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    29/03/2010

    Exposition « Prisonniers du soleil » au Plateau

    Par Camille

    Le FRAC Ile-de-France, plus connu comme « le Plateau », présente la deuxième exposition du commissaire Guillaume Désanges : art contemporain et références historiques font bon ménage dans cette mise en scène petit-bourgeois.


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    L’exposition « Prisonniers du Soleil »

    « Prisonniers du soleil », 2e volet du cycle «Érudition concrète », du 11 mars au 9 mai 2010.

    Le Plateau, Fonds Régional d’Art Contemporain d’Ile-de-France, Place Hannah Arendt, métro Buttes-Chaumont, Paris 19ème.

    Une scénographie englobante

    On entre dans « Prisonniers du Soleil » comme dans un film : projetés dès l’entrée dans un univers personnel et voyant, on prend quelques instants pour reconnaître les lieux et pour arriver à « suivre ». Qu’est devenu l’accueil qui semblait si immuable du Plateau ? Ses murs et leur couleur grise ? Et quelle est cette débauche de rouge et de meubles bourgeois? On se croirait dans l’intérieur d’une famille de notables réfractaires au goût du jour.

    Art et non-art

    C’est Guillaume Désanges, commissaire d’exposition indépendant et terriblement inventif, qui nous démontre qu’on peut faire de l’exposition d’art contemporain une forme tout à fait nouvelle. Il multiplie les références culturelles (Alain Resnais, Frank Lloyd Wright, le roman gothique anglais…). Il nous confronte à des objets certes non artistiques, mais à la lisière avec l’art : des jeux en bois aux formes minimales, une lampe Tiffany, un zootrope. Il nous perd dans un décor de théâtre de boulevard. Au milieu de ce terreau fertile pour l’imaginaire, il perd quelques œuvres d’artistes contemporains dont les recherches font écho aux siennes. Ambiguïté, duplicité des discours, associations d’idées : tels sont les maîtres mots de l’exposition.

    Le désert de Retz

    Tout part d’un schémas (ci-contre) dessiné par Guillaume Désanges ; et tout, dans ce schémas, part d’un lieu insolite, sorte de « perle baroque » de l’architecture française : le désert de Retz. Ce vaste parc, contruit à la fin du XVIIIe par le Comte de Monville, cache une dizaine de folies) architecturales : des bâtiments sans réelle fonction, mais qui symbolisent les grandes civilisations de ce monde (colonne grècque, pyramide, tente tartare, etc…). Corey McCorkle, l’artiste central de l’exposition, s’est emparé de ce lieu pour en faire un film. Nous le voyons marcher dans les bois humides, croiser des personnages fantômatiques, errer dans la Colonne Brisée, ancienne demeure du Comte, qu’il tente ainsi de faire revivre. L’artiste met en scène sa fascination pour cette architecture et son attirance mystique pour la figure du Comte de Monville. Ce jardin étrange et nostalgique mèle une foule de notions de l’histoire de l’art que l’exposition tente de démêler : fascination pour la ruine, pensée des Lumières, utopie, jardins anglo-chinois, libertinage, décadence… Autant de mouvements de l’histoire qui entretiennent un rapport d’opposition avec la pensée moderne, rationnelle, qui triomphe au XXe siècle. Désanges et McCorkle s’interrogent : et si les réseaux d’influences d’un mouvement à l’autre étaient plus complexes que ne le laissent penser les manuels d’histoire ? Et si le libertinage, la ruine, le kitsch étaient une face de la pensée moderne, mais une face sombre, cachée, qui nourrirait sa face la plus radieuse?

    Ambiguïté des formes de l’art

    Au centre d’un cercle, le désert de Retz rayonne : c’est ainsi que Guillaume Désanges a organisé sa pensée. C’est également ainsi que se visite cette exposition. Les différentes œuvres illustrent la délicieuse ambiguïté des formes artistiques. A commencer par cette vitrine dont on connaît mal le statut, entre art et non-art, une collection de mochetés kitsch qui appartiennent à la chercheuse et écrivaine Céleste Olalquiaga. Ou encore les installations subtiles de Louidgi Beltrame, artiste français fasciné par les ruines. Dans une ancienne mine abandonnée, il ramasse un morceau de charbon et un petit objet de porcelaine, qui servait autrefois à isoler les câbles électriques : en les posant simplement l’un à côté de l’autre sur un socle, il laisse diffuser l’énergie de leurs oppositions et leurs similitudes. Matière brute contre artefact, forme noire et géométrique contre blancheur délicate, modernisme industriel contre nature, choses précieuses et délaissées à la fois…

    Beauté et mort

    On sourit devant le Wax anatomical model with pretty face de l’artiste américaine Zoe Leonard : la photo montre un modèle de cire féminin, utilisé en médecine pour l’étude des viscères humaines. Quelle idée saugrenue a bien pu venir à l’esprit de ses préparateurs, qui l’ont honorée d’une belle perruque blonde et d’un collier de perle ? C’est la question de l’ornement que pose avec finesse cette artiste. Il est par définition inutile, et a été à ce titre rejeté par les modernes qui s’en tenaient au fonctionnel. Mais ne permet-il pas de rendre les choses plus douces, plus précieuses ? D’éviter la morbidité de ce qui n’est rien de moins qu’un corps éventré de femme, et d’en faire, sinon de l’art, du moins quelque chose de plaisant pour l’œil ? C’est finalement ce même mouvement humain pour l’embellissement, la mise à distance de la mort par l’art qui fonde l’utopie du Comte de Monville et du Désert de Retz : conserver intactes les traces de grandes civilisations disparues, les réunir en un seul jardin, pour en faire une promenade propice au plaisir et à la méditation.

    Le commissariat intuitif

    Finalement, on sort de cette exposition de Guillaume Désanges en se demandant qui on est venu voir, des artistes ou de lui. Sa démarche s’impose comme l’épicentre de l’exposition. Son intuition, ses références multiples, sa fantaisie imprègnent notre parcours. Ne prendrait-il pas toute la place ?
    Une question que ne manque pas de soulever l’espèce de confrontation que met en place, sans doute involontairement, le dispositif du Plateau, entre Guillaume Désanges (en tant que commissaire-artiste) et Corey McCorkle (en tant qu’artiste-commissaire). Dans cette confrontation, malheureusement pour l’artiste, Désanges est vainqueur par K.O. Car dans la deuxième partie de l’exposition, McCorkle nous propose sa propre scénographie. Mais ses moyens sont limités : deux de ses propres pièces, la reproduction d’une étrange porte en bois un peu monstrueuse, une miniature du XVIIIe siècle. Ni un espace personnel, ni une réelle mise en commun d’artistes et de références. Malgré la beauté de son film, on ne peut pas s’empêcher de penser que cette comparaison ne met pas McCorkle en valeur, face à l’énergie dévorante du commissaire-roi.

    Guillaume Désanges, le commissaire-artiste Vs Corey McCorkle, l’artiste-commissaire

    Sources: Camille / StreetPress

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