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    30/04/2018

    « C’est un peu le Claude Makélélé de la politique »

    Grégoire Potton, l’ex-lieutenant de Macron qui dirige le Red Star

    Par Julien Chabrout , Yann Castanier

    Homme-clef de la campagne d'Emmanuel Macron, devenu trésorier de LREM, Grégoire Potton, 29 ans, est depuis novembre dernier le directeur général du Red Star. Sa mission : mener le club emblématique de la banlieue rouge en Ligue 1 d'ici 2024.

    Saint-Ouen (93) – Jean et chemise blanche, Grégoire Potton mène au pas de course la visite du stade Bauer, écrasé par une chaleur inhabituelle en ce mois avril. Il s’arrête. « Il est quand même magique, ce stade », lance le jeune homme de 29 ans près des cages de l’illustre mais vétuste enceinte du Red Star Football Club. Depuis novembre 2017, l’ancien directeur des affaires générales de La République en marche, le mouvement d’Emmanuel Macron, est directeur général du club emblématique de la banlieue rouge.

    Une nomination qui a fait grincer des dents certains supporters. Le 8 décembre 2017, lors du match à domicile contre Dunkerque, quelques banderoles « Ici on marche encore, mais on n’est pas En Marche » s’affichent en tribune. « Ce n’était pas une banderole méchante, elle se voulait humoristique, mais elle posait les choses », estime Vincent Chutet-Mezence, le président du collectif Red Star Bauer, la seule association officielle, indépendante du club. « Il y a des forums où je me fais insulter pour mon passé politique », regrette le jeune DG, attablé dans un bar proche du stade Bauer, où il carbure au café. Pour déminer la situation, des réunions ont été organisées entre des supporters et ce dernier, dévoile le président du club, Patrice Haddad.

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    Sa mission : amener le Red Star en Ligue 1, d'ici à 2024. / Crédits : Yann Castanier

    L’étoile rouge

    Si l’arrivée d’un Marcheur au Red Star a fait des étincelles, c’est que le club a le cœur bien à gauche. « Hou ! Ha ! Banlieue rouge » scandent, chaque semaine, les ultras du club de Saint-Ouen, dont certains sont proches des antifas parisiens. Longtemps, l’Étoile Rouge a été soutenu par l’ancienne municipalité communiste. Et dans les années 1970, il n’était pas rare de croiser le secrétaire général du PCF, Georges Marchais, dans les tribunes de Bauer. « C’est depuis le début un club laïc et apolitique. Ce n’est pas un club d’extrême gauche », juge Potton qui préfère parler de valeurs :

    « Aucun club en France n’est aussi romantique et aussi attachant. C’est un club historique, légendaire, qui a des valeurs que j’aime beaucoup : l’antiracisme, l’antisexisme, la laïcité, la lutte contre l’homophobie… »

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    Ouh ah, banlieue rouge, ouh ah, banlieue rouge ! / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas

    Malgré l’étiquette En Marche, le quasi-trentenaire, qui mise sur la discrétion, a semble-t-il su apaiser les relations avec les supporters. Samedi 28 avril à l’Olympic, le bar favori des supporters du Red Star situé juste en face de Bauer, les fans croisés après le match victorieux contre Créteil ignorent pour la plupart son nom. « Je ne saurais même pas le reconnaître », avoue Alexandre, supporter du Red Star depuis 8 ans. « Il se fait oublier, il n’est pas mis en avant. Par rapport à Pauline Gamerre [l’ancienne directrice générale du club], il y a un gros décalage ». Vincent Chutet-Mezence, qui ne l’a jamais rencontré, abonde :

    « C’est plutôt un homme de l’ombre. »

    Un homme de vestiaire

    En politique, déjà, Grégoire Potton œuvrait en coulisses. Il s’engage au PS lors de la présidentielle de 2012. À peine deux ans plus tard, un diplôme de Droit international et économie en poche, il est bombardé chef de cabinet de Thierry Mandon, tout juste nommé secrétaire d’État à la Réforme de l’État et à la Simplification. L’homme suit ensuite son ministre au secrétariat d’État en charge de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, un an plus tard. Ce dernier se souvient :

    « C’est quelqu’un de très sérieux, libre d’esprit, un organisateur qui ne se pose pas de questions et avance, doté d’une grosse maturité pour son âge. »

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    Egérie Mennen 2018 / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas

    Le « Ponot » – natif du Puy-en-Velay – se présente tout de même à deux reprises face aux électeurs, mais toujours à l’échelon local. D’abord aux municipales de 2014, où il apparaît sur la liste d’opposition au maire sortant, Laurent Wauquiez. Puis aux départementales l’année suivante.

