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    13/04/2017

    Si tu crois encore que Charles Martel a arrêté une invasion musulmane, lis ça

    Par Christophe Naudin , Aladine Zaïane

    En 732 Charles Martel le Franc a mis fin à l’invasion musulmane de la France. C’est en tout cas ce que les groupes identitaires martèlent (pas de jeu de mots ici) à longueur de blog. On respire et on décrypte le vrai du faux.

    Les années qui précèdent la bataille dite de “Poitiers”, les Sarrasins (arabo-berbères) avaient conquis une partie de l’Espagne et s’étaient installés dans le Languedoc, à Narbonne notamment.

    À partir des années 719-720, ils mènent des razzia sur les terres des Francs. En 721, l’une d’elles a été particulièrement retentissante, mais oubliée de tous. Elle s’est déroulée à Toulouse et c’est le duc d’Aquitaine qui est parvenu à les repousser et à prendre le pouvoir.

    Ce qui n’est pas sans intérêt dans le déroulement de la “bataille de Poitiers”. On va le voir dans ce qui va suivre.

    La “bataille de Poitiers” : une histoire de rivalité… entre Francs

    Au même moment, plus haut au nord, Charles Martel prend le pouvoir par la force en faisant une sorte de coup d’Etat. Il devient maire du palais d’Austrasie (l’actuelle Belgique). Il veut unifier le royaume mérovingien, l’Austrasie et la Neustrie.

    Cette dernière est limitrophe du royaume d’Aquitaine de notre cher duc. Une rivalité s’installe alors entre le fameux duc d’Aquitaine qui a battu les Sarrasins à Toulouse et Charles Martel.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/carte_france_poitiers.png

    Carte de la France au temps de Charles Martel /

    Cette rivalité brise cette vision de la “bataille de Poitiers” qu’en dressent les groupes identitaires. Ils en parlent comme de deux blocs unifiés : les Francs contre les Sarrasins, mais non ! Il y avait des divisions d’un côté, comme de l’autre, et même des alliances entre les Sarrasins et les Francs.

    Du côté Sarrasin, des dissidences commençaient à émerger entre arabes et berbères. C’est ainsi qu’avant la bataille de Poitiers, un dignitaire berbère s’était temporairement allié au duc d’Aquitaine, avant d’être puni par le pouvoir de Cordoue [province sarrasine de l’actuelle Espagne].

    Un récit basé sur de nombreuses zones d’ombre

    Les circonstances de cette “bataille de Poitiers” ne sont pas vraiment connues. On ne possède qu’une seule source détaillée. C’est ce qu’on appelle la chronique Mozarabe. On définissait par ce terme les populations chrétiennes vivants sous domination islamique dans l’Espagne musulmane.

    Dans les années 750, soit une vingtaine d’années après la bataille, l’un des habitants de cette région, raconte toute cette période. C’est quelqu’un qui était vraisemblablement au contact de la cours de l’Émir de Cordoue.

    Il raconte donc, qu’il y a eu une bataille, mais sans préciser où. Les historiens pensent qu’elle s’est déroulée entre Tours et Poitiers. Il n’y a cependant pas de traces archéologiques qui en attestent. Il n’existe donc aucune trace physique prouvant que cette bataille a eu lieu dans cette zone. Tout ce qu’on sait c’est… qu’on ne sait pas où elle s’est déroulée.

    Oui il y a eu une grande bataille

    Selon la majorité des historiens, c’était une razzia comme il y en a eu tant auparavant. Mais dire que c’était une petite escarmouche est faux. Il y avait quand même plusieurs milliers d’hommes de part et d’autre et le gouverneur Sarrasin Abdelrahman était présent. Ce n’était pas n’importe qui.

    Les Sarrasins ont remonté la Garonne, pillant tout sur leur chemin, en particulier les monastères et les abbayes. Des lieux riches, en raison de la présence de reliques. Ils sont arrivés à Bordeaux et là, le duc d’Aquitaine n’a pas réussi à les arrêter.

    Il aurait ainsi demandé de l’aide à Charles Martel. Ce dernier, voyant l’aubaine politique, aurait accepté d’intervenir. Il y a derrière ça un calcul simple : s’il aide le duc d’Aquitaine, celui-ci lui sera redevable.

