Tremblement de terre le 13 juillet 2023 : la justice portugaise déclenche l’opération « Picoas » et place en détention l’ami de toujours, le bras droit de Patrick Drahi, Armando Pereira. Dans son pays, celui-ci est un homme d’affaires star. Il a un temps été l’homme le plus riche du Portugal avec une fortune estimée aujourd’hui à environ deux milliards d’euros. Armando Pereira est l’homme avec qui Patrick Drahi a créé Altice en 2002. Il a été ensuite de tous les montages financiers, de tous les investissements, de tous les projets les plus fous. Armando Pereira est connu comme le cost-killer du groupe, craint pour ses méthodes de management brutales et les charrettes de licenciements qu’il laisse derrière lui.
Notre enquête à partir des #DrahiLeaks
Patrick Drahi est un homme d’affaires puissant. 13e fortune française bien que domicilié en Suisse, il est à la tête du groupe Altice. Un empire tentaculaire qui réunit notamment des entreprises de télécoms (SFR, Cablevision… ) et des médias (BFM TV, RMC… ) ou de commerce d’art (Sotheby’s)…
En août 2022, le groupe de hackers russes Hive a mis en ligne dans un recoin caché d’Internet des centaines de milliers de documents piratés à Altice après avoir échoué à faire chanter l’homme d’affaires. Reflets, Blast et StreetPress se sont associés pour explorer ces leaks.
Aujourd’hui le groupe Altice est en péril. Nos enquêtes sur Patrick Drahi et son système de prédation de ses propres sociétés permet de mieux comprendre pourquoi il est si près du gouffre. Elles sont le fruit d’un travail en commun de plusieurs mois. Nous avions, en décembre 2022 et en avril 2023, mis en ligne une quinzaine d’enquête. Ce lundi, nous publions une nouvelle série de révélations. Au menu : fraude fiscale, immobilier, yacht et spéculation.
Article 1 : Altice, le groupe propriétaire de SFR, pourrait s’écrouler
Article 2 : Le yacht de Patrick Drahi navigue loin des impôts et du droit du travail
Article 3 : Les très chers et très polluants jets privés de Patrick Drahi
Article 4 : De la Suisse aux Caraïbes, visite guidée de l’immense patrimoine immobilier de Patrick Drahi
Article 5 : L’ex-conseiller juridique de Patrick Drahi déballe les magouilles de son patron
Article 6 : AMI, la société qui encaissait d’étonnantes commissions sur les contrats entre Altice et ses fournisseurs
Article 7 : Le projet secret de Patrick Drahi pour rentabiliser Sotheby’s, sa maison de ventes aux enchères de luxe
Relisez la saison 1 et la saison 2 des DrahiLeaks. L’ensemble de ces enquêtes sont en accès libre. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur notre cagnotte commune.
La mise en cause d’Armando Pereira par la justice lusitanienne fragilise immédiatement le groupe Altice. Patrick Drahi est même contraint de réunir les 500 plus hauts cadres du groupe puis ses créanciers pour les rassurer, une opération de calinothérapie à laquelle il n’avait pas recouru depuis des années. Le magnat a senti le souffle du boulet de canon. Le calme semblait revenu quand soudain, début mars 2024, Bloomberg annonce l’ouverture d’une enquête préliminaire par le Parquet national financier en France… Selon nos informations, l’enquête n’est pas déclenchée sur la base d’information transmise par la justice portugaise mais sur la base simplement des articles relatant l’affaire Picoas. L’idée est de vérifier s’il existe ou non un système en France qui ressemblerait à celui qui aurait été mis en place au Portugal par Armando Pereira. Pour l’instant Altice laisse entendre qu’elle collaborera, « une posture qui sera mise à l’épreuve dans les mois à venir », explique un proche du dossier plutôt dubitatif.
