En ce moment

    12/04/2010

    Art contemporain : « L'exposition faite main » à la Maison Populaire de Montreuil

    Par Camille

    De retour à la Maison Populaire pour le second volet du programme de Florence Ostende : une exposition faite entièrement à la main ! Quatre personnalités réunies autour de ce thème problématisent le rapport de l'artiste à son propre travail.


    Created with Admarket’s flickrSLiDR.


    Le premier des 3 volets, de Florence Ostende, sur la question du travail “Les compétences invisibles” à voir ICI

    Bric-à-brac

    En ce moment, au centre d’art de la Maison Populaire de Montreuil, on peut voir un artiste traire une vache, une autre crayonner sur les murs ; le soir du vernissage, un troisième traversait l’espace sur un véhicule de fortune ; quant au quatrième, il en est arrivé à scier en deux une de ses précédentes créations pour les besoins de l’exposition.

    L’artiste et son outil

    De quoi s’agit-il ? Florence Ostende, la commissaire, a choisi, pour cette deuxième exposition sur le thème du travail, de présenter les recherches d’artistes autour de la question de l’outil. L’outil, c’est cet accessoire qui prolonge la main, qui aide le geste de produire. Comment les artistes se procurent-ils ces outils ? Quel rapport entretiennent-ils avec ces objets, qui ne représentent pas des fins en soi, et ne sont pas exposés, mais contribuent essentiellement à la forme que prennent leurs créations ? Le travail de l’artiste (par le biais de l’outil) et le résultat (l’œuvre) sont mis en regard, et se mesurent à l’aune l’un de l’autre. Dans un contexte où les attitudes, plus que jamais, deviennent formes ( On pense à l’exposition-culte « Quand les attitudes deviennent formes » de Harald Szeemann, en 1969, présentait en lieu et place d’œuvres, les actions, perfomances et gestes des artistes ou leurs traces, dans l’espace d’exposition), comme beaucoup d’artistes actuels, les quatre de la « Maison Pop » problématisent dans leur travail le processus de création qui mène au résultat final.

    La production de Marie Reinert pour cette exposition est une réfléxion sur le geste simple de tracer un trait. Elle recycle un travelling rudimentaire qu’elle avait construit pour un autre contexte, et le force, par un mécanisme télécommandé, à tracer un trait de graphite sur le mur blanc du centre d’art. Détournée de sa première utilité, condamnée à faire des allers-retours sur son rail de fortune, la machine produit un dessin évolutif qui cale le geste artistique de dessiner sur un phénomène environnemental : grâce à un capteur, la machine réagit aux allées et venues des gens dans l’espace d’exposition. Une sorte de relevé sismographique du lieu, donc, un peu dérisoire ; et une injonction absurde à l’outil, qui doit remplacer la main de l’artiste, même s’il doit y perdre sa propre raison d’être.



    La production de Marie Reinert est une réfléxion sur le geste simple de tracer un trait

    De l’art fait par des artistes

    Non sans humour, l’exposition met ainsi le doigt sur un des malaises de l’art contemporain, à savoir l’éloignement (physique) grandissant des artistes d’avec leurs œuvres. Certains multiplient les assistants et sous-traitent la plus grande partie de leur travail. Le monde de l’art d’aujourd’hui voit s’ouvrir des ateliers-SARL et des entreprises de production d’art contemporain. C’est aussi cette critique qui est contenue dans le thème de l’exposition, une critique des artistes qui se servent d’outils trop élaborés pour eux ou des autres comme d’outils. Ici, on cherche comme on peut d’autres solutions. On se place dans une économie différente : faire avec ce qu’on a, ce qu’on trouve, ce qu’on sait faire ou ce qu’on peut apprendre à faire.

    Performance des résidus / résidus de performance

    C’est un peu dans ce sens que vont les performances de Nicolas Pyujalon, qui utilisent toujours comme accessoire ou décor des éléments de récupération qu’il a trouvés sur place. Avec eux, il se construit des sortes de véhicules précaires plus encombrants que mobiles. Il tente ensuite un déplacement dans un espace qu’il a auparavant découpé et scénarisé au scotch. Ses efforts décuplés par le besoin de compenser l’inefficacité fondamentale de ses « vaisseaux » donnent de lui l’image d’un artiste en lutte. Qui refusera de laisser les traces matérielles de son passage derrière lui, pour ne pas donner une valeur artistique à des objets sans importance, autre que celle d’avoir participé, pour un instant, à un acte poétique.



    Nicolas Pyujalon utilisent des éléments de récupération qu’il a trouvés sur place, pour fabriquer ses « vaisseaux », qui donnent de lui l’image d’un artiste en lutte

    Chaîne de travail

    Mais c’est Raphaël Julliard qui questionne le plus directement la valeur du travail de l’artiste en mettant littéralement la main « à la pâte ». Pour son film Sandwich, le making of, ce jeune Suisse choisit d’accomplir lui-même l’ensemble des tâches qui permettent de produire un banal sandwich jambon-beurre : il moissonne le blé, pétrit la pâte à pain, va à l’abbatoir tuer le cochon, baratte le beurre, etc. Il déploie ainsi une suite d’efforts et accumule une quantité de savoirs-faire qui poussent une logique à l’extrême : celle, pour un artiste, d’être en contact avec ce qu’il crée. Le sandwich qu’il produit de sa main de bout en bout (un effort maximum pour un résultat dérisoire) tout comme les mille tableaux chinois vendus à la Fiac (un effort minimum pour un succès commercial maximum, cf. ci-contre) font éclater l’injustice de la logique marchande. Mais surtout, ils commentent la difficulté contre laquelle bute l’artiste à ne pas être dépossédé de son œuvre. Conserver une relation intime à sa propre création est sans doute un défi pour de jeunes artistes confrontés à des contextes commerciaux ou des enjeux de carrière. Or, l’attitude maniaque de contrôle (le cas du sandwich) n’atteint pas plus ce but que celle de l’opportuniste (les monochromes) : le film de Julliard démontre surtout que la chaîne de production est infinie, et qu’une seule personne ne peut pas la maîtriser de bout en bout.


    En 2005, sur le stand de la galerie Art & Public à la Fiac, Raphaël Julliard parvient à vendre mille monochromes rouges à 100€ pièce. Ceux-ci avaient été fabriqués en Chine. Une action commerciale rondement menée pour la galerie, et une démonstration de la stupidité d’un marché de l’art qui prouve par là qu’il méprise la relation de l’artiste à sa propre création.

    Pour voir le premier des 3 volets, de Florence Ostende, sur la question du travail : Les compétences invisibles

    Événement autour de l’exposition :
    Mercredi 14 avril à 20h / entrée libre

    Art in vivo – Les Héritiers de la Comtesse
    Rencontre avec l’artiste Donatella Bernardi et ses invités, autour de L’exposition faite main
    Projection en avant-première de son dernier film

    L’exposition faite main : du 7 avril au 2 juillet 2010

    La Maison populaire de Montreuil, entrée libre
    9 bis rue Dombasle – Montreuil

    À pied, descendre M° Mairie de Montreuil, prendre rue Walwein, continuer rue de Rosny. On y est presque…prendre à droite au lycée Jean-Jaurès et vous voilà 9 bis rue Dombasle

    Source : Camille / StreetPress

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER