En ce moment

    25/03/2024

    Il s’est acheté le plus gros avion d’affaires du marché

    Les très chers et très polluants jets privés de Patrick Drahi

    Par Antoine Champagne

    Patrick Drahi s’est offert le plus gros avion d’affaires du marché pour la modique somme de 61,7 millions d’euros. Un joli coucou avec lequel il survole la planète dans tous les sens, générant au passage des milliers de tonnes de CO2.

    Si l’on en croit les portraits publiés dans la presse, Patrick Drahi est un homme très simple. On peut le croiser à l’arrêt de bus habillé de manière très casual. S’il circule peut-être en transports en commun quand il est en Suisse, pour ses déplacements dans le reste du monde, c’est une autre histoire. La planète, l’homme d’affaires la survole plusieurs fois par semaine dans son jet privé. Son Bombardier Global 7500 est un monstre des airs – le plus gros appareil de l’aviation d’affaires en circulation. Prix d’achat ? 61,7 millions de dollars.

    Le jet de Patrick Drahi est rarement au garage. Pour les seuls cinq premiers mois de l’année 2022, il a effectué 56 vols sur quatre continents, note le magazine Complément d’enquête. Au total, l’appareil a avalé 128.000 kilomètres et émis 684 tonnes de CO2, soit plus de 70 ans de rejets d’un Français moyen.

    Ce méga jet n’est pas le premier avion de Patrick Drahi. Comme Reflets puis Heidi News l’ont raconté, la société Manjet fondée par le milliardaire a acheté un Falcon 7X, puis un Bombardier 6500, tous deux revendus par la suite. Un autre appareil (un Challenger 3500, toujours chez Bombardier) devait être livré l’an dernier. Les documents des Drahileaks montrent par ailleurs que l’entreprise de Patrick Drahi supervise aussi les rotations et la gestion d’un Global 6500 appartenant à son bras droit, Armando Pereira, et d’un Global 3000. Ces aéronefs sont régulièrement mis en location.

    Pour ses avions – comme pour absolument tous ses achats – Patrick Drahi fait plancher ses conseils avec une mission : comment payer le moins de taxes possible ? Cela passe par les méthodes et ficelles habituelles utilisées dans l’aviation d’affaires : création de sociétés dans des pays fiscalement attrayants, exemptions de TVA, facturation des vols à des sociétés du groupe, pertes déclarées pour la société Manjet qui viennent en déduction d’impôts pour le groupe… Au fond, rien de neuf sous le soleil de Nevis.

    Vol all-inclusive

    Pas question pour le milliardaire de prendre un vol classique, même en classe affaires. Aucune compagnie, il est vrai, ne peut rivaliser avec la qualité de services à bord de son jet. Un document interne liste à l’attention des équipages les petites attentions prévues et attendues. Le texte prévient d’entrée :

    « Patrick Drahi est très simple mais il aime que les choses soient faites d’une certaine façon. »

    Quand on traverse les océans et les continents, on dort souvent à bord. « Pour les vols de nuit, il se réveille toujours lui-même le matin. Je lui propose un oshibori (une serviette rafraîchissante) mais il ne le prend pas toujours », détaille ensuite le document à destination des équipes. « Il prend son café et sa brioche, puis quelque chose d’autre en fonction de ce que vous avez à lui proposer ». Avant de mettre en garde :

    « Ne lui proposez pas de plats chauds après un vol de nuit, il déteste l’odeur du four et le bruit qu’il fait quand il se réveille !!! »

    Dans son Global 7500, Patrick Drahi fait parfois voyager des célébrités. C’est le cas de la journaliste de CNews Laurence Ferrari et de son mari le violoniste Renaud Capuçon, du patron d’i24News Franck Melloul, d’une ambassadrice marocaine, Alahoi Zohour, et bien entendu de nombreux hauts cadres du groupe. Mais ceux qui chez Altice ne font pas partie du top management, sont priés d’emprunter les compagnies low cost.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/jet.png

    Le plan de son petit véhicule. / Crédits : Source DrahiLeaks

    Il doit agrandir la piste d’atterrissage

    Comme Reflets l’a déjà raconté, la piste d’atterrissage de l’île de Nevis, dans la mer des Caraïbes où Drahi s’est fait construire une jolie petite villa, est trop courte pour poser son gros Global 7500. Qu’à cela ne tienne, pour éviter de devoir monter dans un hélico ou un petit avion depuis l’île principale de Saint-Kitts, pour ensuite rejoindre Nevis (environ 400 dollars par personne), l’homme d’affaires a proposé au gouvernement local d’allonger la piste. Mais pas tout à fait gratuitement… Les affaires sont les affaires : sous prétexte d’aider l’île à attirer d’autres milliardaires ayant de gros jets, Patrick Drahi a proposé de prendre à sa charge les travaux, estimés entre 18,4 et 23,2 millions de dollars, financés en cash et en emprunt. En retour, les recettes du nouvel aéroport seront partagées à 70/30 : 70 pour lui et 30 pour la Nevis Island Administration (NIA).

    En revanche, précise l’accord, « tous les coûts, par exemple : salaires des employés de l’aéroport, maintenance de la piste, coût des services publics, etc. seront pris en charge exclusivement par la NIA. » Jusque-là, ça paraît couler de sens. Chacun sa part de l’effort, après tout. La suite montre qu’avec le fondateur d’Altice, tout se paie :

    « Cet accord perdurera jusqu’à ce que Patrick Drahi ait récupéré tout son investissement, augmenté d’un taux d’intérêt de 2% par an. »

    Ce n’est pourtant pas suffisant. « Une fois le remboursement effectué, les recettes seront partagées à 30/70 entre Patrick Drahi et la NIA pendant sept ans. Ensuite, les recettes iront toutes à la NIA. » Le partage s’inverse. Au passage, le milliardaire négocie une exemption fiscale pour les recettes de la société qu’il a créée pour les travaux de l’aéroport.

    Quelqu’un tique ?

    Sur la petite île des Caraïbes, tout le monde ne s’est pas laissé ensorceler par les promesses de Patrick Drahi et ses millions. Soumis à un conseiller économique, le projet du milliardaire ne lui semble pas à l’avantage du gouvernement. Il l’écrit au Premier ministre : « J’ai examiné la proposition présentée par M. Drahi. Je ne suis pas satisfait de la clause qui donne tous les revenus à M. Drahi alors que la Nevis Island Administration doit assumer tous les coûts, y compris le personnel, les services publics, le coût de l’entretien de la piste, etc. » Inquiet, le fonctionnaire pose la question qui fâche :

    « Comment allons-nous les financer ? »

    Constructif, l’homme a bien proposé des solutions alternatives, mais elles sont restées lettre morte. Décidément, le gouvernement local ne pouvait rien refuser à celui qui a acheté un scanner pour l’hôpital, mais aussi les tests et les vaccins pour le Covid pour les habitants de l’île.

    Contacté, Patrick Drahi n’a pas répondu à nos sollicitations.
    Illustration de Une par Caroline Varon.

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER