Roubaix (59) – « Ce que je pense de la dissolution ? C’est drôle ! » Les cinq lycéens qui entourent Ali pouffent. « Mort de rire, le fou ! » Ce vendredi 14 juin, leurs révisions du bac sont chahutées par la ribambelle de rebondissements politiques. Le front de gauche et ses dissensions, Éric Ciotti qui se barricade au siège des Républicains, Valérie Pécresse arrivant en se retroussant les manches, l’équipe a tout suivi sur les réseaux, à la fois hilare et déboussolée. Ali, 18 ans, reprend son raisonnement :
« En vrai de vrai, c’est les Anges de la téléréalité : Macron fait son coup de poker et tout le monde s’embrouille après. Dis-moi que Ciotti et Pécresse c’est pas Hillary et Jonathan ! »
Sur les quatre majeurs, deux n’ont pas voté aux élections européennes – et s’en mordent les doigts. Un score pourtant meilleur que celui de leur ville, avec seulement 35,6% de participation. Ali les avait pourtant harcelés d’appels pour les motiver à aller aux urnes. « Non mais t’avais raison, cette fois on va y aller. » Aucun doute : pour ces législatives anticipées, ça sera le Nouveau Front populaire pour tous – y compris les mineurs s’ils le pouvaient. Parce que Sébastien Delogu, député sortant LFI des quartiers Nord de Marseille (13), candidat à sa réélection, a brandi un drapeau palestinien à l’Assemblée nationale ou que Jean-Luc Mélenchon parle d’islamophobie. « On est nombreux à venir de l’immigration », contextualise Slimane, 18 ans. « On suit nos études, on fait des choses bien autour de nous… On est ni un problème ni le mal malgré ce que les gens disent. » Au téléphone, Julien Talpin, chercheur au CNRS, spécialiste de l’engagement dans les quartiers populaires – également Roubaisien – commente :
« La France insoumise a éveillé un réel espoir ici. Et les résultats électoraux sont là pour le prouver. »
Le député LFI David Guiraud est de nouveau en campagne pour sa réélection. / Crédits : Inès Belgacem
« C’est la seule star que j’ai déjà vue »
« Je peux avoir un selfie ? » Sur le marché Place de la Liberté, dans le centre-ville de Roubaix, David Guiraud se prête avec aisance au jeu des photos. Le député de La France insoumise (LFI) est de nouveau en campagne pour sa réélection. « Je l’ai vu à la télé recadrer des racistes. C’est la seule star que j’ai déjà vue », explique Omar, 16 ans, arrivé de Syrie en 2013 à cause de la guerre, et qui raconte les problèmes de sa famille à la préfecture. « On le voit tout le temps sur les réseaux, la communauté Kpop est avec lui », balance cette fois Kitty (1), Roubaisienne de 18 ans, qui demande une vidéo dédicace du candidat pour ses copines. « Les Kpoppeurs sont à fond derrière nous [candidats du nouveau Front Populaire] et publient des contenus pour nous soutenir. C’est un levier de communication chez les jeunes assez inépuisable », sourit l’insoumis, adepte des punchlines bien senties qui font ensuite le tour des réseaux.
Séréna, 21 ans, assure que « lui, c’est un vrai gars qu’on voit souvent ». Stéphanie ne dira pas le contraire. La grande blonde fait partie des 2.700 licenciés de Camaïeu, laissés du jour au lendemain sur le carreau en 2022, et soutenus dans leur mouvement de contestation par le député. En local, David Guiraud a également été sur le piquet de grève quand les ouvrières de Vertbaudet ont bloqué leur usine pour des conditions de vie plus dignes, ou avec les compagnons sans-papiers qui accusent Emmaüs de traite d’êtres humains. En début de mandat, il s’est également fait remarquer en diffusant une vidéo sur les conditions de vie désastreuses des habitants de l’Alma, un des quartiers les plus pauvres de la ville, visé par un plan d’urbanisme. Stéphanie salue chaleureusement l’équipe de campagne, avant d’en profiter pour lancer une piqûre de rappel : « Tu te souviens des infiltrations dans le logement de ma mère et de ses voisins ? Le bailleur n’a toujours pas bougé, ça devient très dangereux ». « Toujours pas ?! Après les législatives – ça nous prend tout notre temps – on reprend le dossier », assure Shéhérazade Bentorki, la suppléante de David Guiraud. La porte-parole des salariés de Camaïeu acquiesce :
« Bon, en tout cas, on vote tous pour vous. On a motivé tout le monde. »
Julien Talpin, chercheur au CNRS et auteur de plusieurs travaux sur Roubaix, commente : « Il serait bon de transformer ces liens [avec les organisations locales] qui s’activent pendant les élections, en organisant un travail d’éducation populaire avec les habitants, qui irait au-delà de la mobilisation ponctuelle. Et qui signerait un réel ancrage local. »
Dans le département du Nord, où le RN est arrivé en tête, LFI a réuni 42% des voix à Roubaix. / Crédits : Inès Belgacem
Parachutage réussi
Le parachutage en 2022 du parisien David Guiraud, ancien porte-parole jeunesse de la France insoumise et fils d’un baron socialiste, a fonctionné. Dans le département du Nord, où le Rassemblement national (RN) est arrivé en tête, LFI a réuni 42% des voix à Roubaix. Mieux, le vote RN recule. « La FI faisait à peine 15% en 2022 », tient à préciser le député. Le taux de participation – bien qu’encore très bas – s’améliore également, avec cinq points de plus par rapport aux européennes de 2019. « Il y a eu une clarification politique dans la ville [où beaucoup de listes de gauche se disputaient les voix]. Mais Roubaix fait partie d’une vague nationale. » Une analyse que rejoint par le chercheur Julien Talpin, qui a accepté de faire partie du comité de soutien du candidat, « en tant qu’observateur engagé » :
« L’accent mis sur la question palestinienne, l’islamophobie, les violences policières… J’ai le sentiment que la FI a fait son aggiornamento sur les quartiers et la question coloniale, ce qui participe à résorber la distance entre la gauche et les quartiers. »
En janvier, la permanence et le domicile de David Guiraud ont toutefois été la cible de collages injurieux. En cause, son engagement pour dénoncer le génocide en cours à Gaza, mais aussi un tweet faisant référence aux « Dragons célestes », personnages du manga « One Piece », également utilisée par des milieux antisémites pour désigner les juifs. Lui récuse les accusations d’antisémitisme et dénonce une instrumentalisation de l’extrême droite. Il a porté plainte.
« Je voudrais m’engager ! »
Sur le marché, place de la Nation cette fois, Maroua, 22 ans, entame son premier tractage pour le candidat. « Je te suis pour le début », intime-t-elle à Yousra Bafouloulou, l’attachée parlementaire du député. La jeune femme n’est pas de Roubaix, « mais j’avais du temps, et je crois que c’est le moment de se motiver pour faire bouger les choses ». Même raisonnement pour Marie, 26 ans : « Ah je vous cherchais ! Je voudrais m’engager. » Dans sa circo’, « le Nouveau Front populaire n’a aucune chance », alors autant prêter main-forte là où il y a de l’espoir. Un peu plus loin, Attia, mère de famille, passe son téléphone à Yousra. « Ma fille voudrait vous aider. » Dans toutes la France, le nouveau Front Populaire croule sous les propositions d’action. Au lancement de la campagne à Roubaix, ils étaient une grosse centaine selon Shéhérazade Bentorki, suppléante :
« En une semaine, je crois qu’il y a une bonne trentaine de personnes qui nous ont rejoint. »
Tahina, militante du quartier du Pile et du Mrap (Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), accueille les nouveaux arrivants tout en distribuant les tracts. « 30 juin et 7 juillet. Faites des procurations si vous n’êtes pas là », insiste-t-elle à chaque fois :
« Ici, on ne se bat pas pour convaincre de voter à gauche, on se bat contre l’abstention. »
(1) Son prénom a été modifié pour une partie de son pseudo sur les réseaux.
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