    Dans la foulée, « complètement écœuré par le fonctionnement du PS », il songe à quitter la politique. Mais Cédric O, aujourd’hui conseiller à l’Elysée, lui propose de faire partie du projet Macron. Une heure d’entretien avec le futur président et l’affaire est emballée. « Il a fait un choix de carrière assez courageux en rejoignant En Marche ! Il fait des paris qui peuvent lui rapporter gros », observe Agathe Cagé. Engagée au côté de Benoît Hamon lors de la présidentielle, elle l’a côtoyé au sein d’un think tank socialiste, Cartes sur table, dont elle était la dirigeante.

    « Le Claude Makélélé de la politique »

    Au sein du jeune mouvement En Marche, Potton œuvre à nouveau en coulisses : il en devient directeur des affaires générales en octobre 2016. « C’était la cheville ouvrière du mouvement », complète son camarade de futsal, Cédric O. « Il a eu un rôle extrêmement important mais extrêmement ingrat, pour faire en sorte que toute la structure fonctionne », précise le député LREM de Paris, Pierre Person. « Pour filer la métaphore, c’est un peu le Claude Makélélé de la politique, le gars qui va au charbon, discret. Il y a un côté reposant d’avoir des gars comme ça, il génère une confiance », complimente Arnaud Leroy, ex-membre de la direction collégiale du mouvement (avec Astrid Panyosan et Bariza Khiari). Les Marcheurs ne tarissent pas d’éloges sur leur jeune coéquipier. « C’est un gars exceptionnel », dit Panyosan :

    « Il est rare de cumuler à la fois l’efficacité, l’humilité, le sens de l’intérêt général et le sens de l’humour. »

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    What else ? / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas

    Tous soulignent sa précocité. « Je pensais qu’il était beaucoup plus âgé », avoue Khiari. Le « golden boy » de LREM brûle en effet les étapes. Nommé directeur général du mouvement dans la foulée de la présidentielle, il devient aussi co-directeur de la campagne pour les législatives.

    En mode Start-up nation

    Mais le 1er novembre 2017, juste avant que Christophe Castaner ne soit élu délégué général de LREM, Potton quitte le navire. Il rejoint le Red Star FC. Un retour à ses premières amours, confesse le jeune homme. Dans sa jeunesse, il se rend souvent à Geoffroy-Guichard, le mythique stade de l’AS Saint-Étienne (tout en supportant l’OM, comme Emmanuel Macron). En sport études, section foot, le jeune Grégoire joue milieu défensif à l’Union sportive de football du Puy. Au Red Star, il prend soin de ne pas s’occuper de cet aspect des choses, géré par le directeur sportif, Steve Marlet, et par l’entraîneur, Régis Brouard. Potton décrit sa fonction de DG du club dans un langage tout macronien :

    « Je me vois comme un facilitateur, qui met de l’huile dans les rouages, qui fait communiquer les uns et les autres, qui fait avancer collectivement les dossiers, avec un travail sur la fluidité des process. Un club de foot, c’est une entreprise. Il faut gérer la communication, les affaires financières et juridiques, les RH, les grands projets, les recettes économiques, tout le développement culturel, etc. »

    Potton 2024

    Patrice Haddad, le président du Red Star, rêve de rendre son lustre au club resté 19 saisons en première division. L’ambitieux boss du club a été séduit par le Marcheur précoce :

    « Grégoire m’a paru être la personne la plus équipée pour agir. Il a le calme et le discernement pour mettre en place des systèmes de fonctionnement. »

    Chez LREM, l’homme gérait « une startup en hyper croissance ». « Quand je suis arrivé, on était 10 salariés. À la fin de la campagne, on était 100 », explique le jeune homme. Tandis qu’au Red Star, il entend faire « avancer le club sur le temps long ». C’est ce que souhaite le président du club, qui lui a fixé une « feuille de route 2024 », avec une accession en Ligue 1 d’ici là. Potton détaille :

    « Le Red Star a tout pour lui mais il lui manque encore quelque chose pour en faire le deuxième grand club de la région parisienne. Mais il faut rester une famille, garder son identité, et ne pas tout sacrifier pour l’aspect sportif. »

    Le club entend ainsi poursuivre le développement de son « Red Star Lab », créé en 2008 par Haddad. Le but ? « Émanciper par la culture des jeunes qui en sont parfois éloignés », selon Potton :

    « Avec le Red Star Lab, j’ai vraiment senti que l’on servait à quelque chose. »

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    Photo de famille à la fin du match / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas

    Le Red Star, c’est à Bauer !

