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    23/11/2010

    Entre violences des rues et racisme institutionnel, les réfugiés du Kivu prennent cher dans l'Afrique du Sud post-Mandela

    A Cape Town, derrière le mirage arc-en-ciel, le calvaire des migrants africains

    Par Philippe Vion-Dury

    Philippe Vion-Dury a travaillé avec des victimes de la guerre civile au Kivu réfugiées en Afrique en Sud. Pour StreetPress, il témoigne de la montée du nationalisme «arc-en-ciel» qui surfe sur l'image de Nelson Mandela et stigmatise les émigrés.

    Jacques a grandi dans la province du Kivu , en République Démocratique du Congo. Une nuit, des miliciens rebelles ont frappé à sa porte et ont contraint le jeune homme à intégrer l’armée rebelle sous peine de violer ses sœurs et tuer ses parents. Il accepte, mais déserte quelques jours plus tard. « J’avais un fusil dans les mains mais je ne voulais tuer personne », me racontera-t-il. De retour dans son village, il constate que sa famille et sa petite amie ont fui. Il apprend aussi que cette dernière, dont il attend un enfant, a été violée une nuit par des soldats rebelles.

    Solange a grandi dans le même village. Elle y a vécu dix-sept paisibles printemps au sein d’une famille nombreuse, religieuse et soudée. Une nuit, un groupe de soldats pénètre dans sa maison pour enrôler ses frères dans leur milice. Ils prennent la fuite: les miliciens tuent son père et violent Solange ainsi que chacune de ses sœurs. « La plus jeune n’était même pas encore une femme », se souvient la jeune femme.

    Charlotte est rwandaise. Une nuit, des hommes armés ont frappé à sa porte, emmené de force ses frères, puis l’ont violée avec sa mère, avant de tuer cette dernière. Elle a fui le Rwanda avec son mari Jean de Dieu et ses deux enfants.

    L’Afrique du Sud, eldorado des réfugiés grands lacs 

    Quel est le point commun entre ces vies? Qu’est-ce qui rassemble ces êtres sinon leurs origines géographiques et la violence inouïe qu’ils ont subie ? L’Afrique du Sud. Chacun d’entre eux a voulu croire à un nouveau départ dans l’eldorado du continent noir. Chacun a épousé l’espoir du rêve arc-en-ciel. Malheureusement, Jacques, Solange et Charlotte sont confrontés à une réalité bien différente de celle revendiquée et exportée par des dirigeants sud-africains qui profitent de l’aura d’un Nelson Mandela sacralisé aux quatre coins de la planète. 

    Philippe Vion-Dury est étudiant en Droit et  Langues Étrangères. Il a participé à Cape Town à PAHRO (Projects Abroad Human Rights Office), un bureau d’assistance humanitaire. Créé en 2008 par l’ONG Canadienne Projects Abroad , il donne conseils et assistance juridique à des réfugiés politiques, demandeurs d’asiles, détenus, séropositifs ou toute personne s’estimant victime d’une atteinte à ses droits et libertés fondamentales.

    Emploi, logement, papiers: le parcours du combattant  

    Dès son arrivée en Afrique du Sud, le réfugié politique est confronté à une bureaucratie hostile entachée de corruption et voué à de lourdes démarches administratives qu’il peine à comprendre. Les files d’attentes sont interminables dans les Home Affairs Offices où les couloirs désuets s’apparentant plus à des hangars qu’à de véritables bureaux. Les institutions sud-africaines ne font pas d’effort quand elles traitent les dossiers des immigrés africains. La police encore moins: les passages à tabac sont réguliers.

    Trouver un emploi légal relève de l’exploit. Les diplômes des migrants n’ont généralement aucune valeur et les universités sont peu zélées pour apporter de l’aide – à l’instar des établissements hospitaliers qui font parfois preuve d’une franche hostilité envers ces étrangers ne possédant ni carnets de santé locaux, ni couverture sociale. Les réfugiés se contentent de jobs informels et ingrats. Celui de car-guard est un des plus fréquents (ils surveillent les voitures de particuliers pendant qu’ils font leurs courses par exemple). Mais même s’ils travaillent, les migrants ne peuvent pas constituer une épargne car les banques leur refusent catégoriquement l’ouverture d’un compte. La combinaison de ces deux facteurs oblige Charlotte, Jacques, Solange et tant d’autres à s’installer dans l’un des nombreux townships qui bordent les zones urbaines.  

    « Ils m’ont tailladé avec un tesson de bouteille »

    La violence, c’est aussi la population sud-africaine – souvent ses couches les plus déshéritées – qui l’inflige aux réfugiés. La  haine de l’étranger a atteint son paroxysme dans les évènements de mai 2008 – viols, meurtres, immolation dans les rues – avec un terrible bilan de 62 morts, 670 blessés et 100.000 sans abris.

    « Ils m’ont attaqué en pleine rue parce que j’étais étranger, puis ils m’ont tailladé avec un tesson de bouteille », raconte lentement Jacques en me montrant son coude couvert de profondes cicatrices. « Quand ils sont partis, j’ai couru jusqu’à chez moi puis j’ai fui avec ma femme et mes enfants par la fenêtre. Des hommes étaient là et saccageaient tout. L’un d’entre eux essayait de violer mon épouse » ajoute-t-il.

    Si le pays n’a pas connu de telles explosions de violences depuis lors, la tension xénophobe n’a pas pour autant décru : menaces, insultes, agressions et discriminations sont le lot quotidien des centaines de milliers de réfugiés politiques et demandeurs d’asile présents sur le territoire sud-africain. 

    « L’édification d’une identité ‘arc-en-ciel’ positive nécessite l’édification d’une contre-identité négative »

    La xénophobie stimulée par la construction d’une identité sud-africaine 

    Pourquoi une telle violence dans un pays où le nombre d’individus nés à l’étranger ne dépasse pas les 4%? Pourquoi une telle haine de la part d’un peuple qui a connu l’apartheid mais qui a aussi su pardonner et se réconcilier?

    On ne peut ignorer les traditionnels facteurs économiques, pas plus que la réappropriation populiste de certains leaders politiques du thème de l’immigration. Mais la racine du mal se trouve certainement dans le nationalisme qui accompagne l’affirmation identitaire de la nouvelle nation sud-africaine. La démocratie y est jeune, et le peuple cherche encore ses marques. Le processus de création d’une nation et de son identité passe par une construction fictive de symboles et de repères stimulant le patriotisme. Or l’édification d’une identité « arc-en-ciel » positive nécessite l’édification, toute aussi fictive, d’une contre-identité négative qui puisse servir de socle à une unité nationale soudée autour de son rejet. Est-il utile de préciser que les étrangers sont inévitablement destinés à composer cette entité négative ?  

    La seconde génération d’immigrés: une bombe a retardement 

    Rares sont les pays où l’on puisse trouver autant de drapeaux dans les rues et sur les voitures. Rares sont les pays où la mythification d’un homme tel que Mandela est aussi forte. Rares sont les pays où la fierté nationale est aussi librement exprimée et décomplexée. Mais la médaille a son revers: aujourd’hui, les étrangers font profil bas.

    Jacques, Solange et Charlotte ne veulent pas retourner dans leur pays et sont prêts à tous les sacrifices pour rester ici. Qu’adviendra-t-il lorsque la seconde génération d’étrangers atteindra l’âge de penser et d’agir? Qu’adviendra-t-il lorsque ces enfants éduqués dans la violence et le rejet atteindront l’âge de se rebeller? 

    L’Afrique du Sud est sur le point d’amorcer une bombe à retardement et de créer un second apartheid sur les cendres de l’ancienne. Sa nouvelle classe dirigeante, sous la présidence de Jacob Zuma doit relever le défi de l’immigration et de l’intégration plutôt que d’assurer son hégémonie politique en jouant la carte ethnique. 

    Les émeutes de 2008 

    En mai 2008, l’Afrique du Sud a du faire face à des émeutes xénophobes d’une violence extrême .Les réfugiés, demandeurs d’asiles et migrants économiques venant des quatre coins du continent se sont vus contraints de fuir dans la précipitation leurs abris de tôle pour sauver leur vie. Manifestant leur rancœur face à cette population supposée voler leur emploi, violer leurs femmes et véhiculer le VIH, les émeutiers des bidonvilles de Johannesburg, de Durban et du Cap n’ont pas hésité à tout détruire sur leur passage, laissant dans leur sillage un lourd bilan : 62 morts, 670 blessés et 100.000 personnes sans toit.

    « Jacob Zuma doit relever le défi de l’immigration et de l’intégration plutôt que d’assurer son hégémonie politique en jouant la carte ethnique »

    Source: Philippe Vion-Dury à Cape Town | StreetPress
    Crédit photo de Une: Julien Lehuen | Flick’r Creative Commons

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