« Les gars, c’était la guerre civile hier soir », s’enflamme Elie I. dans son vocal qu’il envoie à ses amis d’une discussion privée sur Instagram. Le militant néonazi de la division Martel vient à peine de rentrer de Romans-sur-Isère (26) ce 26 novembre 2023. « On a tenu bon. Tous les bougnoules qu’on croisait sur notre route, on les enculait, c’était tellement bien », balance ce franco-russe. La veille, environ 80 militants d’extrême droite ont débarqué dans un quartier populaire de la ville drômoise pour en découdre avec ses habitants. Une opération montée en réaction à la mort de Thomas, poignardé dans une ville voisine quelques jours plus tôt. La descente raciste violente sur Romans-sur-Isère a tourné court avec l’interpellation de plusieurs dizaines d’entre eux, tandis que d’autres se font cueillir par des jeunes du quartier. Dans la foulée, en décembre, Gérald Darmanin a demandé la dissolution de la Division Martel.
Dans les premiers épisodes des FafLeaks, StreetPress a pu raconter dès octobre le fonctionnement de ce groupuscule néo-nazi. Nous nous sommes depuis procuré des extraits d’une conversation Instagram qui rassemble plusieurs membres du groupe et qui permet de détailler amplement le déroulé de la descente raciste de Romans-sur-Isère. Tous les participants sont très jeunes. Ces éléments inédits sont aussi une plongée dans le quotidien de ces ados néonazis, entre récits de violence, harcèlement raciste de leurs camarades, bagarres au lycée et Tiktoks à la gloire du IIIème Reich.
Les FafLeaks
Cette enquête est tirée d’une série baptisée FafLeaks. En plus de 2.000 audios, images et vidéos pour la plupart inédits, StreetPress s’est aussi procuré pour ce nouvel épisode écrit et vidéo des extraits d’une conversation Instagram de la division Martel. À partir de cette matière mais aussi de nombreux témoignages, StreetPress dresse un panorama de la jeunesse néonazie parisienne. Une série composée de quatre articles et quatre vidéos.
> Article 1 : La division Martel, les bébés néonazis parisiens
> Vidéo 1 : Agressions et saluts nazis, les vidéos inédites de la division Martel
> Article 2 : César et Paul, néonazis mondains
> Vidéo 2 : Comment des néonazis ont agressé des lycéens noirs et arabes
> Article 3 : Marc de Cacqueray, noble et nazi
> Vidéo 3 : Héritier et néonazi ultra-violent, enquête sur Marc de Cacqueray-Valmenier
Une expédition punitive
Dans son audio posté sur la discussion privée Instagram intitulée « Gnom Crew », Elie I. décrit Romans-sur-Isère comme « l’action la plus dure de [sa] vie » :
« Mentalement, c’était super dur, on a affronté la cité, la ville, on avait peur de rien. Tout le monde avait le mental, c’était incroyable. »
L’expédition punitive a été organisée par des militants néofascistes et identitaires venus des quatre coins du pays. Elie, lui est parti de Paris en minivan avec d’autres membres de la future descente raciste. Sur les caméras de surveillance de la ville, un groupe d’une cinquantaine d’individus, « certains visages dissimulés, certains armés de bâtons », est repéré par les forces de l’ordre non loin du quartier de la Monnaie, d’où les jeunes qui ont tué Thomas seraient originaires.
L’objectif des fafs est alors de pénétrer dans le quartier et tabasser toute personne d’origine maghrébine qui croiserait leur chemin. Les débuts de l’opération se seraient déroulés sans problème, juge Elie. « Les gars, en vrai, on a eu ce qu’on voulait », envoie-t-il, extatique, à ses copains. En arrivant près du quartier de la Monnaie, le commando fasciste fait face au dispositif policier, conséquent mis en place pour éviter les débordements :
« On est arrivés, y’avait déjà dix camions de CRS, ils n’arrêtaient pas de nous charger. »
Les militants font alors usage de mortiers d’artifice d’après un rapport des forces de l’ordre ce soir-là. Des tirs que revendique fièrement Elie dans ses vocaux.
Bloqués dans leur progression, les nervis partent ensuite en cortège dans la ville aux cris d’« Islam hors d’Europe », déployant une banderole « Justice pour Thomas ». Elie se vante d’être en tête du groupe : « C’est moi qui lève les bras », répond-il à l’un de ses amis qui poste une vidéo de la manifestation. Le jeune militant de la division Martel semble avoir pris son pied, du moins en début de soirée :
« Ça a duré une heure, genre 30 minutes de pur plaisir : on avait envahi tout Romans-sur-Isère. »
La débandade
Mais la situation va rapidement se gâter pour les néofascistes. « À un moment, on s’est pris une impasse, on était genre soixante. Devant y’avait les keufs. Derrière y’avait les keufs », se fait plus grave Elie. Les néofascistes doivent aller sur les chemins de fer et « monter » une grille. « C’était tellement dur », poursuit-il. Il ne précise pas à ses comparses que déjà, une dizaine de militants d’extrême droite sont interpellés alors qu’ils tentent d’atteindre la voie ferrée.
À LIRE AUSSI : Descente raciste à Romans-sur-Isère : quels sont les profils des interpellés ?
La suite de la soirée n’est pas aussi glorieuse que veulent le raconter les nationalistes, et l’adrénaline laisse rapidement place à la peur. Pour échapper aux représailles, plusieurs militants comme lui tentent de se faire discrets :
« Quand on commençait à être recherchés par toute la métropole, j’avoue que rester planqué dans les buissons presque toute la nuit alors qu’il faisait -2°, c’était horrible. »
Face à ses comparses, le jeune néonazi de la « DM » évoque aussi les enlèvements supposés de militants dans ses messages : « J’ai ressenti le plus gros stress de ma vie. Y’a des mecs qui se sont fait choper, kidnapper ». « C’était tellement hard les gars, le risque de garde à vue, le risque d’enlèvement étaient présents à 100%. Genre, sur 100%, j’avais 80% de chances de finir soit en garde à vue, soit lynché par des bougnoules », enchérit-il d’une façon mathématique très hasardeuse.
La fuite
Après plusieurs heures à jouer à cache-cache dans Romans-sur-Isère, Elie rejoint finalement la chambre d’hôtel qu’il a loué avec « Rex », un des camarades avec lequel il a fait le déplacement. Le lendemain matin, les deux compères doivent se rendre à la gare de Romans-sur-Isère pour tenter de prendre un TGV, direction Paris. Et pour cause : la veille, le van avec lequel ils sont venus de Paris a été brûlé, avec leurs papiers d’identité et leurs téléphones à l’intérieur. « On a fraudé, c’était une grosse galère. On avait les keufs aux trousses, on était surveillé à mort. On passait même pas dans les lieux publics, c’était tellement chaud », explique-t-il, grandiloquent.
Leurs ennuis ne s’arrêtent pas là selon Elie : les deux militants auraient été repérés par « des bougnoules » en raison de leur style vestimentaire. La situation se serait alors envenimée dans le train, sans qu’il n’en dise plus dans la conversation.
Retour au lycée
Après Romans-sur-Isère, les militants reprennent leur vie lycéenne. Dans des vidéos envoyées sur la conversation Instagram, Pierre C. se filme en train de traiter plusieurs de ses camarades de classe de « sale nègre », ou harcelant des élèves d’origine arabe. Ce jeune cadre de la « DM » n’était pas dans la Drôme : sa mère l’a puni après son séjour en garde à vue à la suite de la tentative avortée de descente raciste le soir de France-Maroc, lors de la Coupe du Monde 2022.
Les néonazis de la division Martel débarquent à l’anniversaire de StreetPress
Malgré sa privation de sortie, Pierre envisage des actions avec ses camarades, comme le déploiement d’une immense banderole « Bougnoules dehors » sur une grue, inspirée par celle déployée à Rennes en juin 2023, en amont de la Marche des Fiertés, intitulée « Fuck LGBT ».
Dans la discussion, chacun se fait mousser. Un des ados poste une vidéo de lui dans sa chambre, en pantalon de treillis, avec un t-shirt sur la tête et une réplique Airsoft d’AK-47 en main, en train d’imiter l’image qu’il se fait d’un terroriste islamiste. Quant à Elie, il donne de grandes leçons de militantisme fasciste à ses petits camarades à coup de notes vocales, leur parle des risques judiciaires potentiels des actions que fantasment d’autres membres de la DM… Il commente aussi la mort de Nahel, tué à bout portant par un policier en juin 2023, qui aurait « voulu jouer ».