Le PNF et le FBI ont les DrahiLeaks
Le PNF disposant selon nos informations, comme le FBI d’ailleurs, des DrahiLeaks, il y a fort à parier que les dirigeants d’Altice ne prennent pas cette annonce à la légère. Car, au-delà des faits éventuels de « corruption de personnes n’exerçant pas de fonction publique, [de] blanchiment et [de] recel de ces délits », il reste le volet fiscal qui pourrait s’inviter dans le dossier du PNF. Si la plupart des opérations d’optimisation sont légales sur le papier, il existe toujours, par exemple, le risque d’une interprétation juridique selon laquelle il y aurait un abus de droit. C’est-à-dire une volonté de profiter indûment de la législation pour éluder l’impôt. Un sujet d’ailleurs discuté par l’équipe dirigeante d’Altice avec ses juristes. Ainsi, dans un mail, un fiscaliste du cabinet Meyer Brown met en garde :
« S’agissant de la diversification des investisseurs : comme évoqué, il s’agirait de limiter les risques de discussion sur le terrain de l’abus avec l’administration fiscale française. »
Mieux vaut prévenir que guérir… En outre, certains arrangements entre Patrick Drahi et Armando Pereira pourraient être auscultés par le fisc, comme nous l’avions raconté dans cet article.
L’empire chancelle d’autant plus que ces affaires judiciaires peuvent laisser penser – même si tout le monde reste présumé innocent tant qu’une décision de justice n’est pas rendue – qu’une vaste politique de prédation aurait été mise en place par les dirigeants. L’affaire Picoas semble montrer une volonté de surfacturer, au bénéfice (personnel) de quelques dirigeants. Au cours de nos enquêtes, des sources internes de SFR nous avaient déjà signalé la présence de centrales d’achats qui renchérissaient le coût des achats de l’opérateur.
Ces affaires ont un corollaire, elles sont comme une verbalisation de ce que tout le monde de la finance sait depuis longtemps mais fait mine d’ignorer : l’empire Altice est un château de cartes construit sur près de 70 milliards de dettes. Si cette dette ne peut plus être refinancée (1), en clair si Altice n’arrive pas à réemprunter, tout s’écroule. D’autant plus difficile à faire que les agences de notation, ces structures qui évaluent les entreprises pour les investisseurs, s’inquiètent de l’absence de véritable stratégie industrielle et jugent que le management laisse à désirer en matière de qualifications et d’effectifs. C’est pour ces raisons notamment que l’agence Moody’s a dégradé son opinion sur la dette d’Altice France. Une dégradation et des ennuis judiciaires peuvent affoler les investisseurs. Pour mémoire, le groupe Casino de Jean-Charles Naouri s’est effondré avec une dette de 6 milliards.
Patrick Drahi le sait, il cherche donc du cash à tout prix. Il a ainsi annoncé le 15 mars dernier la vente prochaine de sa branche média (propriétaire de BFM et RMC) à l’armateur Rodolphe Saadé, pour un peu plus de 1,5 milliards d’euros. Vendredi 22 mars, Les Echos révélaient par ailleurs que Patrick Drahi a demandé « aux porteurs d’obligations d’Altice France d’accepter de renoncer à une partie de leurs créances. Sinon, il menace de ne pas utiliser le produit de ses cessions comme BFM TV pour désendetter l’entreprise. Un bras de fer qui pourrait avoir valeur de test pour tout le marché des obligations européen ». Un nouveau signe patent de la violence du mur de la dette pour le groupe. Pour mémoire, les investisseurs obligataires ne disposent pas de collatéral (des actions du groupe par exemple) et perdraient tout en cas de faillite. La menace de Patrick Drahi pourrait fonctionner mais sa parole (financière) est durablement décrédibilisée sur les marchés. Les obligations du groupe se sont effondrées (entre -2 et -27% selon les échéances) dans la foulée de cette annonce.
Contacté, Patrick Drahi n’a pas répondu à nos sollicitations.
Illustration de Une par Caroline Varon.
(1) les prochaines échéances arrivent en 2025, 2026 et 2028 pour un total de 16,2 milliards d’euros pour Altice France.
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