« Wesh poto ! Faut vite aller en Turquie là… » L’internaute lâche son commentaire comme un cri du cœur. Une moquerie aussi, peut-être. En plein live Twitch, le 8 octobre dernier, le streamer gaming Jiraya fait tomber son bonnet et dévoile ses longs cheveux brun surmontés d’une calvitie conséquente. Ce qui ne manque pas d’interpeller une partie de ses abonnés, 680.000 sur YouTube et 400.000 sur Twitch. « C’est du jamais-vu ! Même la Turquie ne peut réparer ça », surenchérit un autre.
mais la calvitie de Jiraya c’est une catastrophe ptdrrr je pensais pas ct à ce point pic.twitter.com/bbruibrHJM
— Xavi Seedorf (@AC_BARCELONE) October 8, 2020
L’affaire est devenue un mème sur Internet : calvitie ne va plus sans Turquie. Le pays est la destination de référence en matière de tourisme esthétique pour homme. On fait le voyage pour se faire refaire les chicos mais, surtout, des greffes capillaires pour la barbe et les cheveux. « La Turquie mène la danse dans ce domaine », avance Ozgur Bey, vantard. Il est le directeur com’ d’une des cliniques les plus en vogue d’Istanbul, Bella Hair. Le Franco-turc a emménagé sur les rives du Bosphore il y a quatre ans, bien décidé à tirer profit de cette nouvelle mode masculine popularisée par les influenceurs français.
Pour se faire connaître, il joue à plein la carte des influenceurs. De nombreuses stars du web sont passées par la clinique d’Ozgur Bey et en ont fait la promotion : le twittos Rebeu Deter, 1,1 million de followers ; le youtubeur GameMixTreize, 3,65 millions d’abonnés ; l’humoriste Insta Boris Becker, 1,5 million d’abonnés ; et même Makao, l’ancien garde du corps d’Emmanuel Macron reconverti en candidat de téléréalité. Le rappeur marseillais Soso Maness, lui aussi client, vante son influence :
« Je suis un précurseur dans le fait d’assumer ma greffe capillaire. Je suis allé en Turquie l’année dernière. Depuis, tout le monde y va ! »
Esthétique homme
« On est dans un métier d’image. C’est important d’avoir de belles dents, de beaux cheveux. » Au téléphone, Soso Maness assume à 100% son voyage à Istanbul. Il a commencé par une greffe de cheveux, pour arranger sa calvitie galopante. Ce jour d’octobre, il est justement sur place. L’auteur du refrain Zumba Cafew dans le tube Bande organisée se refait les dents cette fois. « Je préfère mettre de l’argent là-dedans plutôt que dans une Merco ! » Et quand il y passe, il n’hésite pas à partager l’endroit sur ses réseaux.
Même chose pour le créateur de contenus GameMixTreize. En septembre 2019, en plus de ses stories à la clinique et sur le billard, il partage sa visite d’Istanbul. Dîner chez Nus-Ret – le cuistot rendu célèbre pour son salage de viande et ses entrecôtes à la feuille d’or –, session de tir au fusil d’assaut, balade en voiture de luxe. Une belle opération de communication orchestrée par Ozgur Bey, 29 ans. Originaire de Montpellier, le spécialiste com’ a rejoint la clinique Bella Hair il y a quatre ans. Fin connaisseur des réseaux sociaux, il n’hésite pas à jouer les VRP avec certains clients VIP. Des paris gagnants selon lui. Ils ont permis à son employeur de se distinguer parmi les dizaines de cliniques de greffes capillaires qui ont fleuri dans la capitale économique turque.
Influenceurs beauté
« Avant c’était la Tunisie. Ça fait longtemps qu’on reçoit des demandes de placements de produits comme ça. » Galo Diallo est fondateur de l’agence Smile, qui gère la carrière d’une dizaine de créateurs de contenus. Il explique recevoir très régulièrement des propositions de partenariats venues de cliniques turques. « On refuse tout ce qui est chirurgie esthétique ou produits médicaux. On préfère rester sur des trucs fédérateurs. Après, si nos talents veulent se lancer là-dedans, ils le font de leur côté. »
Un post d’un influenceur sur les réseaux, lorsqu’il est rémunéré, doit être encadré. Globalement, il est difficile d’obtenir le prix de ces placements de produits. D’un côté, c’est un sujet tabou, personne ou presque ne parle d’argent sur les réseaux. De l’autre, la rémunération dépend du nombre d’abonnés, du produit placé, voire du taux d’engagement de l’audience d’une personnalité. En 2019, le site de Business Insider nous apprenait qu’en moyenne, un post sponsorisé sur Instagram se tarifait un peu moins de 1 500 euros.
Il s’agit bien d’un chiffre moyen, dans la réalité, aucun influenceur ou presque ne dévoile combien il a touché pour telle ou telle opération.
Des célèbres Twittos, comme Rebeu Deter (1,1 million de followers), Yassencore (250.000 followers) ou AmineMaTué (490.000 followers), font la pub des greffes turques low-cost. / Crédits : DR
Mais quand il s’agit de la clinique Bella Hair, difficile de savoir si ces opérations sont rémunérées ou non. Selon nos informations, certains influenceurs dealeraient une opération gratuite contre quelques postes sur les réseaux. Peu loquace, Makao, l’ancien garde du corps de Macron, aujourd’hui candidat de téléréalité, explique simplement que le propriétaire de la clinique est « un ami ». Lors de son passage en octobre dernier, il a multiplié les posts en compagnie d’Ozgur Bey. « Je l’ai appelé quand j’ai eu un petit problème capillaire. Là, je suis rentré en France et j’applique le protocole de soins. » Soso Maness, lui, élude malicieusement la question :
« Ça c’est un accord secret entre Ozgur et moi ! »
Quant à Ozgur, il préfère parler de son rôle de commercial. « Une partie de mon travail est de faire en sorte que les patients se sentent comme en France. » Il a été recruté spécialement pour ça. Aujourd’hui, il assure recevoir dans sa clinique une à trois personnes par jour, dont 80% de francophones.
Makao, l'ex-garde du corps d'Emmanuel Macron reconverti en candidat de téléréalité, a fait un passage en Turquie en octobre dernier. / Crédits : DR
Tous opérés !
« J’ai croisé plein de jeunes de cité à Istanbul. Avec des bandeaux sur la tête. Ça veut dire qu’ils sortaient de leur opération ! Même à Marseille, chez moi, plein de gens sont allés en Turquie après mon passage ici. » Soso Maness se marre. Il raconte être passé faire une petite surprise à des patients en salle d’opération, lors de sa dernière visite dans les locaux de Bella Hair. Des fans français pas mécontents de discuter quelques minutes avec le rappeur.
Ozgur Bey a fait le choix de cibler le public de Soso Maness. Comme ceux des youtubeurs gaming ou des candidats de téléréalité. Des jeunes, souvent urbains, aujourd’hui décomplexés. Comme il l’explique :
« Avant, à la cité, il y avait toujours un grand qui gardait sa casquette en permanence pour cacher sa calvitie. Il avait honte. Maintenant c’est devenu normal de faire une opération chirurgicale. »
Si les greffes capillaires se sont démocratisées, c’est aussi grâce au prix. En Turquie, l’opération est à moins de 3.000 euros. En France, elle avoisine les 12.000 euros. « C’est parce que tu paies au greffon dans les cliniques françaises », explicite Jonathan, qui aurait déboursé 2.500 euros. Le Lillois de 36 ans a longtemps cherché à résoudre ses problèmes de calvitie. Il découvre que cette chirurgie esthétique consiste à implanter des greffons de cheveux – extraits à l’arrière du crâne – sur les zones où il n’y en a plus. La manœuvre est longue et prend plusieurs heures, voire plusieurs jours. L’anesthésie est locale. Et les journées qui suivent sont souvent douloureuses.
Mais Jonathan est motivé. Il raconte s’être laissé convaincre par le discours de Jérémy Delattre, un micro-influenceur français. Sur sa chaîne YouTube, ce dernier parle essentiellement de la Turquie à ses 35.000 abonnés. Il s’est fait opérer lui-aussi, il y a un peu plus d’un an. Depuis, le trentenaire a carrément créé sa clinique en Turquie : Klineva. Et, comme les autres, il espère attirer des Français.
Les bons tuyaux
« Pendant quelques mois, tu dois faire attention à ton crâne, ne pas faire de sport, dormir de manière particulière », énumère Jonathan, qui promet que l’opération n’est pas anodine. Soso Maness se souvient de la nuit qui suit l’intervention en grimaçant. Il porte alors un bandage autour de son crâne : « J’ai voulu me lever pour aller chercher un truc à manger dans le mini-bar. Je me suis éclaté le crâne contre un mur. Ça m’a fait bien mal ! ».
Les rappeurs marseillais Kofs et Naps, qui ont posé leurs rimes cet été sur le tube Bande organisée, ont été récemment aperçus à Istanbul. / Crédits : DR
Médocs, crèmes, soins, la convalescence prend plusieurs semaines. Et les résultats ne se font sentir qu’un mois après être passé sur le billard. Gare à ceux qui négligent le protocole. C’est le cas d’un influenceur à plus d’un million d’abonnés sur Insta. « Il a fait n’importe quoi : juste après l’opération, il s’est fait une teinture. Ses cheveux ont déjà commencé à partir… Il faudrait limite qu’il y retourne », souffle son chargé de projet, qui explique que l’humoriste ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet. Avant d’ajouter :
« Maintenant, quand on lui en parle, il est saoulé. »
Le sujet est l’objet de nombreuses discussions. Sur Facebook, les 3.000 membres du groupe « Greffe de cheveux – Retour d’expériences » s’échangent conseils, bons plans et arnaques à éviter. Car d’après le docteur Martial Bodnar, les entourloupes sont nombreuses dans le pays d’Erdogan. Le chirurgien toulousain, spécialiste de la greffe de cheveux depuis presque 20 ans, a vu des patients revenir de Turquie avec des résultats désastreux :
« Un garçon de 21 ans est venu me voir, limite en pleurant, pour réparer une opération qu’il avait faite en Turquie. Il était complètement tondu à l’arrière du crâne. Je lui ai dit que j’étais sincèrement désolé pour lui, mais que je ne pouvais rien faire. »
Le doc’ assure avoir fait le voyage à Istanbul au début des années 2010, pour voir comment les chirurgiens locaux bossaient. Il dénonce des cliniques peu respectueuses de l’éthique, notamment en opérant des gens avant 25 ans. « Théoriquement, l’implantation peut encore changer jusqu’à cet âge. » Lui parle d’« usines qui opèrent 24h sur 24 avec des armées d’assistantes et des chirurgiens qui passent de patients en patients ». Ajoutant :
« C’est devenu un business et c’est pire depuis que les influenceurs partent là-bas. »
Mais dans le groupe « Greffe de cheveux – Retour d’expériences », la question du moment est ailleurs : le voyage en Turquie est-il possible malgré les conditions sanitaires ? Pas d’inquiétude à avoir d’après plusieurs internautes. Les rappeurs marseillais Kofs et Naps, ou les twittos AmineMaTué et Yassencore, ont été aperçus à Istanbul. Les affaires roulent.
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