Dans une grande partie de la littérature féministe, les postures à l’égard du travail reflètent des préjugés de classe bourgeois.
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Les femmes de la classe moyenne qui ont dessiné les contours de la pensée féministe sont parties du principe que le problème le plus urgent pour les femmes était le besoin de sortir de la maison et d’aller travailler — de ne plus être « juste » des femmes au foyer. (…) Les militantes féministes ont décrété que le travail en dehors du foyer était la clé de l’émancipation.
Ces publications signent un regain d’intérêt inédit en France et en Europe pour l’afroféminisme ou le féminisme dit « intersectionnel. » Inédit car, s’il y avait bien des militantes et des collectifs noirs en France dans les années 70, il ne s’est pas produit la même chose qu’aux États-Unis à cette époque : les militantes afroféministes y étaient bien plus nombreuses et plus entendues.
« C’est en train de se produire aujourd’hui, avec un énorme décalage, explique Isabelle Cambourakis, responsable de la collection Sorcières. En France, on a ce barrage de l’universalisme qui a du mal à prendre en compte ce type de textes très situés, qui partent des intéressés. Avec les réseaux sociaux, une nouvelle génération de féministes, éloignées des noyaux traditionnels du militantisme, est en train de naître, connectée à ce qui se passe ailleurs dans le monde (Belgique, Canada, etc). »
Les femmes pauvres savaient que le travail était surtout avilissant
Elles soutenaient que le travail permettrait aux femmes de briser les chaînes de leur dépendance économique aux hommes, ce qui leur permettrait en retour de résister à la domination sexiste. Quand ces femmes parlaient de travail, elles imaginaient des carrières bien payées, elles ne pensaient pas aux emplois mal payés ou à ce qu’on appelle les « sales boulots ».
« Les femmes pauvres et de la classe ouvrière savaient de par leur expérience de travailleuses que le travail n’était ni émancipateur ni épanouissant. »
bell hooks, militante afroféministe
Elles étaient tellement aveuglées par leur propre expérience qu’elles ont ignoré le fait que l’immense majorité des femmes (…) travaillaient déjà à l’extérieur du foyer et occupaient des emplois qui ne les affranchissaient pas de leur dépendance aux hommes, ni ne leur permettaient d’être économiquement indépendantes.
(…) Les femmes pauvres et de la classe ouvrière savaient de par leur expérience de travailleuses que le travail n’était ni émancipateur ni épanouissant — qu’il s’agissait surtout d’une forme d’exploitation et de déshumanisation.
Le travail des femmes blanches menaçaient les pauvres
Elles se méfiaient des bourgeoises qui affirmaient que les femmes pouvaient s’émanciper par le travail, mais elles se sentaient aussi menacées, car elles savaient bien que de nouveaux emplois n’allaient pas être créés spécialement pour ces masses de femmes blanches qui cherchaient à rejoindre la force de travail. Elles craignaient que leurs emplois et ceux des hommes de leurs classes soient menacés.
Benjamin Barber [politologue américain] était d’accord avec elles : Quand un grand nombre de femmes relativement éduquées entrent sur le marché rigide du travail au sein duquel un grand nombre de travailleuses et de travailleurs plutôt non qualifié·e·s sont déjà au chômage, leur embauche aura probablement pour effet de mettre au chômage de nombreuses personnes au bas de l’échelle.
Pour les hommes non-blancs entre seize et trente ans qui constituent déjà une large proportion des chômeurs, cela sera plus difficile que jamais de décrocher un travail.
À ce stade, il devient primordial d’établir des priorités basées sur des mesures objectives de souffrance, d’oppression et d’injustice réelles. Là, le véritable coût de l’insistance féministe portée sur le terme « oppression » devient visible.
Le sexisme existe en parallèle, et non à la place, du racisme et de l’exploitation économique. Les militantes féministes ne peuvent pas attendre des pauvres qu’ils et elles regardent avec reconnaissance et approbation quelque chose qui s’apparente à une campagne de la classe moyenne pour leur arracher encore plus d’emplois des mains.
La discrimination positive a surtout profité aux blanches
Les femmes et les hommes noir·e·s étaient parmi les premiers à exprimer leurs peurs de l’afflux de femmes blanches mariées sur le marché du travail. Elles et ils craignaient que cela n’entraîne une baisse de l’embauche des personnes noires qualifiées, compte tenu de l’ampleur avec laquelle la suprématie blanche avait réussi à écarter et à exclure les personnes non-blanches de certains emplois.
« Le sexisme existe en parallèle, et non à la place, du racisme et de l’exploitation économique. »
bell hooks, militante afroféministe
En regroupant des personnes non-blanches avec des femmes blanches de toutes classes sociales dans des programmes d’affirmative action [discrimination positive], c’est tout un système permettant aux employeurs de continuer à discriminer les personnes noires et de maintenir la suprématie blanche en embauchant des femmes blanches qui a bien été institutionnalisé. Les employeurs pouvaient ainsi satisfaire les directives d’affirmative action sans jamais embaucher la moindre personne non-blanche.
Quand je préparais mon doctorat d’anglais, mes professeurs et mes camarades blanc·he·s me disaient en permanence que j’allais être la première à obtenir un poste, que le fait que je sois noire allait me faciliter la tâche. J’étais toujours très dubitative devant de tels propos car, au cours de mes années d’études, la majorité des postes réservés aux personnes bénéficiant des programmes d’affirmative action avaient été donnés à des femmes blanches.
Quand une personne noire (ou une autre personne non-blanche) était embauchée, on partait généralement du principe qu’aucune autre personne de couleur ne pouvait être envisagée pour le même poste — ce qui n’était pas le cas pour les femmes blanches.
Les féministes auraient dû se battre contre le racisme
Malheureusement, lorsque l’activisme féministe a affirmé que les femmes blanches formaient une minorité, cela a contribué à créer une situation dans laquelle des emplois d’abord destinés à des personnes non-blanches qualifiées pouvaient être donnés à des femmes blanches.
De ce fait, de nombreuses personnes de couleur ont eu l’impression que le mouvement féministe constituait une menace pour leurs luttes de libération.
Si les militantes féministes blanches avaient insisté pour que ces deux catégories soient intégrées dans des programmes d’affirmative action distincts — un qui soit destiné aux femmes, séparé de celui destiné aux groupes ethniques opprimés en recherche d’égalité dans l’accès à l’emploi — personne n’aurait eu l’impression que les féministes blanches s’empressaient de faire avancer leur cause aux dépens des femmes et des hommes non-blanc·he·s.
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