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    09/12/2025

    Ils prennent exemple sur les youtubeurs apolitiques à succès

    Gros studio, locaux communs, flop… Sur YouTube, les fafs se professionnalisent

    Par Pauline Ferrari

    Ces dernières années, les créateurs de contenu identitaires ont gagné en présence, mais aussi en audience. En conséquence, certains s’allient pour structurer leur modèle économique entre featuring et diversification de revenu.

    Ils sont une cinquantaine assis sur des chaises en plastique en train d’applaudir et d’encourager leur combattant préféré. C’est l’événement central d’un après-midi de juin : deux jeunes hommes, gants de boxe et protège-dents, sont prêts à se mettre quelques patates sous l’œil attendri de leur mentor, le youtubeur d’extrême droite Valek. Ce dernier joue parfois les coachs auprès des boxeurs, avant de soulever le vainqueur. « C’est ça l’esprit du Valek Studio », explique-t-il face caméra.

    Un gigantesque barbecue et de la bagarre, c’est ainsi qu’on pourrait résumer sa vidéo « j’organise un fight club avec 80 types dans un château (VK Studio) » Le créateur de contenu faf, qui s’est expatrié en Andorre en 2023, distille à ses 382.000 abonnés un vlog d’un week-end quasi-exclusivement masculin. Le programme est simple : manger de la bonne viande, faire des blagues, montrer sa collection de Lamborghini et se battre pour régler ses différends. Ce qui différencie ce fight club improvisé des autres, c’est peut-être que les protagonistes de cette vidéo appartiennent tous à une même structure : le VK Studio.

    À LIRE AUSSI (en 2023) : Le virage « tradwife » de Thaïs d’Escufon

    Monté par Valek via sa société VK Trading (créée en 2019), le VK Studio et son programme Polaris promettent que « même sans expérience, Polaris t’enseigne une compétence monétisable et t’accompagne pour en faire ton métier » — à savoir, le montage vidéo. La structure, qui affirme abriter plus de 3.400 membres, n’est pas seulement promue par Valek.

    S’y retrouvent également la créatrice de contenu et ancienne porte-parole de Génération identitaire, Thaïs d’Escufon ou encore le youtubeur Bruno Le Salé, qui en font la promotion sur leurs réseaux sociaux. Une communauté Discord, des formations en vidéo et des rencontres en présentiel complètent un programme qui permettrait de devenir un « videopreneur » (mot-valise mélangeant « vidéaste » et « entrepreneur ») pour un peu moins de 600 euros. Contactés, Valek et Thaïs d’Escufon n’ont pas souhaité répondre à StreetPress (1).

    Communauté quasi-exclusivement masculine

    Dans un entretien mené par Thaïs d’Escufon sur sa chaîne YouTube, Valek explique que le VK Studio n’est pas seulement une formation professionnelle de montage vidéo. Elle a pour but de « développer les hommes sur le côté personnel » pour « des mecs alignés sur les mêmes valeurs […] et qui veulent se décentrer de ces délires de relation hommes-femmes ». Il conclut en bon chef d’entreprise :

    « C’est pour devenir un homme complet. »

    C’est d’ailleurs une communauté quasi-exclusivement masculine qui s’affiche sur leurs réseaux sociaux de quelques centaines d’abonnés partageant leurs montages ou leurs vidéos axées développement personnel et entrepreneuriat, toujours sous la bannière du VK Studio.

    La marque semble être aussi un studio physique aux murs bleus, qui selon les angles de prise de vues, s’adapte à différents créateurs de contenu et à leurs objectifs de visibilité. Se partager le local, les monteurs ou encore le matériel n’est pas si étonnant pour le docteur en science politique de l’Université de Montréal et de Sciences Po Paris, Tristan Boursier :

    « Mettre en commun n’est pas nouveau, on l’avait déjà chez ces créateurs en ce qui concerne le partage de sponsors. »

    Il ajoute : « Comme les autres influenceurs hors de l’extrême droite, ils font des vidéos ensemble pour que leurs communautés respectives se rencontrent. » Ainsi, StreetPress a remarqué que Thaïs d’Escufon ou le Raptor Dissident, dans ses longs entretiens diffusés sur YouTube avec l’influenceur radical Papacito, tournent leurs vidéos au même endroit. Cette alliance pratique et idéologique pourrait permettre à ces créateurs une plus grande stabilité économique.

