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    06/03/2025

    Il en sponsorise une soixantaine

    Comment le milliardaire d’extrême droite Stérin inonde le web d'influenceurs cathos-réac

    Par Nicolas Sonnet

    Le milliardaire d’extrême droite Pierre Edouard Stérin finance, via son Fonds du bien commun, des dizaines d’influenceurs chrétiens très conservateurs qui font fureur sur TikTok ou Instagram.

    Frère Paul-Adrien d’Hardemare a l’habitude de parler de sa vocation. Sur les réseaux sociaux, le prêtre dominicain à la soutane blanche est suivi par plus de 775.000 abonnés cumulés (1). Le clerc est devenu une véritable célébrité grâce à ses vidéos de questions-réponses, dans lesquelles il évoque en vrac l’amour, la sexualité et la foi, et ses tutos théologiques minutieusement édités. Il a aussi cofondé en 2022 le réseau Acutis. Ce network aurait pour mission de « rassembler » les influenceurs catholiques et « leur mettre des ressources en commun, pour leur permettre de faire plus ensemble », selon Anne-Louise Moiroud, l’autre créatrice. Acutis accompagne les tournages et forme les influenceurs sur diverses compétences pour augmenter leur audience : charte graphique efficace, thèmes populaires et titres accrocheurs… Outre le frère Paul-Adrien, se trouvent dans le lot Yentl CG, Zeytooun, Lecathodeservice et Leana Daily – respectivement 102.000, 97.000, 83.000 et 40.000 followers sur Insta – ainsi que les médias Amen et Mon expérience de Dieu – 66K et 37K d’abonnés. Pourtant, quand StreetPress pose ses questions au frère Paul-Adrien, c’est le silence monastique qui règne :

    « Mes supérieurs me demandent de ne pas répondre à des interviews. »

    Tout juste tient-il à faire savoir par messages qu’il s’est « retiré du réseau Acutis parce qu’il nous a semblé bon de prendre des distances avec beaucoup de choses ». En effet, le nouvel écosystème qui mêle la foi et le marketing a suscité l’intérêt des sphères politiques les plus conservatrices. Le milliardaire Pierre-Edouard Stérin en a parfaitement saisi le potentiel. L’entrepreneur longiligne et aux fines lunettes s’est fait connaître comme cofondateur de la société de coffrets-cadeaux Smartbox. Il fait désormais les gros titres de la presse française pour son soutien financier à l’extrême droite, qu’il entend faire triompher aux élections. Notamment via son diabolique plan Péricles, révélé par la Lettre A et l’Humanité, qui dispose d’un dossier fourni sur le sujet. « PES » s’est grandement rapproché du Rassemblement national, espère faire basculer 1.000 mairies dans le giron de la mouvance et souhaite acquérir un institut de sondages.

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    Stérin et les soixante influenceurs

    « C’est un moine soldat, très engagé dans son combat politique et très religieux », commente un cadre identitaire qui l’a croisé. Et la bataille culturelle pour ce catholique très pratiquant se joue aussi du côté des bénitiers. Avec son Fonds du bien commun, structure philanthropique créée en 2021 où le milliardaire libertarien et anti-IVG a transféré une immense partie de sa fortune, Stérin sponsorise Acutis et sa soixantaine d’influenceurs chrétiens. La cofondatrice du réseau, Anne-Louise Moiroud, est d’ailleurs l’ex-bras droit du DG du Fonds du bien commun et toujours chargée des dons et des investissements philanthropiques. Cette dernière n’a pas davantage répondu aux sollicitations de StreetPress que son comparse religieux.

    Au sujet d’une participation du Fonds du bien commun dans le réseau Acutis, Victor Dubois de Montreynaud, alias Lecathodeservice, prend ses distances mais reconnaît une collaboration : « Il y a une aide mais peu importe la personne qui soutient, nous sommes juste un groupe confidentiel de chrétiens qui parlent sur les réseaux. On ne va pas pousser des gens à voter à droite ou à gauche. »

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    Les sensibilités cathos et l’abbé Raffray

    Le vendredi 24 mai 2024, tout ce petit monde était réuni au Collège des Bernardins à Paris pour la deuxième édition de la Nuit des influenceurs chrétiens. Une grand-messe notamment organisée par le Fond du bien commun de Stérin, qui rassemble les acteurs engagés dans l’évangélisation sur les réseaux sociaux et le web. « Aujourd’hui, nous sommes 200 dans cette salle, mais il faudrait qu’on soit 2.000 », harangue le frère Paul-Adrien, maître de cérémonie, qui évoque des « milliers de conversions sur Internet ». Pendant cette soirée, sorte de Césars façon catho, les lauréats se succèdent, dans les catégories « lifestyle », « reportage » ou « témoignages ». L’événement est télédiffusé par KTOTV.

