Ce 23 juillet 2022, plus de 500 personnes se sont données rendez-vous à Persac, dans la Vienne. La foule est dense, les soutanes côtoient les uniformes scouts. L’abbé du coin agite son encensoir et récite quelques prières amplifiées par un mégaphone. Dans la foule, des drapeaux flottent avec ce message : « SOS Calvaires », du nom de l’association qui organise la procession. Des jeunes hommes portent une croix de bois haute comme un immeuble de cinq étages jusqu’au socle de pierre où elle est installée.
Depuis plus d’un an, cette organisation ne cesse de croître. Elle multiplie les installations de calvaires – ces croix catholiques qui bordent les routes et coiffent les montagnes – sur tout le territoire. Bien qu’elle se dise apolitique sur la page d’accueil de son site et prétende œuvrer pour la simple sauvegarde du patrimoine, l’association qui nourrit un projet de « rechristianisation » de la France, entretient des liens étroits avec l’extrême droite.
Objectif : des croix partout demain
Jusqu’en 2018, le rayonnement de l’association SOS Calvaires se limite au département du Maine-et-Loire, où elle est domiciliée. Depuis sa fondation en 1987, elle mobilise quelques volontaires soucieux d’entretenir des croix, chapelles et autres sites historiques spirituels dans la région. En 2020, Paul Ramé cède la présidence à Julien Le Page, son beau-frère. Ce dernier nourrit d’autres ambitions pour l’organisation : « L’objectif est de produire des croix en masse et de les diffuser dans toute la France », expliquait-il l’année dernière dans un entretien donné à Gregory Roose, ex-militant RN, youtubeur et chroniqueur dans le magazine Valeurs Actuelles.
Des membres de SOS Calvaires organisent une procession. Ils portent une croix de bois haute comme un immeuble de cinq étages. / Crédits : DR
En 2020, le site internet est remis à neuf. L’année suivante, l’association lance une application web pour inciter les utilisateurs à géolocaliser les croix. Plus de 8.600 édifices ont depuis été recensés. En deux ans, Julien Le Page transforme cette association anonyme en un réseau actif sur tout le territoire qui compterait, selon eux, plus de 300 bénévoles sur l’Hexagone. Leur mission ? Restaurer et installer de nouvelles croix pour témoigner de l’histoire chrétienne de la France.
Pose d'un croix par SOS Calvaires filmée par Catholiques de France. / Crédits : DR
Entre volonté de préservation du patrimoine, prédication et bataille culturelle, difficile de savoir quelles sont les motivations des membres de SOS Calvaires. Dans l’entretien cité précédemment, Julien Le Page expliquait le sens de son action :
« Il faut montrer qu’on n’a pas abandonné le combat et qu’on ne construit pas que des mosquées en France […] Moi, je dis toujours : un calvaire, c’est un étendard. C’est un drapeau qu’on plante, qui dit : “Ici, c’est une terre chrétienne” […]. Ce qui est bien, c’est que vous vous baladez avec vos enfants, et vous voyez des Christs. Il n’y a pas de minarets. »
Depuis l’automne 2021, la croissance de SOS Calvaires est exponentielle. Appliquant le précepte biblique à la lettre « multipliez, répandez-vous sur la terre et multipliez sur elle », SOS Calvaires a ouvert 45 antennes sur le territoire, contre trois en février 2021. À l’été 2022, trois personnes ont été recrutées : une responsable de communication, un charpentier chargé de la production de croix, et un directeur général. Les poseurs de croix sont en voie de professionnalisation.
Entre volonté de préservation du patrimoine, prédication et bataille culturelle, difficile de savoir quelles sont les motivations des membres de S.O.S Calvaires. / Crédits : DR
Un maire floué
18 mars 2021, les quinze élus de Cercottes, une petite commune du Loiret, se réunissent pour le Conseil municipal hebdomadaire. Cette fois-ci, un habitant du village prend la parole en début de séance pour faire une proposition. Il souhaite remplacer le calvaire situé rue du Chêne Brûlé par une croix flambant neuve. Sa seule exigence : pouvoir organiser une procession le jour de l’installation. À l’époque, le maire Martial Savouré-Lejeune n’y voyait « pas d’objection ». D’autant plus que les frais sont pris en charge par une association. Une certaine SOS Calvaires. Point suivant à l’ordre du jour.
Quand elles sont contactées par des bénévoles du coin, les petites communes y voient souvent une occasion de rénover leur patrimoine à peu de frais. Cercottes n’a pas déboursé un euro. SOS Calvaires n’a facturé que 500 euros à la commune de Gennes-Val-de-Loire (Maine-et-Loire) pour la rénovation de sa croix. La mairie de Beguey (Gironde), a approuvé l’octroi d’une subvention de 500 euros à l’association pour compenser la location d’une nacelle nécessaire à la rénovation de deux calvaires dans le village. Elles sont des dizaines à travailler avec l’association pour l’entretien de leurs croix.