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    StreetPress a remarqué que Thaïs d’Escufon ou le Raptor Dissident, dans ses longs entretiens diffusés sur YouTube avec l’influenceur radical Papacito, tournent leurs vidéos au même endroit. / Crédits : Youtube

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    On peut voir qu'entre la vidéo avec Papacito ou ici de Thaïs d'Escufon, les murs, les cadres, la lampe, les basses et la table sont identiques. / Crédits : Youtube

    Se trahir entre créateurs de contenu d’extrême droite

    En 2022, le militant et youtubeur d’extrême droite Baptiste Marchais a également tenté de monter « une structure » pour faire « grossir » des vidéastes de la mouvance. L’influenceur, passé dans sa jeunesse par un groupe néonazi, a alors pour exemple les sociétés des youtubeurs apolitiques comme celles de Pierre Croce et d’Amixem. Mais l’affaire s’avère être « un fiasco de A à Z », comme il l’a raconté un an plus tard dans un live YouTube avec Le Guiz, un de ses comparses qui se décrit comme un « royaliste de tradition libérale ». À l’époque, Baptiste Marchais aurait proposé à trois créateurs « qui avaient entre 0 et 50.000 followers » des locaux pour tourner, une aide à l’écriture, un cadreur, un monteur ainsi qu’une régie publicitaire pour aider à trouver des sponsors. Ils ont accepté, le tout contre « 10 % des revenus » de la monétisation de leurs vidéos et de leur sponsoring.

    À LIRE AUSSI : Le parquet de Paris ouvre une enquête sur Baptiste Marchais après une publication de StreetPress

    « J’ai investi 40.000 euros dans le projet […]. Pendant des années, ça n’allait rien me rapporter », a détaillé Baptiste Marchais, assurant que « plein de grosses officines politiques » étaient « super contentes » du contenu potentiellement produit par la structure. Sauf qu’un seul des trois vidéastes aurait « tenu sa parole sur les contrats ». Depuis, l’entreprise aurait été placée en liquidation et Baptiste Marchais en rembourserait encore le crédit en 2023. Rien d’étonnant, selon un youtubeur de gauche qui connaît bien ces milieux :

    « Leurs amitiés ne tiennent pas longtemps. Ils se trahissent entre eux, ils s’envoient des piques, jouent les victimes, s’en prennent les uns aux autres par vidéos interposées. »

    Contourner les règles

    Outre ce genre d’échecs, les créateurs de contenu d’extrême droite sont comme tout youtubeur soumis aux algorithmes. Si ces vidéastes fafs ont vu leur visibilité exploser dans les années 2020 « en multipliant parfois par trois leurs abonnés », selon Tristan Boursier. Il a depuis pu observer une « stagnation » de leur audience. Avec, en parallèle, une « prolifération de profils avec une micro-audience qui tentent de reproduire ce type de contenu, par exemple sur TikTok, où une vidéo peut facilement dépasser le million de vues ». Un tel plafond implique une meilleure stabilité pour ces chaînes et une maîtrise de leur contenu. Mais également que ces créateurs de contenu d’extrême droite marchent sur un fil, explique l’enseignant-chercheur :

    « Parmi les chaînes les plus connues, les contenus violents permettent l’engagement mais risquent d’entraîner de la démonétisation. »

    « Le public est de plus en plus friand de ce contenu et se cache de moins en moins. Avant, on avait deux-trois gros créateurs, maintenant on en retrouve plusieurs avec pas plus de 100.000 abonnés, qui se promeuvent ensemble », estime le youtubeur de gauche qui a souhaité rester anonyme. Tristan Boursier observe d’ailleurs une diversification de leurs sources de revenu et « une plus grande standardisation de leur contenu ». « Leur vie ne s’arrête pas aux médias sociaux », abonde-t-il.

    À LIRE AUSSI (en 2022) : Ces marques qui sponsorisent la fachosphère

    Certains, comme l’influenceur et ancien directeur national du Front national de la jeunesse, Julien Rochedy, s’invitent dans le média d’extrême droite « Frontières » pour travailler leur identité de marque, mais aussi pour professionnaliser leur discours. Tandis que d’autres créent des structures plus pérennes pour contourner les règles et les tracas des plateformes traditionnelles.

    Le royaliste Teddyboy RSA ou bien Papacito, dont la chaîne YouTube a été fermée en 2023, officient désormais sur la plateforme participative Patreon. Ce réseau est également plébiscité par Le Guiz. Sitôt après avoir été impliquée dans l’enquête du parquet de Paris avec Baptiste Marchais pour leurs propos contre les juges — ils ont notamment appelé à « des représailles » —, cet exilé en Amérique Latine a demandé à ses followers de s’abonner à son compte Patreon face au « risque » de fermeture de sa chaîne YouTube. « Ça me mettrait pas mal dans la merde », a-t-il écrit en story sur son compte Instagram.

    Quant à Papacito, il peut crier son racisme dans son podcast « Burger Ring », classé aux alentours de la 40e place des podcasts les plus écoutés sur Spotify en France, aux côtés de « 10.000 pas », le podcast du Raptor Dissident dans les 30 premiers. Une façon de continuer à gagner en audience et en soutien en passant sous les radars.

    (1) StreetPress a également contacté les membres du VK Studio, Maximillien Hornoy dit « fr.0ze », Axel Jullien, Corentin Boesch et Rowdeo. Aucun n’a répondu.

    Illustration de Une par Timothée Moreau.

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