort, avant la défaite de François Bayrou, c’est l’annonce du futur procès en appel de Marine Le Pen du 13 janvier au 12 février 2026 qui a occupé les esprits. Julien Odoul clame :
« Nos adversaires pensent que le calendrier judiciaire peut influencer nos positions, c’est mal nous connaître. Marine Le Pen se désintéresse de sa situation personnelle. »
Vraiment ? La cheffe de file des députés RN a d’ores et déjà annoncé qu’elle se porterait candidate en cas de dissolution. Cette éventuelle accélération du calendrier politique devient aussi une façon de faire pression sur le Conseil constitutionnel. Le « chemin étroit » dont parlait fin août Jordan Bardella.
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L’annonce du procès en appel a su remettre une pièce dans la machine conspirationniste de certains députés, comme celui des Vosges (88), Gaëtan Dussausaye : « Les dates du procès ne nous arrangent pas, elles viennent télescoper les municipales. On a toujours le sentiment que lorsqu’il y a une campagne en cours, il faut qu’impérativement, il y ait une actualité judiciaire. »
Négocier sa place d’arbitre
En attendant que l’horizon judiciaire se dégage, certains lepénistes n’ont pas envie d’acculer le chef de l’État. « Avec Monsieur Macron, on n’est jamais à l’abri du pire », lâche le cadre, Jean-Philippe Tanguy. Comme tous les Français, ils ont appris qu’il était difficile d’anticiper les décisions d’Emmanuel Macron. « Cette histoire de destitution présidentielle, ça n’amuse que la gauche », persifle le porte-parole du parti, Laurent Jacobelli. Il enchaîne :
« La seule chose que l’on peut faire, c’est dire au président : le plus sage serait de partir. Mais il n’y a pas une once de naïveté chez nous. Entre l’égo et la nation, nous savons quel sera le choix du président. »
En clair, malgré les discours dégagistes, le RN ne pense pas qu’Emmanuel Macron va démissionner ou dissoudre l’Assemblée avant d’avoir essayé de nommer un autre Premier ministre. Jean-Philippe Tanguy a promis une fin rapide à « tout gouvernement qui ne romprait pas avec la politique macroniste ».
Un cadre du parti explicite : « Clairement, s’il est issu des rangs du Nouveau Front populaire ou si c’est quelqu’un qui est très hostile au RN, je pense aux Hauts-de-France, il y a peu de chances qu’il ait le temps de défaire ses valises. En revanche, si un Premier ministre est capable d’écouter et d’intégrer les mesures de bon sens que nous proposons, nous serons pragmatiques. » Ni un socialiste ni Xavier Bertrand, en somme.
Pour le reste, le parti lepéniste peut négocier et garder la place confortable d’arbitre à l’Assemblée. Comme souvent, le RN louvoie pour rester au centre du jeu.
Photo de Une de Jordan Bardella le 30 juin 2024, prise par Yann Castanier.
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