« Pourquoi est-il protégé comme ça ? Ça fait six ans que je me pose la question. Cette protection est allée au-delà de l’entendable », glisse l’un de nos témoins. Depuis la nomination de Thierry Folliguet comme chef de service de chirurgie cardiaque à l’hôpital d’Henri Mondor à Créteil (94) en 2018, des praticiens s’inquiètent du taux élevé de morts et de complications au sein de l’unité. Les trois premières années de sa chefferie, le taux de mortalité aurait atteint 13 % contre environ 3,5 % à l’échelle nationale, selon l’étude d’un professeur de chirurgie de l’établissement suspendu depuis. Ils dénoncent le management par la peur et les mensonges de Thierry Folliguet qui n’hésiterait pas à manipuler des données médicales à son avantage.
Avant de semer la terreur dans l’hôpital du Val-de-Marne, le Professeur Thierry Folliguet a traumatisé une autre équipe de soins dans le Grand Est, à Nancy (54). La direction l’a destitué en 2014 et lui a demandé de se reformer à certains gestes de chirurgie cardiaque. Cela n’a ni empêché l’Assistance publique–Hôpitaux de Paris (AP-HP) de le promouvoir ni la Société française de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire (SFCTCV) de le couvrir.
Danger au bloc de chirurgie cardiaque :
Pendant plus de trois mois, StreetPress a enquêté sur les faits qui visent le Professeur Thierry Folliguet à l’hôpital Henri Mondor de Créteil. Dans un milieu où règne l’omerta, nous nous sommes entretenus avec sept chirurgiens qui ont travaillé ou travaillent à ses côtés. Nous avons également pu consulter des centaines de courriers, de comptes-rendus et d’échanges de mails. Notre dossier comporte deux articles qui sortent ces 15 et 16 décembre.
Épisode 2 : Le Professeur Folliguet couvert par l’AP-HP malgré une décennie d’alertes
Un passage décrié au CHRU de Nancy
Retour en 2012, en Meurthe-et-Moselle. Alors que la période des fêtes approche au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy-Brabois, le Pr Thierry Folliguet vient d’être nommé chef du service de chirurgie cardiaque. Le secteur est affaibli depuis le suicide d’un chirurgien un an plus tôt, sur fond de harcèlement moral. Le chirurgien parisien, qui a exercé quelques années dans un hôpital privé du 14e arrondissement de la capitale, l’Institut Montsouris, va peut-être faire du bien à l’équipe nancéienne. Les soignants l’espèrent mais très vite, ils réalisent l’ampleur des dégâts.
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Dans une lettre envoyée au chef de pôle en septembre 2013, l’ensemble des chirurgiens, anesthésistes, perfusionnistes et infirmiers de bloc opératoire du service demandent, avec détresse, sa destitution. L’équipe de soins alerte sur des « complications inhabituelles sur des patients réglés ». Ils décrivent « des situations désastreuses » qui ont entraîné « une méfiance réelle quant aux capacités chirurgicales » de Thierry Folliguet. Les soignants reprochent à ce chantre de la chirurgie robotique « des approches chirurgicales qualifiées de novatrices », qui se sont soldées « par des échecs graves ». « Il a voulu faire des prouesses pour les journaux et les patients l’ont payé très cher », confirme le chirurgien Martin G. (1), qui l’a connu à Nancy.
Dans ce courrier alarmiste, l’équipe signale également le management problématique du supérieur hiérarchique, qui méprisait les habitudes de Nancy. « Ce refus s’est manifesté à de nombreuses occasions par des critiques ouvertes envers les compétences et les capacités du personnel qui ne semblait pas à la hauteur de ce qu’il connaissait à Paris », écrivent-ils. Des humiliations et moqueries qui s’adressaient à la fois aux chirurgiens expérimentés et aux assistants, rendus « responsables de complications, normalement imputables à l’opérateur et non à l’aide opératoire ».
Le 18 avril 2014, soit dix-huit mois seulement après son arrivée à Nancy, une réunion de crise est organisée avec les responsables de l’établissement. Dans le compte-rendu, le récit des soignants de Nancy est très proche de ceux de leurs collègues d’Henri Mondor à Créteil. L’année de son arrivée, le Pr Folliguet n’aurait organisé qu’une seule « revue de morbidité et de mortalité (RMM) » — ces réunions formalisées lors desquelles l’équipe de soins analyse les événements indésirables pour éviter qu’ils ne se reproduisent.
