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    18/11/2025

    Éric Ciotti l’envisage comme un « élément moteur » pour son parti

    Claire Geronimi, figure du fémonationalisme

    Par Aurélien Defer , Louise Mohammedi

    Violée par un SDF centrafricain en 2023, Claire Geronimi est devenue vice-présidente du parti d’Éric Ciotti. Soutenue par le milliardaire catho-identitaire Pierre-Édouard Stérin, elle a monté une association qui semble s’inventer des soutiens.

    Paris (75), 24 septembre — On distingue à peine les illustres colonnes de la cour d’appel de Paris, tant l’île de la Cité est enveloppée dans d’épais rideaux de pluie qui n’arrangent en rien l’obscurité matinale. Face à la grille fermée de l’entrée principale, de l’autre côté de la route, une cinquantaine d’âmes est postée autour d’une petite tente aux couleurs de l’Institut pour la justice (IPJ). L’association, qui travaille parfois avec des députés du Rassemblement national, vient apporter son soutien à Claire Geronimi à l’occasion du procès sur trois jours de son agresseur, Jordy Goukara, un SDF centrafricain reconnu coupable de l’avoir violée ainsi qu’une autre femme, Mathilde, le 11 novembre 2023. Il a été condamné à dix-huit ans de prison.

    Le rassemblement voulu « apolitique » par Claire Geronimi se transforme en une réunion des différentes figures d’extrême droite. Outre le député RN Julien Rancoule et sa collaboratrice parlementaire Julie Gahinet — épinglée en 2024 par StreetPress pour des propos racistes —, il y a également ceux d’Identité-libertés, le microparti de Marion Maréchal Le Pen, Thibaut Monnier et Anne Sicard. Cette dernière débarque aux côtés du militant Damien Rieu, ex-Génération identitaire, « Fdesouche » et Reconquête, qui assiste à l’audience le premier jour. Le collectif identitaire Némésis est également représenté, ainsi que les homonationalistes d’Eros. (1)

    Tous sont là pour dénoncer une justice perçue comme trop laxiste avec les immigrés. « Il faut des peines dissuasives et expulser la criminalité étrangère », estime Myriam Bordreuil, membre de l’IPJ. L’ex-candidate Reconquête aux législatives de 2022 en Seine-Saint-Denis (93) ne manque pas une occasion de rappeler que « l’agresseur était sous OQTF [obligation de quitter le territoire français, ndlr] » — un terme administratif criminalisé par l’extrême droite depuis des mois mais qui ne signifie pas qu’une personne est dangereuse.

    À LIRE AUSSI (en 2024) : « Vous n’êtes pas de vrais Français » : La collaboratrice du député RN Julien Odoul accusée d’avoir tenu des propos racistes dans un bar

    Pas de quoi embarrasser Claire Geronimi : ces personnalités ou ces associations font partie de ses plus fervents soutiens depuis son viol, voilà deux ans. D’autant que la femme de 28 ans s’est peu à peu affirmée depuis ce terrible événement comme une figure montante de l’extrême droite française. Elle est devenue en février vice-présidente du parti d’Éric Ciotti, l’Union des droites pour la République (UDR), et est dans la liste des dîners de la très sulfureuse Radio Courtoisie, a appris « Libé », aux côtés du gratin de l’extrême droite parlementaire et radicale. Elle est aussi à la tête d’Éclats de femme, une association soutenue par le fonds Périclès du milliardaire d’extrême droite, Pierre-Édouard Stérin.

    La naissance d’une figure médiatique

    Le 18 décembre 2023. Les deux chambres du Parlement se déchirent en commission mixte paritaire sur la loi immigration du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. De son côté, Claire Geronimi, traumatisée par le viol qu’elle a subi dans le hall de son immeuble cinq semaines auparavant, cherche à partager son histoire. Ce soir-là, ce sont BFMTV et CNews qui la relaient, un mois après qu’elle ait témoigné sur C8 dans « Touche pas à mon poste ». Le récit de celle qui n’est alors qu’une cadre parisienne dans un cabinet de conseil en finance est glaçant, implacable, douloureux — comme elle l’a rappelé au procès au cours duquel elle a parfois fixé Jordy Goukara, pendant de longues minutes. Quelques instants plus tôt, le même jour, il avait violé une autre victime, Mathilde, qui n’a pas connu la même exposition. Elle avait affirmé dès janvier 2024 que « le vrai problème, c’est le viol, ce n’est pas l’immigration ».

    À LIRE AUSSI : Manifestation de Némésis le 8 mars : un néonazi au sein du service d’ordre

    La rédactrice en chef adjointe d’Arrêt sur Images, Alizée Vincent, a rencontré Claire Geronimi à deux reprises fin 2023 et 2024. Elle se souvient avoir remarqué un « changement notable » chez la vingtenaire. Lors de leur première rencontre, elle dit n’avoir « identifié [ni] de démarche militante ni d’interprétation politique de son viol ». Avant de se rendre compte, dans le cadre d’un podcast enregistré un an plus tard, que son discours avait évolué :

    « Elle avait quelques phrases sympathiques pour Alice Cordier [présidente de Némésis, ndlr]. Le débat s’est orienté vers les personnes sous OQTF plutôt que sur le viol. »

    En plus de sillonner les plateaux télévisés de Vincent Bolloré, Claire Geronimi s’est alliée entre temps au collectif fémonationaliste Némésis. Avec ces militantes, elle a notamment organisé, fin septembre 2024, un rassemblement en la mémoire de Philippine Le Noir de Carlan, dont le violeur et meurtrier présumé est un Marocain déjà condamné pour viol et en situation irrégulière. Leurs pancartes et leurs discours ont dénoncé le « laxisme migratoire » et « l’impact dangereux de l’immigration de masse sur les femmes occidentales ». L’essayiste et cofondatrice du média Problématik, Léane Alestra, qui a consacré un billet de blog au procès très médiatisé de Jordy Goukara, décrit auprès de StreetPress :

    « Philippine Le Noir de Carlan, Lola Daviet, Claire Geronimi… C’est toujours la figure de la fille blanche, de préférence blonde aux yeux bleus, qui est mise en avant par l’extrême droite comme une figure sacrifiée, sanctifiée. »

    À plusieurs reprises, Claire Geronimi a d’ailleurs reconnu une instrumentalisation politique de son viol, notamment par l’extrême droite. Elle semble toutefois s’en être accommodée et a pu reprendre la rhétorique de ses figures. Elle a ainsi pu affirmer lors d’un entretien avec Éric Zemmour que « les trois quarts [des viols], c’est par ce type d’individus » — une fausse statistique qu’elle a admise par la suite.

    Elle s’est insurgée du peu d’attention que lui auraient donné les « féministes de gauche », en citant Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes. Contactée par StreetPress, cette dernière rectifie : « La Fondation des Femmes, et les associations féministes en général ne trient pas les victimes. Preuve en est, comme toutes les victimes de viol qui nous contactent, nous l’avons orientée vers notre partenaire de confiance, que nous finançons, le numéro vert “Viols Femmes Information”. »

    Une association aux soutiens ambigus

    Durant le procès, Lucie Dubut, responsable partenariats et communication chez Éclats de femme, a décrit les répercussions du viol sur le caractère de son amie et associée :

    « Avant, Claire était quelqu’un d’extrêmement solaire, souriante et puissante. Elle a perdu son sourire mais a su préserver cette puissance et l’a mise au service des autres. »

    Elle a en effet créé, en novembre 2024, Éclats de femme, une association dédiée à l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles, reconnue d’intérêt général en mai. Avec deux salariées et près de 70 bénévoles actuellement, la militante affirme avoir aidé « plus d’une centaine de victimes » sur le plan juridique et psychologique. « Nous ne refusons jamais de prendre au téléphone une victime », assure celle qui a mis en place un formulaire dédié au signalement de violences sur son site Internet. Éclats de femme multiplie les actions sous différentes formes. L’association organise des cours hebdomadaires d’autodéfense tarifés à 270 euros par an, un sujet dont Claire Geronimi parle volontiers, dans l’un de ses podcasts, avec Romain Carrière, coach en la matière mais aussi ex-candidat RN en Occitanie et cadre du Bloc identitaire dans les années 2010.

    À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, pour attester de sa notoriété, l’association a mis en scène dans une courte vidéo Instagram le soutien qu’elle dit recevoir. S’y trouvent entre autres des personnalités telles que les acteurs Franck Dubosc et Medi Sadoun, ou encore la footballeuse, Elisa De Almeida. Pour l’actrice et réalisatrice Christine Citti contribuer à cette vidéo était une erreur :

    « J’ai appris que cette association était très liée à l’extrême droite. […] J’ai cessé de les suivre et regrette bien d’avoir participé à leur clip de soutien. »

    De son côté, la journaliste de LCI Ruth Elkrief assure à StreetPress avoir présenté, quelques secondes à l’écran, et soutenu Éclats de femme « à la demande d’un ami », dont elle n’a pas donné le nom, sans savoir les engagements politiques de Claire Geronimi.

    Faut-il y voir un manque de transparence de la part de l’association ? Au-delà de cette popularité affichée, elle s’invente des soutiens, comme l’a vérifié StreetPress. Sur son site web, elle aurait pour « partenaires » la marque de luxe Louis Vuitton, les écoles supérieures HEC et EFAP, ainsi que Mauve, une plateforme d’aide aux victimes de violences sexistes et sexuelles. Seulement, depuis nos questions, Mauve a demandé à Éclats de femme de retirer son logo du site Internet après avoir découvert la « récupération politique » de Claire Geronimi, affirmant être « une structure apolitique et non militante ». HEC a également confirmé à StreetPress n’avoir « aucun partenariat en cours avec Éclats de femme ». L’intégralité des logos a subitement disparu du portail web de l’association.

    Éclats de femme se garde surtout de mettre en avant son seul véritable partenaire financier : le très politique fonds Périclès du milliardaire Pierre-Édouard Stérin. Révélé par La Lettre et « L’Humanité », il vise à porter l’extrême droite au pouvoir. De quoi remettre en cause l’impartialité de l’association, qui, du propre aveu de Claire Geronimi, n’aurait pas pu voir le jour sans ce soutien. Non, promet-elle à StreetPress : « Périclès n’impose aucune orientation politique à notre association et leur rôle se limite à celui d’un financeur. » Contacté, Arnaud Rérolle, directeur du fonds, se contente de se dire « particulièrement fier de soutenir Claire et son association ».

    Un potentiel politique ?

    Outre Stérin, Claire Geronimi a rejoint l’écosystème d’une autre sphère d’extrême droite liée au milliardaire catho-identitaire et exilé fiscal : l’UDR d’Éric Ciotti. L’ex-président des Républicains l’a nommée vice-présidente de son parti. Au « Journal du Dimanche » de Bolloré, le duo a expliqué que Claire Geronimi « sera un élément moteur » sur certaines causes comme « la lutte contre les violences faites aux femmes ».

    Si elle a assuré dans cette interview que la formation a été l’une des seules à lui tendre la main, elle reconnaît auprès de StreetPress avoir également été « séduite » par un « côté jeune entrepreneur start-up ». Et de clamer sa détermination :

    « L’UDR est un jeune parti, il y a tout à faire. »

    L’intéressée, qui ne dispose d’aucun mandat d’élue, explique qu’elle « participe activement à des réunions, conférences, podcasts et autres évènements et moyens de communication de l’UDR ». Théo Michel, secrétaire général adjoint de l’UDR, affirme auprès de StreetPress que Claire Geronimi est « totalement à bord du bateau ». « Elle est présente à toutes les réunions du bureau politique », aux côtés d’Éric Ciotti, détaille cet ancien vice-président Les Républicains.

    Si elle dit fourmiller d’idées de propositions de loi, la femme politique n’en a pour l’instant qu’une seule à afficher sur son CV : un texte pour faire « reconnaître la responsabilité de l’État et indemniser immédiatement les victimes de viol commis par des individus sous OQTF ». Déposé en mars avec la députée UDR Christelle D’Intorni, il n’a pas encore été examiné mais il est déjà la preuve, comme Théo Michel le formule, que Claire Geronimi est capable de « transformer » le viol qu’elle a subi « en un acte politique » : « Son rôle est aussi de faire parler de l’histoire tragique qu’elle a vécue, de défendre des convictions sur ce sujet en particulier, les droits des femmes et le droit de se défendre. Et d’une manière générale des convictions liées à un retour de la sécurité et à une application des règles, notamment pour les OQTF. »

    Alors que la menace d’une dissolution pèse depuis des mois sur l’Assemblée nationale et que tous les partis s’y préparent en coulisses, Claire Geronimi se verrait-elle briguer un poste de députée UDR ? « Ce serait la suite logique et je lui souhaite », répond pour elle Théo Michel. Et pourquoi pas prendre la tête d’une liste aux élections municipales de 2026 ? La nouvelle figure du parti d’Éric Ciotti tranche : « Un mandat n’est pas ma priorité actuelle. » Mais une chose est sûre, dit-elle, Claire Geronimi n’a « plus les mêmes engagements qu’avant » et « veut les porter fièrement ». À l’extrême droite.

    (1) Contactés, les députés RN Julien Rancoule, Anne Sicard et Thibaut Monnier n’ont pas donné suite aux sollicitations de StreetPress. Tout comme Damien Rieu. Quant aux porte-paroles du collectif Némésis, elles ont détourné nos prises de contact pour attaquer StreetPress sur les réseaux sociaux, créant au passage de toutes pièces des échanges qui n’ont pas eu lieu.

    La quasi-totalité des soutiens de l’association Éclats de femme comme Franck Dubosc ou Pascale de La Tour du Pin n’ont pas répondu à nos sollicitations. Contacté via sa manageuse, Medi Sadoun n’a pas souhaité répondre à nos questions.

    La députée UDR Christelle D’Intorni a, par le biais d’un de ses collaborateurs parlementaires, décliné notre demande d’entretien pour des raisons d’agenda.

    Contactés, Louis Vuitton et l’EFAP n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

    Contactée via son avocate, Mathilde, l’autre victime de Jordy Goukara n’avait pas répondu à notre demande d’entretien au moment de la parution de cet article.

    Illustration de Une par Mila Siroit.

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