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    01/03/2022

    À chacun ses néonazis

    L’extrême droite française se fracture sur le front ukrainien

    Par Maxime Macé , Pierre Plottu

    Les poutiniens Le Pen et Zemmour tentent de se rhabiller en non-alignés. Du côté de l’extrême droite extra-parlementaire, les positions sont plus contrastées, pour ne pas dire franchement opposées.

    Étonnement lundi matin dans le bureau de la RTL : Eric Zemmour reconnaît s’être trompé. « Poutine est l’agresseur, il est le seul coupable », a avoué le candidat d’extrême droite, au cinquième jour de l’offensive généralisée des forces russes contre l’Ukraine. Un début de mea-culpa de celui qui avait annoncé, bravache, le 9 décembre dernier que « la Russie n’a aucun intérêt à envahir l’Ukraine. La Russie, je prends le pari, n’envahira pas l’Ukraine ».

    Zemmour aime (toujours) Poutine

    Si Zemmour a reconnu « une erreur » devant le micro rouge, c’est toujours à reculons, sans se départir de l’argument doudou de l’extrême droite et d’une large partie de l’extrême gauche depuis le début de la crise : « Poutine n’est pas le seul responsable » car l’OTAN « qui n’a cessé de s’étendre » a aussi une grande part de responsabilité. Eric Zemmour est d’ailleurs le seul candidat qui reprend à son compte et mot pour mot la proposition russe du 15 décembre, d’un « traité consacrant la fin de l’élargissement » de l’alliance militaire atlantique. Un souverainiste qui accepte de se voir imposer une décision par une puissance étrangère, donc.

    Le candidat de Reconquête! est un fervent supporter de Poutine. En septembre dernier, il expliquait sur CNews :

    « Je suis pour l’alliance russe. Je pense que c’est l’allié qui serait le plus fiable. »

    Il voit en l’homme du Kremlin tout ce qu’il admire et rêve d’être : un dirigeant fort et autoritaire, aussi bien à l’égard de son peuple, des médias, que des autres pays et réprimant les minorités comme l’opposition.

    Ferme sur sa posture anti-immigration, Zemmour s’est dit opposé à l’accueil de réfugiés ukrainiens par la France. « Il n’est pas bon d’arracher les gens comme ça loin de leur pays, de déstabiliser la France qui est déjà submergée par l’immigration », a-t-il lâché sur RTL. Mais il a quand même le cœur « déchiré » de « voir ces pauvres Ukrainiens se faire massacrer par l’armée russe ». C’est déjà un progrès : Zemmour n’avait jamais eu ce genre d’état d’âme lorsque l’aviation de Poutine bombardait systématiquement écoles et hôpitaux en Syrie.

    Le Pen essaye de prendre ses distances

    Le Rassemblement National est lui aussi gêné aux entournures. Le parti assume depuis des années une ligne pro-Poutine. En 2014, Marine Le Pen s’était même tournée vers une banque russe pour financer ses campagnes électorales. Fin janvier, Marine Le Pen estimait encore que son « point de vue sur l’Ukraine coïncid(ait) avec celui de la Russie ». Elle avait alors refusé de signer une déclaration commune avec ses partenaires d’extrême droite européens, la jugeant trop sévère avec Poutine. Le RN est, comme Reconquête !, longtemps resté persuadé qu’une guerre contre l’Ukraine déclenchée par la Russie révélait du fantasme. La veille de l’invasion, l’eurodéputé RN Thierry Mariani, notoirement proche de la Russie, tweetait encore :

    « Dire que Poutine poussera ses troupes jusqu’à Kiev est grotesque. Il sait très bien que contrairement au Donbass, la population lui est majoritairement hostile. Rappel : en 2008, l’armée de la Géorgie était en débandade, mais Poutine n’est jamais allé jusqu’à Tbilissi. »

    Mais depuis que la Russie a violé les frontières d’un état souverain, mené une guerre de haute intensité en Europe et frappé des cibles civiles, il faut bien rétropédaler. Jeudi, la députée et candidate s’est fendue d’un communiqué expliquant « qu’aucune raison ne peut justifier le lancement d’une opération militaire contre l’Ukraine par la Russie qui rompt l’équilibre de la paix en Europe. Elle doit sans ambiguïté être condamnée » et appelant à « un cessez-le-feu ».

    Bien sûr, Marine Le Pen a depuis été interpellée sur son long soutien à Vladimir Poutine. Ça n’a pas trop plu à la présidente du RN. « J’ai été l’une des seules responsables politiques à essayer de conserver une équidistance entre les Etats-Unis et la Russie (…) Le simple fait de conserver cette équidistance entraîne cette accusation », a rétorqué la candidate au micro de BFM, fustigeant ces responsables politiques « extrêmement dépendants de la vision américaine ».

    Si l’extrême droite parlementaire met de l’eau dans sa vodka, l’extrême droite hors les murs, elle, assume des positions radicales… et divergentes. Sur les réseaux sociaux, les pro-Kyiv et les pro-Moscou s’affrontent.

    Nazis contre nazis

    Les Zouaves Paris sont des soutiens de longue date des néonazis du régiment ukrainien Azov. En décembre 2019, Marc de Cacqueray-Valmenier, le leader du groupuscule dissous depuis, avait même fait le déplacement en Ukraine pour leur faire un petit coucou. Depuis le début de l’offensive russe, le canal Telegram Ouest casual (proche des Zouaves) multiplie les hommages aux combattants ukrainiens. Reprenant la dialectique nazie, ils dénoncent « les contingents asiatiques de l’impérialisme soviétique qui déferlent à nouveau sur l’Europe ». Sans oublier d’y ajouter une islamophobie toute moderne en ciblant les « chiens islamistes de Poutine » : les soudards tchétchènes envoyés sur place. Même soutien à la cause ukrainienne de la part de Bordeaux nationaliste, très lié aux Zouaves, qui a même organisé samedi une collecte de matériel à destination des soldats qui se battent contre les Russes. Globalement, les nationalistes-révolutionnaires français, grosso modo la mouvance héritière du Gud, sont sur cette ligne.

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    Depuis le début de l’offensive, le canal Telegram Ouest casual (proche des Zouaves) reprend la dialectique nazie et dénonce « les contingents asiatiques de l’impérialisme soviétique ». Sans oublier d’y ajouter une islamophobie moderne en ciblant les soudards tchétchènes, « djihadistes de Poutine ». / Crédits : DR

    Chez les pro-Moscou, on retrouve les Nationalistes dont le chef, Yvan Benedetti, apporte un soutien sans failles au Kremlin avec son langage fleuri habituel :

    « La diarrhée verbale et les convulsions diplomatiques du vibrion de l’Élysée n’étaient que du vent. La volonté des yankees de faire dégénérer la situation était évidente. Jamais les précédents accords de Minsk n’ont été respectés par les gouvernements issus du coup de force de Maïdan. Poutine a sifflé la fin de la récréation. »

    Et de dénoncer la responsabilité de l’Otan dans le conflit. Soit le même narratif qu’Eric Zemmour et Marine Le Pen qui ont toutefois pris soin de dénoncer l’agression russe, eux.

    À LIRE AUSSI : Ukraine, les docs qui montrent l’implication de l’extrême droite française dans la guerre

    Même discours pour la scission antisémite de l’Action française, par ailleurs proche de Benedetti. Monsieur K. (intervenant régulier chez Alain Soral et dont StreetPress a croqué le portrait) nous explique que le conflit est évidemment un coup monté des Juifs. L’Otan, n’est rien d’autre que le « bras armé du judaïsme politique antéchristique, du Great Reset et du transhumanisme ». Sans pour autant soutenir la Russie à cause de « l’antifascisme de pacotille dont Poutine est un des fers de lance : lois “mémorielles” sanctionnant la recherche et la vérité historiques, lois scélérates, persécutions contre les nationalistes russes et les dissidents, prise de participation dans le faux culte shoatique ».

    Du côté de Synthèse nationale, « quotidien d’information nationaliste et identitaire » tenu par Roland Hélie et soutien de Zemmour, on est un peu emprunté. D’une part, on souligne le « côté romantique » de la défense désespérée (et efficace) des Ukrainiens qui pourrait séduire les « nationalistes français ». Mais de l’autre, on ne peut pas s’empêcher de lécher les bottes de Poutine : « Force est d’admettre que la Russie est le plus important obstacle aux manœuvres des mondialistes ».

    Pour l’extrême droite, il ne faudrait pas, à la faveur de cette guerre, oublier qui reste l’ennemi.

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