Plus grave, Thierry Folliguet aurait tendance « à masquer la réalité » aux patients et à leurs proches. Un anesthésiste explique que son équipe ne peut plus « couvrir les complications inhabituelles et les informations décalées données aux familles ». Parmi ces complications, il y a de nombreuses « fuites paraprothétiques » lors de remplacement de valves — également anormalement récurrentes à Henri Mondor. Face aux échecs, un même « refus de les reconnaître et de corriger le problème ».
Destitution et injonction à se former
Un mois plus tard, en mai 2014, le chirurgien est définitivement démis de ses fonctions de chef de service. Il est suspendu des listes d’astreintes des urgences pour une durée de seize mois. La direction de l’hôpital lui enjoint de se former à certaines urgences, notamment les dissections aortiques. Pour ce faire, Thierry Folliguet devait répondre présent lorsque ses confrères chirurgiens seniors l’appelaient pour les assister afin qu’il apprenne le geste. Ce qu’il n’aurait jamais fait. Dans un rapport ultérieur, le Dr Daniel Grandmougin écrit : « Sa réautorisation de prise d’astreinte, étant liée à l’acceptation par monsieur Folliguet de suivre une formation chirurgicale avec notamment le doublage en garde d’au moins dix dissections. Ce qui n’a pas été respecté par M. Folliguet. » Le chirurgien nancéien détaille :
« Il avait accepté le principe mais, dans la réalité, il a toujours prétexté une raison pour ne pas venir. »
Thierry Folliguet a malgré tout été réautorisé à opérer aux urgences. À l’hôpital de Créteil, les dissections aortiques font partie des cas cliniques dont les résultats interrogent. « Ce sont des cas graves, mais on avait des complications qui n’étaient pas des complications habituelles », dit le chirurgien Patrick F. (1), qui a passé plusieurs mois à Henri Mondor sous la chefferie du professeur. Une étude de 23 cas de dissections aortiques menée en 2019 par le Dr Denis Tixier, alors référent de la qualité des soins faite la même année à Henri Mondor, établit un taux de mortalité anormal aux alentours de 50 % sous la chefferie de Thierry Folliguet. Le chirurgien Baptiste M. (1), qui a travaillé à l’hôpital de Créteil jusqu’en 2020, se souvient avec effroi : « Des gens de moins de 40 ans sont morts après une dissection aortique. »
La destitution d’un chef de service de chirurgie cardiaque doublée d’une injonction à se former est loin d’être un événement anodin. « C’est la première fois que j’entends parler d’un cas comme celui-là », assure le chirurgien cardiaque à la retraite Bertrand L. (1). « Normalement, un chirurgien qui ne fait pas l’affaire, on le marginalise quand il est assez jeune, cela lui laisse le temps de changer, de se reconvertir. » Une incongruité qui n’a pas empêché l’AP-HP de le nommer quatre ans plus tard chef de l’un de ses quatre services de chirurgie cardiovasculaire. « Comment l’hôpital Henri Mondor a pu embaucher un chef de service s’il n’arrive pas à gérer des urgences ? », fulmine le chirurgien Patrick F. Selon lui, « pour ne pas répondre à cette question-là, la direction est prête à tout ».
Ce n’est pas faute d’avoir été prévenue. Le Dr Daniel Grandmougin, porte-parole de ceux qui ont alerté les autorités de l’hôpital à Nancy, a adressé à l’AP-HP et au ministère de la Santé plusieurs témoignages et un rapport détaillé sur la prise en charge des patients opérés par le Pr Thierry Folliguet de 2012 à 2018. Dans l’un d’eux datant de 2022, il écrit :
« Ce qui est surprenant […] c’est de constater qu’un chirurgien, PU-PH de surcroît, a pu rebondir à Mondor et prendre la chefferie d’un service de chirurgie cardiaque en toute impunité malgré […] les désastres chirurgicaux qui ont profondément marqué les personnels et impacté les patients et les familles. »
Relancée par mail, la direction d’Henri Mondor n’a pas souhaité nous répondre au sujet de sa connaissance sur le passé nancéien du chef de la chirurgie cardiaque.
Amitiés professionnelles
La clef de cette impunité réside peut-être dans les liens professionnels que le chirurgien a su entretenir au fil de sa carrière. Faire du réseau, Thierry Folliguet l’a appris dès son plus jeune âge. Ses cheveux gris lui donnent des faux airs de George Clooney dans la série américaine « Urgences », version 16e arrondissement. C’est dans ce quartier huppé de la capitale qu’il a grandi. Son père, Pierre Folliguet, était directeur honoraire de la banque Société générale, officier de l’Ordre national du Mérite et vice-président du groupe d’amitié France-États-Unis, une association d’expatriés. Après ses études de médecine à Paris, Thierry Folliguet suit le patriarche de l’autre côté de l’Atlantique pour faire son internat en chirurgie cardiaque à New York — une période de formation dont peu de personnes ont été témoins dans le milieu hospitalier français.
Dès 2010, selon plusieurs sources, le professeur de cardiologie Jean-Luc Dubois-Randé aurait encouragé sa nomination comme chef de service à Henri Mondor. Ce dernier était président des universités Paris-Est-Créteil jusqu’en août et chef du pôle de cardiologie réanimation vasculaire anesthésie de l’hôpital francilien jusqu’en 2018. Il lui manquait le statut de professeur, obtenu entre-temps. Thierry Folliguet est officiellement nommé à Créteil fin 2018.
Il y retrouve Emmanuel Teiger, chef du service de cardiologie, avec lequel il collabore en dehors de l’établissement. Ils organisent par exemple « CardioConnect », un séminaire annuel organisé de 2019 à 2023, dont étaient partenaires le département du Val-de-Marne et l’Association de recherche en cardiologie. En 2019, quelques mois après l’arrivée de Thierry Folliguet au groupe hospitalier universitaire d’Henri Mondor, c’est ce même Emmanuel Teiger qui reçoit les premières alertes sur les morts suspectes et les complications anormales au sein du service de chirurgie cardiaque. Contacté, le Pr Jean-Luc Dubois-Randé continue de défendre la pratique du Pr Thierry Folliguet : « Cela fait partie du “Mondor bashing” régulier et souvent orchestré… et plusieurs audits ont été réalisés infirmant ces allégations. La direction du CHU a l’ensemble de ces documents. »
Concernant les faits nancéiens, l’ancien chef de pôle d’Henri Mondor botte en touche. « Les affaires au CHRU de Nancy étaient très contestées dans le milieu de la cardiologie à l’époque. Je n’en connais d’ailleurs pas les éléments concrets », ose-t-il avant d’ajouter, « j’ai rarement entendu des collègues dire du bien d’autres collègues dans ma carrière professionnelle ». Joint par nos soins, le Pr Emmanuel Teiger n’a pas souhaité répondre.
La complicité et les audits de la SFCTCV
Thierry Folliguet, lui-même ancien président de la Société européenne de chirurgie cardiaque, a également de nombreux appuis au sein de la Société française de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire. La SFCTCV est une organisation corporatiste, en même temps qu’une société savante, dont la fonction principale est de faire avancer la discipline, d’organiser des congrès et la formation des internes. Le président actuel de la SFCTCV, Pr Jean-Philippe Verhoye, est coresponsable avec Thierry Folliguet d’une formation à l’Université de Créteil.
Malgré ce potentiel conflit d’intérêts et suite aux inquiétudes des soignants concernant le Pr Thierry Folliguet, c’est à la SFCTCV et au Conseil national des universités (CNU) qui lui est rattaché, que le directeur de l’AP-HP de l’époque Martin Hirsch confie un audit. Les médecins choisis pour assurer cette mission d’évaluation d’une durée de deux jours sont le président Jean-Philippe Verhoye et les membres de la SFCTCV : Pr Olivier Bouchot et Pr Alain Leguerrier. Dans leur rapport remis à la direction d’Henri Mondor et de l’AP-HP le 15 novembre 2020, ils confirment une « surmortalité » mais ne nomment jamais le Pr Thierry Folliguet.
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Dans une pirouette teintée de racisme, ils attribuent notamment ces mauvais résultats à « un nombre de patients non-négligeable […] issus de communautés étrangères n’ayant pas toujours pu bénéficier de prévention médicale ». « Des conclusions abjectes » et « une étude ethnique, illégale en France », selon un chirurgien cité anonymement par le magazine « Bastille », qui a consacré une enquête au professeur en 2022. Après ce rapport, le Pr Folliguet passe discrètement de chef de service à chef d’unité de la chirurgie cardiaque, sans perdre ses responsabilités hiérarchiques. « Une mesure purement cosmétique », selon une source hospitalière.
Moins de deux ans plus tard, alors que les complications anormales et le management toxique de Thierry Folliguet continuent d’être signalés, l’AP-HP commande un second audit à la SFCTCV. Le président Pr Jean-Philippe Verhoye et le Pr Olivier Bouchet sont à nouveau mandatés ainsi que le président du CNU, Pr Vincentelli. Dans une attestation officielle, une chirurgienne auditionnée dans le cadre de l’audit le 18 mai 2022 par visioconférence affirme que le président de la SFCTCV l’a interrompue lorsqu’elle a voulu aborder des problèmes liés à la prise en charge de patients par le Pr Thierry Folliguet. « Le Professeur Verhoye ne souhaitait manifestement pas que j’aborde ce sujet », témoigne-t-elle.
Dans les conclusions de ce second rapport, médiatisé par « Le Parisien », la SFCTCV estime que l’atmosphère délétère au sein du service de chirurgie cardiaque est liée à un « blocage entre deux camps définitivement irréconciliables ». Elle accuse en filigrane le Pr Rachid Zegdi, qui n’a pas encore été suspendu, de comploter contre le chef de service et conclut à un « ressaisissement certain » au sein du service.
Erreur de destinataire
Contacté par StreetPress par SMS le 9 septembre, le Professeur Olivier Bouchot — responsable de la chirurgie cardiaque au CHU de Dijon et membre de la SFCTCV mandaté pour les deux audits menés à Henri Mondor — nous a d’abord redirigés vers le président du CNU, Pr Vincentelli. Puis, il nous a renvoyé un message en se trompant manifestement de destinataire :
« Message que j’ai reçu, j’ai bien sûr refusé et je l’ai renvoyé vers toi. Le message officiel est peut-être que ça va mieux et que ça fonctionne. Et pour [Rachid Zegdi], c’est le problème de l’AP-HP. »
Contactée, la SFCTCV n’a pas souhaité nous donner le « message officiel ». D’après les chirurgiens interrogés, ce mélange des genres pose question. « Ce n’est pas normal qu’une association loi 1901 régisse le bon fonctionnement d’une discipline, et non l’État », dit l’un d’eux. Il qualifie la SFCTCV de « confrérie où l’on organise des choses en fonction des intérêts des uns et des autres » — quitte à faire et défaire des carrières. « Cela crée une omerta », analyse le chirurgien à la retraite Bertrand L. :
« Un chirurgien qui est encore dans le milieu ne peut pas dire de mal de Thierry Folliguet car il aurait l’impression de trahir. Sa carrière pourrait être en jeu. »
Dans un SMS que StreetPress a consulté, un chef du service de chirurgie thoracique cardiaque et vasculaire dans un hôpital de l’ouest de la France écrit, au sujet de Thierry Folliguet et de l’AP-HP :
« Il n’est pas pensable qu’ils puissent continuer de sévir au grand détriment des patients et au découragement des équipes. […] La SFCTCV ne peut rester indifférente à ces problèmes récurrents. »
À ce jour, et depuis les premières alertes en 2019, aucune expertise de dossier médical d’un patient de Thierry Folliguet à Henri Mondor n’a été effectuée par l’AP-HP. Côté judiciaire, à la suite d’un signalement de l’association de patients France Sepsis en juillet, une plainte a été transmise à la section S1 — le pôle santé publique — du parquet de Paris pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui » contre Thierry Folliguet. Une première enquête avait déjà été ouverte en 2022 par le parquet de Créteil, classée sans suite en juin pour « infraction insuffisamment caractérisée ». Le chirurgien cardiaque Patrick F., qui a vu le professeur opérer lors de son passage à Henri Mondor, conclut : « Il faut qu’il assume ses responsabilités. »
À RELIRE L’ÉPISODE 1 : Mortalité suspecte, management par la peur… À l’hôpital de Créteil, un chef d’unité à qui on ne « confierait jamais un proche »
(1) Le nom a été modifié pour protéger l’identité du témoin.
Illustration de Une par Caroline Varon.
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