Depuis l’automne 2021, la croissance de SOS Calvaires est exponentielle. L'association a ouvert 45 antennes sur le territoire. / Crédits : DR
Au milieu du mois de juin 2021, une étonnante procession parcourt le village de Cercottes. Chants liturgiques, drapeaux royalistes, curés en soutane, la manifestation agrège les catholiques traditionalistes du coin. Le collectif antifasciste orléanais révélera plus tard la présence à cet événement de membres du Chœur de l’Oriflamme, régulièrement présente aux événements de l’extrême droite orléanaise, du prêtre Matthieu Raffray, qui appelle ouvertement à de nouvelles croisades, et de personnalités issues de groupuscules d’extrême droite locaux. Le maire Martial Savouré-Lejeune raconte :
« Quand je les ai vus arriver, j’avais un peu l’impression de m’être fait piéger. C’étaient des traditionalistes type vieille France. J’ai juste dit un petit mot et je suis parti, car je n’étais pas à l’aise. »
Alexandre Caillé, directeur général de l’association, explique cet événement par le développement rapide de l’association : « On ne peut pas contrôler tous les bénévoles de chaque antenne, mais on fait tout pour que ce genre de choses ne se reproduise plus ». Récemment, l’association aurait fait le ménage dans sa section de Clermont-Ferrand où des militants d’Action Française et des catholiques intégristes locaux donnaient de la voix.
En 2020, le site internet de SOS Calvaires est remis à neuf. En deux ans, Julien Le Page transforme cette association anonyme en un réseau actif sur tout le territoire. / Crédits : DR
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Avec le soutien de la fachosphère
Pourtant sur les réseaux sociaux, l’organisation s’affiche aux côtés d’influenceurs ouvertement d’extrême droite. Le YouTubeur Baptiste Marchais a ainsi réalisé deux vidéos pour promouvoir l’action de SOS Calvaires, comptabilisant respectivement 302.000 et 194.000 vues.
Dans l’une de ces vidéos réalisées avec l’association, on l’aperçoit monter une montagne iséroise et sermonner des jeunes chrétiens entre deux tranches de saucisson : « C’est la rechristianisation là », s’amuse Baptiste Marchais. « Clairement, là, on y est », répond Julien Le Page, le président de SOS Calvaires. « Là, on est dans l’évangélisation de masse ! »
Du côté de SOS Calvaires, on assure : « C’est Baptiste Marchais qui nous a contactés. Il en a tiré de la visibilité, nous aussi. Mais on dissocie vraiment ses engagements politiques des deux vidéos qu’il a faites. »
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L’association a elle-même lancé sa chaîne YouTube aux contenus léchés avec sa propre vidéo de la rencontre avec Baptiste Marchais en mars 2021. Deux mois plus tard, en mai, c’est le YouTubeur Valek Noraj – 389 000 abonnés et une flopée de vidéos antisémites, misogynes, nationalistes à son actif – qui vient apporter son aide pour l’installation d’une croix.
Des proches d’Éric Zemmour, comme le sénateur des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier, sont venus appuyer l’action de l’association. SOS Calvaires assure ne pas avoir invité ces personnalités :
« Quand on fait une restauration, on communique dessus, et ceux qui sont intéressés sont libres de venir. Ce n’est pas une stratégie de notre part. On a accueilli Stéphane Ravier comme on accueillerait Jean-Luc Mélenchon s’il venait. »
Mélange des genres troublant
Pour financer sa croissance, l’organisation compte majoritairement sur les dons. En plus des cagnottes régulièrement diffusées en ligne (25.000 euros pour l’acquisition d’un atelier, 10.000 euros pour lancer un service de restauration de crucifix), la structure a récemment récolté 30.000 euros au cours d’une soirée caritative organisée par Valeurs Actuelles, aux côtés d’associations conservatrices. Parmi elles, SOS Chrétiens, une structure qui rassemble des figures de la mouvance identitaire française, qui serait actuellement visée par une enquête pour complicité de crimes de guerre en Syrie. En juillet 2022, les deux organisations ont collaboré pour installer une croix arménienne dans un village proche de la frontière avec l’Azerbaïdjan.
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Il est difficile de savoir dans quelles poches atterrissent les dons des soutiens charitables. L’association ne publie ni ses bilans comptables, ni ses comptes-rendus d’assemblée générale. En 2021, le Réseau angevin antifasciste révélait que les poseurs de croix travaillaient avec des « entreprises partenaires qui ne sont autres que celles de ses membres les plus investis ». Une observation des statuts des entreprises impliquées dans les activités de SOS Calvaires révèle que Paul Ramé, vice-président de l’association, beau-frère et associé de Julien Le Page dans deux entreprises immobilières (Saint Emerance et LMFP), possède la majeure partie d’entre elles.
L’organisation vend par exemple depuis décembre 2021, un vin rouge estampillé « SOS Calvaires » produit dans le domaine Les Roques de Cana. La vente se fait uniquement au carton, au prix unitaire de 72 balles les six bouteilles. « L’exploitation est dans la famille de Paul Ramé. On la paye pour le vin, puis on le revend. Tout est en règle », explique-t-on du côté de SOS Calvaires. Pour des chantiers, l’association a eu recours aux services de l’entreprise 3D49, dont l’un des dirigeants, Clément Dieutre, est aussi trésorier de l’association.
Sur son site internet, SOS Calvaires vend des croix, mais aussi du vin rouge. / Crédits : DR
Ce 26 novembre 2022, SOS Calvaires organisera ses premières journées portes ouvertes, dans son atelier au Lion d’Angers. Un moyen de communiquer sur son action et de collecter à nouveau des dons. Prochain objectif : posséder une antenne dans chaque département, pour tapisser l’Hexagone de croix chrétienne.
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