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    12/12/2018

    « Quand Paris se soulève, il faut bien montrer à qui appartient la rue »

    Dans les manifs de gilets jaunes, la guerre souterraine entre « antifas » et « fachos »

    Par Tomas Statius

    Pour les militants de gauche, il est impensable d’abandonner le mouvement social à l’extrême droite. Mais ces derniers ne se laissent pas faire. Dans les cortèges de gilets jaunes, « mobs » antifas et bandes natios s’affrontent violemment.

    C’est une opposition souterraine, avec ses codes, ses points de rendez-vous et ses batailles. Depuis deux semaines, à chaque journée de mobilisation, le même rituel : dans les cortèges de gilets jaunes, militants antifascistes et nationalistes se cherchent, s’épient, se toisent avant de se combattre.

    Samedi 8 décembre, il est à peine plus de 13h quand en haut de l’avenue Friedland une « mob » [groupe d’action] antifasciste tombe sur une quinzaine de militants de l’Action Française (AF). Ils viennent de déployer une banderole pour se placer en tête d’un cortège qui fait face à la police. « Dessus, il était écrit “À bas les voleurs”. Je les ai reconnus tout de suite », raconte le journaliste indépendant Alexis Kraland qui a filmé l’altercation :

    « Les antifas les ont pointés du doigt. Puis se sont préparés à la confrontation. »


    Les capuches noires chargent alors les adeptes de la fleur de lys. Les coups pleuvent. Rapidement, les militants royalistes battent en retraite, visiblement peu préparés à la castagne. « Je préfère parler de la violence du gouvernement contre le mouvement. Le reste, ça ne m’intéresse pas », indique François Bel-Ker, secrétaire général de l’AF, invité à commenter l’altercation. Même fin de non-recevoir du côté d’Antoine Berth, porte-parole du mouvement :

    « Je vous remercie pour votre prise de contact, néanmoins je ne peux y donner suite à cause de la ligne éditoriale de StreetPress. »

    La chasse

    Cette stratégie de chasse aux « fachos » est assumée par la plupart des antifascistes que StreetPress a pu interroger. « Il y a des mobilisations antifascistes à chaque manifestation de gilets jaunes depuis le 17 novembre », confirme Thomas (1), militant parisien :

    « Quand on les voit, on les tèj. »

    « De la même manière qu’on chassait les fafs des facs, on doit les chasser du mouvement », complète Stéphane (1).

    Pour l’acte 4 des gilets jaunes, une cinquantaine de militants ont sillonné Paris pour déloger les bruns des cortèges fluo. « On n’y va pas uniquement pour faire le ménage, on y va aussi pour participer aux gilets jaunes. Par contre, c’est hors de question de le faire main dans la main avec l’extrême droite », coupe tout net Yves :

    « Si tu leur laisses un mouvement comme celui-là, c’est leur faire le plus beau cadeau du monde. »

    « Comme il y a très peu de mobilisations collectives à l’extrême droite, il voulait faire de celle-ci un espace réservé », rebondit Mehdi(1). De fait, de nombreux groupuscules ont manifesté leur présence dans les cortèges de gilets jaunes, à l’instar des catholiques traditionalistes de la fraternité Saint-Pie X, des royalistes de l’Action Française, des militants d’Égalité et Réconciliation, de Dieudonné et de ses partisans ou de CasaPound. Deux dirigeants du mouvement néofasciste italien, Davide Di Stefano et Luca Marsella, étaient en effet présents sur les Champs-Élysées ce samedi.

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    Sur les Champs-Élysées / Crédits : DR

    Ils ne sont pas toujours les bienvenus. Une partie des gilets jaunes se charge déjà d’écarter les militants d’extrême droite du cortège, assure Yves (1), antifasciste :

    « Le 24 novembre, j’ai vu des gilets jaunes qui disaient à des groupes d’extrême droite d’arrêter de faire de la récup’. Certaines réactions “anti-fachos” sont même complètement étrangères au mouvement antifa – autonome – cortège de tête. »

    Match aller

    Côté baston, le premier round s’est déroulé une semaine plus tôt, le samedi 1er décembre. En milieu d’après-midi, un groupe d’antifas tombe sur Yvan Benedetti, porte-parole du Parti nationaliste français (PNF) et ancien leader de l’Oeuvre Française (groupuscule interdit après la mort de Clément Méric). Saoulé de coups, il est contraint de plier bagage, tout comme Hervé Ryssen, antisémite notoire. « Je leur ai dit [aux antifascistes] que ce n’était pas le jour de se battre », assure Benedetti fervent admirateur du maréchal Pétain :

    « Je ne compte pas porter plainte. Je ne vais pas pleurnicher devant les tribunaux. »

    L’homme affirme ne rien vouloir changer à ses habitudes en manifestation et ne pas chercher vengeance :

    « Ça ne change rien, les coups ne sont rien. »


    Tous ne sont pas si résilients. Du côté des Zouaves, un petit groupe qui réunit notamment des anciens du Groupe Union Défense et reprend les codes de la mouvance hooligan, on affirme aussi faire la chasse aux antifas. L’un de ses membres nous écrit. « Vers 14 ou 15h [le 1er décembre], on a appris que Benedetti et les 15 pélos qui l’accompagnaient (dont la moitié ont la cinquantaine passée) se sont fait attaquer par une trentaine de militants antifascistes » :

    « Notre groupe a alors décidé de se concentrer sur les antifascistes (bien que nous n’étions pas venus pour cela à l’origine). Nous les avons croisés vers 16h si je me souviens bien. »

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    / Crédits : DR

    Aux abords de l’Arc-de-Triomphe, la grosse trentaine de militants d’extrême-droite, parmi lesquels figurent des adhérents du Bastion social, tombe sur eux. La rencontre fait boum. Jets de bouteilles, de pierres puis affrontements à mains nues… Sur les réseaux sociaux, les natios fanfaronnent. Ils affirment être sortis vainqueurs de la bataille rangée. Un antifasciste confirme, sans s’étendre :

    « Tout ce qui est écrit sur internet est vrai. »

    Comme StreetPress le racontait, six d’entre eux ont été convoqués devant la justice pour des violences et dégradations commises ce jour-là.

    Groupe de bagarre

    « Ils misent tout sur la violence de rue et de fait, ça devient un problème concret », observe Yves. Durant l’année qui s’est écoulée, plusieurs rixes violentes ont opposé antifascistes et Zouaves :

    « Dans le Ve et le XVe, ils mettent des coups de pression à des occupations de facs. Ils volent aussi des banderoles, comme on le fait dans la culture ultra. »

    Pendant la Coupe du monde, les Zouaves auraient aussi agressé des supporters qui brandissaient un drapeau algérien.

    « Ils ne représentent rien politiquement », raille Thomas, qui estime que leur influence est moindre que celle d’autres groupes, comme l’Action Française :

    « Ce n’est qu’un groupe de bagarre. Ce sont des anti-antifas. Ils nous détestent et ils assument. »

    Alors que lui et ses camarades revendiquent un activisme politique plus large. Du côté des Zouaves, on se définit comme « nationaliste révolutionnaire ». L’un de ses membres affirme avoir participé aux manifestations de gilets jaunes « pour la justice sociale » et « pour défendre les intérêts du peuple français ». Mais aussi pour affronter la police, si les circonstances le demandaient :

    « Si les policiers voulaient jouer à réprimer toute forme de contestation, ils trouveraient du répondant en face. »

    On refait le match

    Les rixes des rues se prolongent sur les réseaux sociaux. À grand renfort de posts, les protagonistes comptent les points et se chambrent. « Aujourd’hui vos potes de l’Action Française se sont fait monter en l’air par les antifas ! », commente Franck D., sous l’une des publications de la page Ouest Casual, l’une des plus populaires chez les militants d’extrême droite parisiens adeptes du coup de poing. Spécialisée dans les faits d’armes des supporters ultras, elle est devenue depuis plusieurs années le lieu de rencontre de cette mouvance qui ne se reconnaît dans aucune organisation… Quelques minutes plus tard, un habitué lui répond :

    « Franck, rdv samedi étoile mec, on verra qui tu es. Moi en polo noir KOB [Kop of Boulogne, l’un des groupes de supporters interdits dans les tribunes du Parc des Princes], 1m93, 110kg. Présente-toi, je te promets de pas te massacrer… »

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    / Crédits : DR

    De part et d’autre, on affiche ses faits d’armes et ses trophées. Ainsi les antifas étalent une collection de stickers agrémentée d’un commentaire :

    « Dépouillage en règle d’un militant nationaliste »

    Du côté de Ouest Casual, on poste une photo d’une banderole volée à des « étudiants gauchistes ».

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    / Crédits : DR

    Samedi prochain, il y aura peut-être de la casse. « Des deux côtés, on revendique Paris », commente Yves, militant antifa :

    « Quand Paris se soulève, il faut bien montrer à qui appartient la rue. »

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