    Au Red Star, Grégoire Potton gère un autre sujet majeur pour le club : l’avenir du Stade Bauer. Fief historique du club depuis sa création en 1909, ce stade « n’a pas été beaucoup rénové depuis », observe ce dernier. Cela devrait changer ces prochaines années. Deux solutions ont été inscrites dans le projet de la Métropole du Grand Paris, précise-t-il : une rénovation partielle, sur place, ou une reconstruction totale, là encore sur le même site, à Bauer. « On va plus vers une reconstruction du stade », précise Haddad.

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    Buuuuuuuuuuuuuuut / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas

    « C’est un stade à l’anglaise où les gens se mélangent et viennent parfois oublier leurs soucis », s’enthousiasme le jeune dirigeant qui nie être là pour lever des fonds. « Ce n’est pas quelque chose qui est entre nos mains. Le stade appartient à la municipalité », balaie-t-il. Tout juste Potton concède-t-il « essayer de pousser les politiques à prendre les décisions », alors que les relations entre le maire UDI de Saint-Ouen, William Delannoy, et le président du Red Star, désormais pacifiées, ont longtemps été froides. Le projet Bauer devrait encore prendre plusieurs années. En attendant, le club audonien doit trouver un stade homologué en vue de sa très probable remontée en Ligue 2.

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    Drapeau blanc / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas

    Vice, un partenariat critiqué

    Autre dossier à gérer : le partenariat avec le magazine Vice, connu des jeunes branchés, décrié par une partie des supporters. Un partenariat raccord avec la stratégie de Haddad, dont Grégoire Potton est l’un des éléments. « C’est une façon de casser les codes et une manière différente d’attirer des partenaires », défend le président du Red Star. Son DG soutient également ce partenariat :

    « Le président du club a en tête d’amener de nouvelles énergies, de déstructurer pour restructurer, de penser en dehors des sentiers battus et Vice est un peu dans cette logique-là. Vice apporte énormément en terme de visibilité et de valorisation du club. »

    Selon Alexandre, supporter du club, « l’image est bien plus contrôlée qu’avant avec Vice. Il y a une mise en scène », dit-il, évoquant les enfants présents avec les joueurs à la fin des matchs à Bauer pour remercier le public. Potton récuse les accusations de « gentrification » du club, alors que son histoire et son ancrage ouvrier attirent de plus en plus de Parisiens en quête d’authenticité.

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    YMCA / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas

    Une identité qui séduit aussi des people. À commencer par les rappeurs. Habitué des matchs à domicile, Fianso est devenu « l’égérie » du club dont il est tombé amoureux, comme il l’a confié à Konbini. Joey Star et Kool Shen, ou Bigflo et Oli ont récemment arboré les couleurs du club audonien lors de leurs concerts. L’équipe d’IAM n’hésite pas non plus à mouiller le maillot. « Aujourd’hui, si IAM porte le maillot du Red Star, ça veut dire quelque chose. Le Red Star, ce n’est pas le Paris arrogant, c’est le Paname sympa, humble, culturellement ouvert et tolérant », affirme Potton.

    Potton, trésorier de LREM

    Côté politique, l’ancien député PS de Seine-Saint-Denis, Mathieu Hanotin, actuellement conseiller départemental, s’y rend souvent. Comme le député de La France insoumise, Eric Coquerel. La ministre des Sports, Laura Flessel, est venue début mars pour y parler de foot féminin. Elle est même restée pour voir un match.

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    Les bras croisés, en tribune / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas

    Faut-il voir le signe que Potton reste très connecté à la majorité ? « Il est toujours dans les réseaux des anciens de la campagne. On le voit régulièrement à l’Assemblée, chez En Marche et dans les ministères pour échanger », explique le député LREM de la Vienne, Sacha Houlié. Potton a même gardé des fonctions au sein du parti. En novembre dernier, il est nommé au Bureau exécutif. Au même moment, il devient le nouveau trésorier de LREM, en remplacement de son ami Cédric O.

    « Il fallait quelqu’un qui connaisse la structure. J’ai accepté de faire la transition comme trésorier mais je n’irai pas m’exprimer dans les médias », tente de relativiser Grégoire Potton, précisant ne s’être rendu qu’à deux réunions du bureau exécutif depuis sa nomination. « C’est sa vie privée et personnelle. Il n’apparaît pas publiquement par rapport à ça. J’embauche les gens en fonction de leurs compétences et je choisis l’homme avant de savoir d’où il vient », balaie Haddad, quand on lui parle de la double casquette de son DG. Interrogé sur ses ambitions politiques, Potton jure avoir raccroché les crampons :

    « Ah non, pas de retour en politique. Ça a correspondu à une période de ma vie. Je n’ai pas voulu rester dans le système. »

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    La politique, c'est vraiment terminé? / Crédits : Yann Castanier

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