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    29/09/2025

    « C’est contraire au devoir de neutralité des administrations publiques »

    Comment Stérin a bénéficié d’un coup de pouce d’une collectivité de Charente-Maritime pour sa Nuit du Bien commun

    Par Sylvain Lapoix

    La communauté de communes Aunis Atlantique a encouragé les associations de son territoire à candidater au gala du milliardaire d’extrême droite, sans interroger la nature de l’événement.

    Benon (17) – Les associations ne se sont pas bousculées pour venir recevoir les dons de l’édition La Rochelle-Niort de la Nuit du Bien commun — le gala caritatif du milliardaire d’extrême droite, Pierre-Édouard Stérin, créé en 2017. Six lauréates dont seulement trois se sont présentées le 24 septembre pour se partager 97.000 euros de dons. L’événement comptait parmi ses relais un partenaire public de choix : la communauté de communes Aunis Atlantique, dont le village de Benon et ses 1.800 habitants font partie.

    Dans un mail daté du 28 avril que StreetPress s’est procuré, les services de la collectivité signalent « une occasion pour les associations locales de lever des fonds pour leurs projets ». Après une énumération détaillée des critères de participation, le mail indique que les associations peuvent solliciter un centre socioculturel, l’Espace Mosaïque, pour remplir leur dossier de candidature. Situé à Courçon (17), à quelques kilomètres du lieu de l’événement, le centre compte parmi ses financeurs la communauté de communes.

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    Dans ce mail daté du 28 avril que StreetPress s'est procuré, la communauté des communes appelle les associations locales à « présenter leur projet lors de cet événement et de lever des dons pour le financer ». / Crédits : DR

    Mais comment une collectivité comme Aunis Atlantique, représentation locale de l’État qui représente plus de 30.000 personnes dans un chapelet de vingt petites communes rurales dans le nord de la Charente-Maritime, s’est retrouvée à promouvoir un événement de Stérin ? Le milliardaire catholique, proche des intégristes et qui veut « plus de bébés de souche européenne », comme l’a noté Mediapart, fait depuis un an les gros titres de la presse française pour son soutien financier à l’extrême droite, qu’il entend faire triompher aux élections. Notamment via son diabolique plan Périclès, révélé par La Lettre A et « L’Humanité », qui dispose d’un dossier fourni sur le sujet.

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    Sa présence derrière la Nuit du Bien commun, dont les éditions ont lieu partout en France, n’est plus un secret. En 2024, la ville de Marseille a retiré sa participation après avoir eu connaissance du projet de Stérin. Ce dernier et la Nuit du Bien commun ont refait l’actu quand il a quitté le conseil d’administration du fonds de dotation en juin. Depuis la fin août, les arrêts de bus de La Rochelle avaient été placardés d’affiches appelant à bloquer les Nuits du Bien commun. Elles alertaient contre l’organisation de l’événement à l’abbaye de la Grâce-Dieu, établissement privé de Benon, principalement utilisé pour les mariages bucoliques. Un membre de la Section carrément anti-Stérin (Scas) locale analyse :

    « Les dernières Nuits du Bien commun à Nantes et à Tours se sont faites chahuter en ville, c’était une façon de se protéger contre la contestation. »

    « Du pain béni » pour un secteur associatif en souffrance

    Dans cette zone rurale, où le Rassemblement national a recueilli 34 % des voix au premier tour des législatives de 2024, la situation du secteur associatif se dégrade à mesure des baisses de subventions publiques, notamment celles opérées par le conseil départemental présidé par la proche d’Édouard Philippe, Sylvie Marcilly. « Un secteur associatif aussi fragilisé, c’est un terrain en or pour ce genre de mouvement », analyse la présidente de la Fédération des centres sociaux de Charente-Maritime (Fédé 17), Barbara Provost, contactée par StreetPress.

    C’est là où entre en jeu la communauté de communes : face à la raréfaction des financements et la complexité des dossiers, les collectivités signalent aux associations de leur territoire les potentiels bailleurs. Pour les accompagner dans ces lourdeurs administratives, le label « Guid’Asso » créé en 2021 identifie les structures proposant une aide à la candidature. Parmi elle, l’Espace Mosaïque de Courçon propose ses services aux associations du territoire : orientation vers les structures, aides aux démarches administratives et outillage.

    La Nuit du Bien commun, à ce titre, apparaît comme une source de financement comme une autre, voire une opportunité dans le contexte de disette publique. Le directeur de l’Espace Mosaïque, Grégory Billaud assure :

    « Ce type d’événement nous est présenté comme un lien entre entreprises et associations, c’est du pain béni. »

    « Une conseillère d’insertion professionnelle m’a envoyé le mail en question. L’idée de candidater a été débattue en conseil d’administration puis rejetée : aucune envie de proposer une action à financer dans un tel cirque ! » Malgré la mention dans le mail, le directeur nous assure qu’aucune association n’a sollicité son aide pour candidater.

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    L’alerte parvient quelques jours plus tard du Collectif actions solidaires (CAS), réseau de 40 associations implantées à La Rochelle engagées pour les droits humains, la solidarité et l’environnement. « Quand une association adhérente m’a transmis cette communication, je me suis dit qu’il y avait méconnaissance », confie Laure Delattre, coordinatrice du CAS. « J’ai écrit à des contacts chez Aunis Atlantique pour leur signaler : “Est-ce que vous savez ce qu’il y a derrière ?” Je n’ai jamais eu de retour. »

    « Contraire au devoir de neutralité »

    Sollicitée par StreetPress sur la décision de promouvoir ce gala et les modalités de diffusion de cette communication, la Communauté de communes Aunis Atlantique n’a pas donné suite malgré de nombreuses relances.

    Parmi les élus communautaires, Sylvain Fagot, maire d’Andilly-les-Marais et vice-président en charge des entreprises, assure ne pas avoir entendu parler de ce sujet en assemblée :

    « Je suis un peu surpris d’une telle communication. Je ne vois pas l’intérêt de ce type de gala. C’est très loin de mes opinions politiques et je compte bien l’évoquer en séance. »

    « Quand on ne sait pas d’où ça vient, tout cela peut paraître très légitime : leur site est super bien fait », concède, magnanime, Grégory Billaud. Plus sceptique, une spécialiste de la levée de fonds en Poitou-Charentes s’étonne d’un tel amateurisme : « Personne ne fait la promotion d’un bailleur auprès d’un réseau d’associations sans s’informer au préalable, ne serait-ce que par un coup de fil ! »

    Mise en garde, la Fédé 17 répercute immédiatement l’information auprès du centre social « sur l’obédience extrémiste de ce mouvement et le risque d’instrumentalisation ». Elle a également remonté l’info au Service départemental à la jeunesse, à l’engagement et au sport, récapitule sa présidente, Barbara Provost :

    « Pour que ça marche, ces organisations ont besoin d’actions à financer et elles sont très fortes pour s’immiscer dans ce type de réseau. Mais diffuser un tel contenu, c’est contraire au devoir de neutralité des administrations publiques. »

    Contactée par StreetPress sur les échanges éventuels avec Aunis Atlantique, la société Obole, organisatrice de la Nuit du Bien commun, n’a pas donné suite.

    Illustration de Une par Caroline Varon.

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