    Il y a d’abord une série d’escarmouches, puis un affrontement important. Et ce qui est sûr, et là-dessus les sources arabes (très tardives et peu bavardes) comme celles des Francs s’accordent, ce sont les troupes de Charles Martel qui remportent la bataille. Le gouverneur Abdelrahman perdra la vie dans les affrontements.

    Non Charles Martel n’a pas mis fin à une invasion musulmane

    En revanche, cette victoire n’a rien de décisif. On met fin à une razzia. Rien ne prouve que les Sarrasins voulaient envahir la région. Il n’y a pas non plus de caractère religieux dans cette bataille. Ce n’est pas un affrontement entre chrétiens et musulmans. Il n’y avait pas de symboles religieux lors des batailles, comme c’était le cas lors des Croisades.


    « Il n’y a pas de caractère religieux dans cette bataille. Ce n’est pas un affrontement entre chrétiens et musulmans. Il n’y avait pas de symboles religieux comme lors des Croisades »

    Christophe Naudin, Historien

    Ce sont des affrontements politiques avec des intérêts de part et d’autre. À l’époque les royaumes chrétiens ne connaissent absolument rien de l’Islam. Pour eux, ce sont des hérétiques ou des païens et ça s’arrête là. Ils ne considèrent pas les Sarrasins comme porteur d’une religion à part entière.

    Des intérêts politiques et personnels

    Charles Martel n’était pas là pour arrêter une invasion, mais plutôt parce qu’il sentait qu’il pouvait en tirer profit. Le véritable perdant de cette bataille a été le duc d’Aquitaine, car même s’il est dans le camps des vainqueurs, il a une dette envers Charles Martel qui en est ressorti plus fort politiquement.

    Du côté du gouverneur de Cordoue, il y avait la nécessité d’accumuler un butin pour nourrir ses troupes, car ça commençait à s’agiter dans l’Espagne musulmane. Et c’est la même chose du côté Franc, pour calmer les troupes, il faut un butin.


    « Charles Martel n’était pas là pour arrêter une invasion, mais plutôt parce qu’il sentait qu’il pouvait en tirer profit »

    Christophe Naudin, Historien

    Les alliances entre Sarrasins et Francs, rien d’étonnant à l’époque

    Après la “bataille de Poitiers”, les Provençaux ont passé un accord avec les Sarrasins, leur permettant d’arriver jusqu’à Avignon. Ce qui a conduit à une nouvelle intervention de Charles Martel qui est parvenu à les battre.

    Mais ce genre d’accord est banale pour l’époque. Dans le contexte actuel, elles nous surprennent car certains groupes identitaires en font un récit biaisé et manichéen entre les gentils Francs chrétiens et les sauvages Sarrasins musulmans.

    Une alliance entre Francs et Sarrasins à l’origine de la bataille ?

    Certains historiens pensent même que la razzia lancée par le gouverneur de Cordoue s’inscrit dans le prolongement de l’alliance entre le dignitaire berbère, cité plus haut, et le duc d’Aquitaine. Les troupes du gouverneur seraient remontées jusque dans les Pyrénées pour lui faire payer sa traitrise et auraient poursuivies leur mission en lançant une razzia. On le voit bien, dans ce récit, il y a beaucoup de suppositions et d’incertitudes.

    Une bataille devenue un mythe

    Il y avait une idée reçue, selon laquelle cette bataille serait un fait majeur de ce qu’on appelle le “roman national”. En enquêtant un peu, on voit que ce n’est pas le cas. Contrairement à Charlemagne ou Jeanne d’Arc, Charles Martel a été longtemps absent ou très peu présent dans les programmes d’histoire.

    On a regardé les grands manuels des 3ème et 4ème République et il est soit absent, soit au second plan. À partir des années 70 et jusqu’à aujourd’hui, on mentionne cette histoire, mais elle n’est pas explicitement mise en avant.

    Pour la première fois, cette année on en parle vraiment dans les programmes scolaires (cela ne figure que dans les documents pour aider les enseignants de 5e pour le programme mis en place à partir de la rentrée 2016) mais pour dire que la bataille de Poitiers n’a pas été décisive et que celle de Toulouse en 721 est beaucoup plus importante.

    Ce sont bien les mouvements identitaires qui ont placé la bataille de Poitiers sur le devant de la scène. Ceux qui la mette en avant ont juste un intérêt politique derrière.

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