Bagarres dans les couloirs et descente au lycée
Au milieu de la discussion, on tombe aussi sur des vidéos Tiktok qui mélangent références au Ku Klux Klan, imagerie néonazie et personnages d’anime japonais ou encore des recettes de cuisine. Et entre deux discussions sur leurs relations « amoureuses », certains membres s’entraînent à la lutte dans les couloirs de leur lycée, ou sur la Petite Ceinture, une ancienne voie ferrée qui fait le tour de Paris et partiellement transformée aujourd’hui en jardin public. Ils commentent le « gabarit » de militants du Gud Paris, de l’Action Française ou de la Cocarde Étudiante. Ils évoquent d’autres militants qui adopteraient « la mentalité bougnoule », s’envoient des selfies où ils bandent les muscles à la salle de sport…
Ils reviennent aussi sur leurs « faits d’armes », comme leur descente raciste devant le lycée Victor Hugo. Le 20 avril 2023, des militants de la division Martel ont tabassé et gazé à la bombe lacrymogène des lycéens pour un « canular téléphonique » fait à Alexandre H., un des membres de la conversation Instagram « Gnom Crew ». StreetPress a raconté en janvier comment ces ados se sont radicalisés au sein de la mouvance néonazie, jusqu’à commettre des agressions racistes. Ils s’en sont notamment pris à des jeunes lycéens parisiens. Loin d’afficher une quelconque repentance au procès, Maxim W. – un autre mineur jugé – revendique dans cette conversation avoir « gazé des mecs qui étaient à mains nues » devant le lycée. Un geste qui serait plus stratégique selon lui que celui des ados qui auraient tué Thomas à coups de couteau à Crépol, en novembre dernier. Maxim écrit :
« En terme d’honneur, on est pas mieux qu’eux, c’est juste qu’ils sont débiles et qu’ils utilisent des couteaux. »
Les membres de la Division Martel s’échangent aussi sur cette conversation des recommandations sur les formats et les types de « gazeuses » idéales pour leurs activités militantes. Selon Maxim, les gazeuses seraient « parfaites » pour « faire danser un gars » :
« Ça permet de faire des dégâts sans tuer. »
Fantasmes d’exécutions terroristes
Les ados de la division Martel fantasment aussi des expéditions punitives, pour lesquelles ils s’inspirent des méthodes d’exécution de Daesh. L’un d’eux parle de « kidnapper une dizaine de gauchistes ou d’arabes pour leur faire la même et poster la vidéo sur tous les réseaux ».
À LIRE AUSSI : Radicalisation néonazie : comment des ados sont passés à l’acte
Le 31 décembre, malgré la dissolution au début du mois, la division Martel s’est donné rendez-vous dans un appartement bourgeois de Saint-Cloud, pour fêter la nouvelle année. Au programme : petit tour sur le toit, feux d’artifices tirés depuis le balcon, saluts fascistes ou photo de groupe où se mêlent signes Jul et références à Daesh. Parmi les présents, Elie I., Pierre C., ou encore Alexandre H. Un autre membre de la conversation Gnom Crew, Louis, se fend lui d’une story Instagram légendée : « Bonne année les kuffars ». Comprendre « les mécréants ».
Illustration de Une de Caroline Varon. Enquête d’Arthur Weil-Rabaud et Daphné Deschamps. Vidéo de Mathieu Molard et Matthieu Bidan.
Faf, la Newsletter
Chaque semaine le pire de l'extrême droite vu par StreetPress. Au programme, des enquêtes, des reportages et des infos inédites réunis dans une newsletter. Abonnez-vous, c'est gratuit !
Face au péril, nous nous sommes levés. Entre le soir de la dissolution et le second tour des législatives, StreetPress a publié plus de 60 enquêtes. Nos révélations ont été reprises par la quasi-totalité des médias français et notre travail cité dans plusieurs grands journaux étrangers. Nous avons aussi été à l’initiative des deux grands rassemblements contre l’extrême droite, réunissant plus de 90.000 personnes sur la place de la République.
StreetPress, parce qu'il est rigoureux dans son travail et sur de ses valeurs, est un média utile. D’autres batailles nous attendent. Car le 7 juillet n’a pas été une victoire, simplement un sursis. Marine Le Pen et ses 142 députés préparent déjà le coup d’après. Nous aussi nous devons construire l’avenir.
Nous avons besoin de renforcer StreetPress et garantir son indépendance. Faites aujourd’hui un don mensuel, même modeste. Grâce à ces dons récurrents, nous pouvons nous projeter. C’est la condition pour avoir un impact démultiplié dans les mois à venir.
Ni l’adversité, ni les menaces ne nous feront reculer. Nous avons besoin de votre soutien pour avancer, anticiper, et nous préparer aux batailles à venir.
Je fais un don mensuel à StreetPress
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER