Cour d’appel de Paris (75) – Il y a du monde sur les bancs de la petite salle Dario, dont les murs boisés bordent la Seine. Mais les policiers Patrick C. et Fabrice D-P. eux n’y sont pas. C’est pourtant leur procès en appel en ce 25 mai 2023. Il y a presque un an, ils ont été condamnés pour leurs propos outranciers dans le groupe TN Rabiot. Un forum Facebook où des milliers d’agents s’échangeaient des messages racistes, dont StreetPress a révélé l’existence en 2020.
Suite à l’enquête de la justice, sur les dizaines et dizaines de messages épinglés dans nos articles, seuls ces deux agents ont été convoqués par la justice et condamnés. Trois mois de prison avec sursis pour Patrick C. pour « injure publique à caractère racial ». Même sentence pour Fabrice D-P., mais avec 9.000 euros d’amende en plus car l’ex-agent de police quinqua a également été condamné pour « provocation à la haine raciale » dans cette affaire. « J’espérais qu’ils seraient présents », lâche leur avocat d’une petite voix devant le tribunal, face à un président d’audience habitué de ce genre d’histoires – il avait relaxé Eric Zemmour pour « contestation de crimes contre l’humanité » en mai 2022 ou baissé la condamnation « d’injure publique à caractère raciste » de Valeurs actuelles contre la députée LFI Danielle Obono.
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« Banalisation du racisme »
Les deux prévenus ont été jugés en première instance pour des propos bien précis. Pour Patrick C., 46 ans dans deux jours, c’était suite à une attaque au couteau survenue dans la Drôme (26). Il écrivait alors : « Des barbus soudanais à Romans-sur-Isère, et avec des titres de séjour, et donc RSA et AME etc… Ce pays est vraiment devenu la poubelle du monde… Plein le cul vraiment, et on se demande pourquoi les Français ne supportent plus l’immigration… C’est plus facile de les traiter de méchants racistes fascistes et toussa, et pendant ce temps-là, ça continue à rentrer par tous les trous. Je comprends pas, ça profite à qui cette immigration ni choisie, ni qualifiée ni rien du tout ? »
Pour Fabrice D-P., son message était lié à la publication dans TN Rabiot d’une manifestation pour les droits des sans-papiers, malgré une interdiction :
« Toujours la même merde qui brave tous les interdits dans ce pays. Les gauchiasses puants et les immigrés qui ne ferait même pas 1/10 du quart de ça chez eux ! Comme Trump ! Il a dit du plomb ! »
Les deux hommes contestent les infractions, dont notamment le côté public des propos. Leur absence est largement pointée par les avocats des parties civiles : la Maison des potes, SOS Racisme ou la Licra. « Ce qui ressort de toute cette affaire, c’est le caractère décomplexé, décontracté, de banalisation du racisme », lance maître Clément Despujol, le conseil élancé de la Maison des potes. Il continue :
« On a retrouvé cette décontraction lors de la première audience. Patrick C. est venu sans avocat, comme s’il n’avait pas besoin de défense. Fabrice D-P. n’est pas venu, comme s’il n’avait pas besoin de s’expliquer. On a l’impression que tout ça ne les concerne pas ! »
À travers ses tweets, Fabrice D-P. crache sur les immigrés, mais il en est pourtant un en Thaïlande. / Crédits : Twitter
Toujours des messages haineux
Pire que ça, le délégué général de la Fédération des Maisons des Potes, Samuel Thomas, souligne même qu’un des deux condamnés continue de publier des déclarations haineuses sur les réseaux sociaux. Notamment sur Twitter. « Fabrice D-P. publie très souvent des injures racistes, des incitations à la haine. Il s’en prend aux musulmans, aux femmes voilées, aux étrangers… Des propos d’une violence extrême », présente-t-il devant les juges.
