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    15/09/2022

    « Ils m’ont attrapé par le cou, comme un rat. »

    Émeute et violences policières au centre de rétention du Mesnil-Amelot

    Par Elisa Verbeke

    Le 25 août dernier, une vingtaine de retenus mettent le feu à des draps pour protester contre leurs conditions d’enfermement au Cra du Mesnil-Amelot. Entre lacrymos et coups de matraque, la réponse de la police sera très musclée.

    Centre de rétention du Mesnil-Amelot (77) – Il est 22h passées ce 25 août quand les exilés déclenchent l’émeute. Une poignée de retenus enfermés en attente d’être expulsés du territoire enflamment les draps de leurs lits. Puis en passant par une fenêtre, ils se hissent sur le toit. Selon les témoins interrogés par StreetPress, les insurgés revendiquent de meilleures conditions de vie au sein du Centre de rétention administratif (Cra). Il s’agirait d’une tentative d’évasion, conteste la police.

    Les 15 bleus présents appellent du renfort. Une cinquantaine d’hommes débarquent. Depuis le toit du bâtiment, « des retenus lancent des bouteilles d’eau sur la police », raconte Charles (1) (2), un Nigérian retenu au Cra depuis trois mois :

    « C’est à partir de ce moment que les policiers se sont mis à tous nous gazer, sans distinction. »

    Ali (1), 27 ans, également Nigérian, est retenu depuis six mois. Il est délogé brutalement de sa chambre. Il raconte, encore troublé par les événements :

    « Les policiers ont gazé chaque chambre et jeté nos affaires. J’ai eu du gaz [lacrymogène] dans les yeux et mon visage m’a brûlé pendant trois jours. »

    Le retenu dénonce aussi des violences des forces de l’ordre :

    « J’ai vu la police frapper des hommes, des Arabes. Moi, je ne me bats pas, pourtant, ils m’ont attrapé par le cou, comme un rat. »

    La Cimade confirme les faits. L’accompagnatrice juridique de cette association, la seule présente sur les lieux pour accompagner les retenus dans leurs démarches, précise :

    « Les violences policières sont courantes au Cra. Des retenus portent souvent plainte pour ce motif. »

    Prison ferme pour rébellion

    Il est trois heures du matin quand les renforts quittent les lieux. Six retenus sont placés à l’isolement, répartis dans trois petites cellules équipées normalement pour une personne. « C’est un enfermement abusif auquel les policiers ont souvent recours, en guise de réponse aux revendications des retenus », complète l’accompagnatrice juridique de la Cimade. Ali s’indigne :

    « Ils ignorent la loi, ils pensent avoir tous les pouvoirs et qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent. »

    Deux d’entre eux sont jugés en comparution immédiate. « Ils ont écopé de deux mois de prison ferme pour provocation, rébellion et dégradation et de cinq ans d’interdiction de territoire », affirme la Cimade. Les autres mutins ont été transférés dans les Cra de Vincennes (94), Rennes (35) et Rouen (26). Charles confie :

    « Après cette nuit agitée, je suis allé voir la Cimade. Je les ai suppliés : “S’il vous plaît, remettez-moi en prison.” »

    Conditions de rétention dégradées

    « Les retenus demandent des conditions de rétention humaines et décentes », explique la Cimade dans un communiqué. Elles ont empiré depuis le début du mois d’août dernier. À cette période, Gérald Darmanin a renforcé le placement en rétention des personnes en situations irrégulières sortant de prison.

    Les jauges, alors limitées à 80% depuis la période de pandémie, « sont remontées à 100%, la pleine capacité de 120 places est de nouveau atteinte », détaille l’association. Et sans nouveau personnel, « il n’est désormais plus possible pour les retenus de se balader seuls ou de ramener de la nourriture dans leurs chambres ».

    À cela se greffent l’insalubrité et la vétusté des locaux. Il n’y a ni douches ni toilettes dans le bâtiment 7 du Cra du Mesnil-Amelot. Les retenus doivent traverser la cour pour rejoindre des sanitaires très sales. « Ils ne nettoient que la lunette des toilettes », révèle Ali. Les points d’eau sont en piteux état, « plein de crachats et de pisse », continue-t-il. Dans les chambres, les lumières ne fonctionnent plus, des rats se promènent et les punaises de lit prolifèrent, il finit :

    « J’ai des petits boutons partout. »

    De l’autre côté de la cour, au Cra 3, cohabitent des femmes et leurs enfants dans les mêmes conditions de vie insalubres. Au Mesnil-Amelot, « c’est pire qu’en prison. Ils sont traités comme des animaux », affirme l’accompagnatrice juridique de la Cimade. Pourtant, ajoute-t-elle :

    « Il s’agit de personnes en détresse. Beaucoup ont des pathologies lourdes à porter et sont vulnérables psychologiquement. Certaines sont sous curatelle. »

    « Ici, les gens crèvent de faim », affirme Charles. Si certains dénoncent la taille des portions, la plupart contestent surtout le contenu de l’assiette. Les repas proposés ne correspondent pas toujours aux habitudes alimentaires des retenus de cultures très différentes. Et ils ne peuvent pas cuisiner eux-mêmes leurs repas. La Cimade le confirme : « Toutes les personnes maigrissent rapidement ici. La qualité et la quantité des repas ne sont pas suffisantes. Les femmes se plaignent de douleurs abdominales et d’être malades. »

    À LIRE AUSSI : Draps sales, pénurie de PQ et de tampons, bienvenue au CRA pour femmes du Mesnil-Amelot

    Un Cra sous le feu des critiques

    Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a déjà épinglé le Cra du Mesnil-Amelot en 2010, 2011, 2014 et 2019 pour le mauvais traitement des retenus. « Un effort doit être porté sur le maintien des conditions d’hébergement matérielles des personnes retenues. Les dispositifs de verrouillage des portes de sanitaires, les portes des armoires, les fontaines à eau et les éclairages défectueux doivent être remplacés. L’hygiène des locaux doit être améliorée », inscrivait notamment l’instance dans son dernier rapport d’inspection.

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    Le Cra du Mesnil-Amelot a déjà été épinglé par le CGLPL en 2010, 2011, 2014 et 2019 pour son mauvais traitement des retenus. / Crédits : Google Earth

    En mars dernier, c’était la neuvième fois que la Cour européenne des droits de l’Homme condamnait la France pour traitement inhumain, dégradant et la présence d’enfants dans ses Cra.

    (1) Les prénoms ont été modifiés.
    (2) Charles a été renvoyé au Nigéria le 14 septembre 2022.

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