« C’est d’une violence inouïe, de la maltraitance, du mépris, encore pire que toutes les humiliations que nous vivons au quotidien », s’insurge une des prévenus en sortant de la salle d’audience. Elle dénonce les conditions de jugement du tribunal correctionnel de Toulouse, ce mardi 23 mars. Ils sont seize militants en situation de handicaps plus ou moins lourds et visibles, à être poursuivis pour « entrave à la mise en circulation d’un train TGV » en gare de Toulouse, après une action le 28 octobre 2018. Ainsi que pour « entrave au trafic aérien », après s’être introduits sur les pistes de l’aéroport Toulouse-Blagnac, le 14 décembre 2018. Résultat : « 17 avions retardés, huit avions déroutés, et 1.857 passagers ». Des actions pour « demander la mise en accessibilité réelle, écrite dans la loi, des lieux recevant du public », dont les transports, et « dénoncer la loi Elan de 2018, régressive pour les droits des personnes handicapées dans l’accès au logement neuf ». Un prévenu se défend :
« Nous avons impacté 1857 personnes pendant une heure, certes. Mais personne ne se dit que chaque jour, en France, c’est un million de personnes handicapées qui sont entravées dans leur mobilité, leur liberté ? »
Une question qui s’est retrouvée au cœur de ce procès. Confrontés à l’inaccessibilité du tribunal, bloqués au bas des marches de l’entrée, les prévenus ont mis près d’une heure à gagner la salle d’audience. Une introduction à un procès hors norme, où chaque suspension a été une épreuve pour ces seize handi-militants.. À 20h, l’une des prévenus lâche :
« J’ai de la pisse plein les chaussures. »
Beaucoup avaient mis des couches urinaires pour assister à leur procès, anticipant qu’ils ne seraient pas aidés. Pourtant, dans le dossier figurent leurs handicaps, chacun de leurs besoins propres et la nécessité d’aller souvent aux toilettes revenaient systématiquement. Ce point, comme beaucoup d’autres, n’ont pas été respectés par le tribunal. Les avocats des prévenus dénoncent des actes de « maltraitances », les qualifiant « d’indécence, d’indignité, d’inhumanité ».
Covid et comorbidités
En raison de la pandémie, la salle d’audience a été limitée à 28 personnes. Mais les comptes ne sont pas bons à l’ouverture du procès. Il y a seize prévenus et des aidants pour en épauler certains ; la défense compte quatre avocats et les parties civiles (Airbus, Air France, Société Aéroport Toulouse-Blagnac et SNCF) en ont autant ; la Cour, le Procureur et la greffière. C’est donc dans un huis clos, craint par les prévenus qui entendaient faire de ce procès une tribune, que l’audience s’est étirée jusqu’à 22h.
Les avocats de la défense, maîtres Alimi, Leguevaques et Nabet-Martin, ont essayé de faire reconnaître la nullité de la procédure, et l’illégalité de cette « jauge Covid » dépassée. D’autant que « la fragilité de nos clients face au virus, du fait de leurs comorbidités, est évidente », a avancé maître Arié Alimi. Après suspension d’audience, la Cour a rejeté la demande et a préféré « vider » la salle. La présidente a tranché :
« Seuls les 16 prévenus, leurs accompagnements strictement essentiels et les avocats peuvent rester. »
Les journalistes sont également priés de sortir de la salle. Sans droit d’accès, StreetPress a suivi le reste du procès à la porte.
La journaliste
— Mathieu Molard (@MatMolard) March 23, 2021LolaCros</a> qui couvre ce procès pour <a href="https://twitter.com/streetpress?ref_src=twsrc%5Etfw">
streetpress à été mise à la porte du tribunal.
Le droit français impose la publicité des audiences, c'est un véritable problème que d'exclure les journalistes. Donc en France on juge des militants à hui clos ? https://t.co/OEmhmcHk8S
Plus tard dans la soirée, la présidente refuse de suspendre l’audience au lendemain. « Plusieurs des prévenus doivent être rentrés chez eux avant 18h30 pour recevoir leurs soins, être couchés, se doucher et manger », avaient pourtant prévenu les avocats.
L’illégalité du tribunal
« Le tribunal n’est pas aux normes, vous pourriez être sanctionnés administrativement », avance maître Arié Alimi. « Avant de juger des personnes, encore faut-il que la justice elle-même respecte la loi. » L’illégalité du tribunal, les avocats de la défense l’ont pointée à plusieurs reprises dans la première partie de l’audience. Et notamment au sujet de l’Agenda d’accessibilité programmée, document obligatoire depuis 2015 dans tous les établissements recevant du public, qui réglemente l’accessibilité de ces espaces. Aucune décision ne figure dans celui du tribunal, fourni par la préfecture de Haute-Garonne à la défense.
Les prévenus dénonçaient également différents points de procédure : aucun interprète n’a été prévu pour accompagner une prévenue incapable de s’exprimer ; les convocations n’ont pas été formulées en braille pour une deuxième malvoyante ; les prévenus ont été transportés de l’aéroport au commissariat dans une voiture non-adaptée et dans laquelle les fauteuils électriques n’étaient pas fixés. Autant d’actes de « maltraitance » selon leurs avocats, qui parlent « d’indécence, d’indignité, d’inhumanité ».
Une tribune pour ces militants
« Nous avions espoir en 1995, avec la première loi accessibilité. Puis en 2005, puis en 2015. Et en fait, rien n’a évolué. Et la loi Elan, qui annonce une régression claire dans l’accès au logement neuf pour les personnes handicapées, a été le coup de trop que nous avons voulu dénoncer », défend le collectif, en aparté aux journalistes. Et de poursuivre :
« Ce n’est pas du confort que nous demandons, c’est le minimum pour être inclus dans la société. Parce que nous ne sommes pas que des personnes “à charge”, nous sommes des sujets de droit qui n’espérons qu’être autonomes, libres de nos mouvements. »
Convaincus d’un procès « politique », « qui vise avant tout Odile Maurin, parce qu’elle est un caillou dans la chaussure des policiers et des élus toulousains », les prévenus entendaient « ne pas se laisser museler » pour « être égaux en droits et en dignité ». Odile Maurin, tête-de-pont du collectif, est également élue d’opposition à Toulouse et figure des Gilets jaunes toulousains (récemment condamnée pour violences à l’encontre de policiers pendant une manifestation, décision dont elle a fait appel).
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À plusieurs reprises, la défense a appuyé sur le fait que l’accès même des citoyens à la Justice était compromis par l’inaccessibilité des tribunaux. « Je ne sais pas à quel point d’inhumanité nous sommes arrivés aujourd’hui », a plaidé Me Alimi. Et le procès est devenu celui de la justice :
« Face à des citoyens qui demandent à vivre maintenant, le tribunal leur a répondu : vous n’êtes que des invisibles. Obliger des personnes à s’uriner dessus dans un tribunal de la République ! Ce sont des êtres humains que vous jugez aujourd’hui. »
Déjà condamnés à payer une amende administrative de 750€ par personne – soit l’équivalent d’un mois d’allocation adulte handicapé – les prévenus sont restés sur leur faim : le jugement a été mis en délibéré au 4 mai prochain. Épuisés par ce procès qu’ils attendaient depuis de longs mois, ils envisagent de ne « pas s’arrêter là ». « On ira vers la Cour européenne s’il le faut », promet Odile Maurin.
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