Dans ce tweet de réponse au maire d'extrême droite Stéphane Ravier, l'ancien policier fait une référence explicite au massacre du 17 octobre 1961. / Crédits : Twitter
StreetPress a pu jeter un œil aux messages. Sous un tweet du maire d’extrême droite Stéphane Ravier en décembre 2021, Fabrice D-P. appelle à « défoncer » et « jeter dans la Seine » des supporters algériens :
« Comme un certain jour où il ne faisait pas les malins. »
Une référence au massacre du 17 octobre 1961 où la police a tué des manifestants algériens. Celui qui affiche son idolâtrie pour Eric Zemmour ne s’arrête pas là. Le même jour, il répond également au député RN Julien Odoul qui s’énerve également des célébrations algériennes : « Y en a marre de ce peuple d’attardés mentaux, des parasites qui nous emmerdent à longueur de temps ». Plus récemment, il a encore lancé suite à un post de l’identitaire Damien Rieu : « Dans tous les pays les mêmes parasites hélas. » Ou à propos d’une course-poursuite où le chauffard a été grièvement blessé à la tête : « Mince, raté. »
Avant la présidentielle, quand il n'avait pas encore été condamné, l'ancien policier Fabrice D-P. confiait son amour pour Eric Zemmour. / Crédits : Twitter
L'ancien gardien de la paix compare les Algériens qui fêtent la victoire de leur équipe à des « parasites ». / Crédits : DR
À l'identitaire Damien Rieu, il réutilise le terme de « parasites ». / Crédits : Twitter
Et quand Nicolas Bay, ex-RN maintenant chez Reconquête, tweete sur une décision de justice qui lève son immunité parlementaire, Fabrice D-P. vitupère :
« Y en a marre de ces magistrats gauchistes de merde !! Quand est-ce qu’on va tous les enfermer à Cayenne à vie, des traîtres !! »
Suite à ces tweets, Samuel Thomas et la Maison des potes ont envoyé les publications au parquet de Paris et ont déposé une nouvelle plainte le 23 juin 2022. Celle-ci a été classée sans suite. « Le parquet nous a répondus qu’il était en Thaïlande, qu’il ne pouvait pas poursuivre. Il sait qu’il est protégé, il a une impunité », détaille Samuel Thomas à la barre.
Pour Fabrice D-P. Les juges sont des « gauchistes » et des « traîtres » qu'il faut enfermer « à vie » à Cayenne, une référence au bagne. / Crédits : Twitter
À propos d’une course-poursuite où un chauffard a été grièvement blessé à la tête mais pas tué, Fabrice D-P. répond : « Mince, raté. » / Crédits : Twitter
Un immigré
La nouvelle adresse de celui qui est désormais ex-policier fait réagir dans la salle d’audience. « Peut-on voir l’ironie ? », pointe maître Clément Despujol. « Fabrice D-P. est un immigré en Thaïlande ! J’espère que les Thaïlandais auront un meilleur sens de l’hospitalité que ce qu’il préconise ! », renchérit le baveux. Sa consoeur qui représente SOS Racisme, maître Aya Bulaid, continue :
« On lui souhaite que sa nouvelle condition d’immigré puisse faire bouger son système de pensée. »
Le procureur, lui, s’enquiert directement auprès de l’avocat de la défense de l’adresse de Fabrice D-P. « Ah, je ne la connais pas », botte-t-il, embêté. Lors de sa plaidoirie, il tente de rappeler le côté privé du groupe – malgré ses 8.000 membres à l’époque – et soutient qu’ils n’ont pas de sentiment d’impunité puisqu’ils « ont été condamnés ! ». Pas de quoi changer la position du procureur, qui demande une peine similaire à la première, « conforté » par les tweets de Fabrice D-P. apportés par la Maison des potes. La décision sera rendue le 29 juin prochain.
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_ Image de Une de la Cour d’appel de Paris, le 29 mai 2017. Photo prise par xiquinhosilva et disponible sur Wikimedia Commons. Certains droits réservés.
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