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    Le père Simon de Violet, membre d’Acutis et animateur de la chaîne Catholand sur YouTube, souligne dans une de ses vidéos que « toutes les sensibilités étaient représentées » ce soir-là. Ce serait « une règle du réseau Acutis de suivre fidèlement la tradition de l’Église catholique » et il cite en exemple la présence de l’abbé Raffray à la sauterie chrétienne, un prêtre traditionaliste qui fricote souvent avec la fachosphère. Le jury de la Nuit des influenceurs chrétiens trahit aussi le conservatisme de l’événement. Sur scène : le pasteur Éric Célérier fondateur de Top Chrétien, première plateforme de contenu évangélique en France. À ses côtés, Hubert de Torcy, membre de la communauté de l’Emmanuel – épinglée pour thérapies de conversion pour personnes homosexuelles (2) ou abus de pouvoir et sexuels – et distributeur de cinéma patriotique gravitant au cœur de la sphère Bolloré. Devant les 200 spectateurs, sphères entrepreneuriales, catholiques conservatrices et évangélistes libérales se rencontrent au grand bonheur de Pierre-Edouard Stérin, amateur de ce genre de rendez-vous. Chaque année, il organise aussi les Nuits du Bien Commun, soirées d’enchères caritatives à l’américaine qui réunissent grands patrons, vieille aristocratie française, acteurs du monde associatif catholique ou responsables politiques de droite et d’extrême droite pour financer des structures associatives de la galaxie conservatrice.

    Aller chercher des fidèles

    Face à ce genre de soirée strass et paillettes, les influenceurs cathos comme le père Simon de Violet (3) rassure ses fidèles sur YouTube : « Ce n’est que du décor pour servir largement la mission ! » Laquelle ? Celle d’aller chercher des ouailles et des fidèles, pardi ! Un constat partagé par Victor, de la chaîne Lecathodeservice, membre du réseau Acutis : « Dans la société actuelle, plus de monde a besoin d’entendre ce que dit l’Église », raconte à StreetPress celui qui a fait de la création de contenu chrétien sa profession :

    « Mes vidéos aident les croyants déjà pratiquants ayant besoin d’être affermis et fournissent un interlocuteur à des gens qui n’oseraient pas rentrer dans une église ou parler à un prêtre. Mais on ne peut pas se confesser ou être baptisé en Wifi ! »

    Un objectif déjà bien détaillé en 2023 lors de la cinquième édition de Pitch my church, la soirée de la tech chrétienne et des influenceurs chrétiens financée notamment… par le Fonds du bien commun de Pierre-Edouard Stérin. « Les jeunes passent deux heures par jour sur les réseaux sociaux. On a un devoir d’aller les chercher là où ils sont ! On a un boulevard », s’enthousiasmait Anne-Louise Moiroud, cofondatrice du réseau Acutis et chargée des investissements philantropiques du Fonds de « PES ».

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    Assis à côté d’elle ce soir-là, Emile Duport ne peut qu’acquiescer. Ce quadragénaire catho’, dont StreetPress a fait le portrait à l’époque où il luttait contre l’avortement, est le directeur général de Progressif Media. L’agence est un des partenaires financiers de Pitch my church – comme le Fonds du bien commun – mais est surtout connue pour être très liée à Vincent Bolloré, autre milliardaire qui favorise l’extrême droite française. Le quadra, ancien de la Manif pour tous, assure n’avoir jamais rencontré Pierre-Edouard Stérin, le connaissant seulement de « réputation ». Mais il concède placer ses clients auprès de ces nouveaux influenceurs à qui il « donne des conseils » :

    « Je peux éventuellement leur acheter de l’audience pour des ONG ou des projets. Plus ils font de l’audience, plus ça me permet de m’affranchir des algorithmes et des GAFAM [Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft]. La meilleure agence marketing, c’est ce qu’on appelle l’Esprit Saint. »

    Contactés, Pierre-Edouard Stérin, sa société Otium, Anne-Louise Moiroud, Ambroise Dumont – ancien responsable com’ du Fonds du bien commun – ou Hanako Ravaillon – ex-directrice des opérations du studio start-up du Fonds du bien commun – n’ont pas souhaité répondre aux questions de StreetPress.

    (1) Au 17 février 2025, Frère Paul-Adrien avait 139.000 abonnés Instagram, 186.000 sur Tiktok et 450.000 sur YouTube.

    (2) La communauté de l’Emmanuel est mentionnée en 2019 dans le livre-enquête Dieu est amour et le documentaire « Homothérapies, conversion forcée ». La communauté a répondu n’avoir « jamais eu de parole propre ni de pastorale particulière autre que celles que l’Église peut proposer ».

    _(3) Le père Simon de Violet a contacté StreetPress le 7 mars 2025 et assure que sa chaîne Catholand « est apolitique » et qu’il prend « un soin particulier à garder une vraie neutralité pour parler à tous », arguant que ses positions sont « celles de l’Église ». Il affirme également que « ni M. Stérin ni aucun organisme n’a jamais investi directement ou indirectement dans Catholand » et que sa chaîne « ne reçoit aucun revenu d’aucune sorte ». Pour le réseau Acutis, il estime qu’il « ne s’agit pas de conquérir le monde mais de se rencontrer de temps en temps autour d’un verre pour faire connaissance, étudier ce que dit l’Eglise, échanger des conseils » et que le groupe « est apolitique ».

    Illustration de Une de Caroline Varon.

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