En ce moment

    21/09/2017

    « C’est juste bête et méchant »

    Pourquoi les trolls de Twitter trollent

    Par Aladine Zaïane , Fatma Ben Hamad

    Eric, l’électeur FN, Jérôme le sympathisant de gauche et Cyril, le journaliste nous ont expliqué pourquoi ils trollent. Sur Twitter, cachés derrière des pseudonymes, ils font tout pour provoquer. Quitte à franchir la ligne rouge.

    Février 2016 – Mehdi Ouraoui élu PS de Bayonne achève une énième réunion. Très actif sur Twitter, il jette un oeil à son smartphone :

    (img) Mehdi Ouraoui et ses nouveaux copains mehdi_ouraoui.png

    « C’est une mine d’infos et de confrontations d’idées. Il n’a pas d’équivalent aujourd’hui. »

    Sauf que ce jour-là, ce que le directeur de cabinet d’Harlem Désir va découvrir dans ses notifications est bien loin des débats auxquels il est habitué, dans les salons feutrés des cabinets :

    « J’ai eu un débat vif avec des intégristes catholiques sur Twitter. Ils ont diffusé mon adresse personnelle en appelant à y foutre le feu. »

    Ces animaux qui envahissent les réseaux sociaux

    Le cas de Mehdi Ouraoui n’est pas isolé. Les trolls politiques ont envahis les réseaux sociaux, dans le seul but de générer des polémiques. Messages provoc’, insultes, fake news ou diffamation… Cachés derrière des pseudos, certains n’ont pas peur de franchir la ligne rouge. Lorsque ces trolls vous prennent en chasse, autant vous dire que votre horizon est aussi court que celui des aventuriers de Jurassic park encerclés par des vélociraptors. Ces monstres du net font partis du quotidien de Mehdi Ouaraoui :

    « On y est soumis chaque jour, presque chaque heure. On ne se rend pas compte à quel point ils se sentent libres et décomplexés. Entre l’anonymat et l’impunité ils se lâchent. »

    L’activité de troll est presque compulsive. Ils suivent les fils Twitter de leurs victimes pour y publier chaque jour un message. La consécration ? Être bloqué par une personnalité. Pour ne pas leur faire cet honneur, l’élu de Bayonne « masque » les profils des trolls. Ce qui lui évite de voir leurs messages et leurs publications.

    Mais pourquoi les trolls se donnent-ils autant de mal ?

    1 « Leur pourrir leur journée »

    Le plus souvent, il ne faut pas chercher une justification compliquée. Cyril* est journaliste (non il n’est pas à la rédac de StreetPress !) et troll compulsif à ses heures perdues, gérant jusqu’à 5 comptes Twitter en parallèle :

    « Parfois je trolle une même conversation avec plusieurs comptes. Ça donne l’impression d’une attaque massive. »

    Il reconnaît volontiers que sa démarche n’a « rien de constructif » :

    « C’est juste bête et méchant. Il ne s’agit ni de convaincre la personne ni les autres qui la suivent. »

    Ce sympathisant de gauche cible les comptes de militants d’extrême droite :

    « Quand tu commences à répondre à des gens qui, selon mes critères, disent de la merde, tu te confrontes à une armée de gars qui vont te sauter à la gorge directement. C’est une perte de temps de vouloir les convaincre donc autant essayer de leur faire passer une mauvaise journée avec des faux comptes et des choses pas forcément très intelligentes aussi. »

    2 Provoquer une réaction

    En 2012, l’audience de Twitter en France augmente de plus de 50%. Et c’est en cette année d’élection présidentielle que Jérôme* décide de se créer un compte troll. Pour l’occasion, il se met dans la peau d’un militant d’extrême droite, multipliant les punchlines racistes. Une manière, espère-t-il, de détourner certains électeurs tentés par le FN :

    « Par exemple j’écrivais des tweets explicitement racistes pour provoquer des réactions racistes [d’autres militants FN] et ainsi décrédibiliser leur discours de dédiabolisation. Je voulais par ces tweets m’adresser aux “modérés” qui étaient sincèrement convaincus par cette idéologie et qui ne se considéraient pas “racistes” »

    5 ans plus tard, Jérôme reconnaît que son petit combat n’a sans doute pas eu un quelconque impact.

    3 Contourner les « merdias » pour distiller une idéologie d’extrême droite

    En guise de profil-pic sur Twitter, Eric*, sympathisant d’extrême droite, a mis le visage de « Pepe the frog ». Cette grenouille, tirée du Comics Boy’s club, est au départ la bannière des pro-Trump. La légende raconte que les trolls ont connu leur moment de consécration en pleine élection américaine 2016.

    Née sur le site 4chan, une armée de trolls sympathisants de l’alt-right (extrême droite américaine) s’est lancée à la chasse aux candidats démocrates à coup de fake news et de mèmes. S’attaquant d’abord à Bernie Sanders lors des primaires, ils ont poursuivi leur entreprise de minage avec Hillary Clinton. A tel point que ces activistes cachés du web sont convaincus d’avoir contribué à l’élection de Trump. Rien que ça. Ça fait aussi partie de la légende des trolls.

    (img) Tout en finesse troll2.png

    C’est après l’attentat de Nice qu’Eric a commencé à être actif sur Twitter. Jusqu’à devenir un véritable « twittos compulsif » :

    « Je m’y informe plus qu’à la télévision car les gauchistes sont assez entendus dans les médias, il faut un autre son de cloche. La civilisation européenne risque de disparaître. »

    Électeur du Front national il pense tout de même que ce parti n’est pas « assez à droite et radical ». Pour Eric, Twitter est un véritable bastion de résistance. Il est convaincu que le réseau « a fait gagner des voix à Trump ».

    Sur le réseau social, il tente de convaincre les Français « de longue date » qu’ils peuvent devenir « étrangers et minoritaires dans leur propre pays » :

    « Je publiais des vidéos où on voyait les agissements des immigrés, des agressions de délinquants ou des vidéos de la police qui se faisait agresser par les militants d’extrême-gauche. »

    Pour Dominique Albertini, journaliste à Libération et co-auteur de La fachosphère. Comment l’extrême droite a remporté la bataille d’internet, le net est un espace que l’extrême droite a investi bien avant l’essor de Twitter :

    « Dès les années 90, dans certaines revues confidentielles d’extrême droite, on retrouve des articles enthousiastes au sujet de la plateforme Napster. Ils se réjouissaient du fait qu’on puisse échanger de la musique radicale néo-nazi plus facilement sur ce canal. Le même raisonnement s’applique pour le discours politique. »

    4 Mener la bataille culturelle

    Twitter est aujourd’hui un vaste champ de bataille idéologique. Et chez les activistes ou sympathisants de gauche comme Jérôme, il y a la volonté d’occuper le terrain face à une extrême droite très bien organisée.

    « On ne doit pas laisser internet à la fachosphère »

    Certains signalent à la chaîne les comptes racistes ou homophobes. Eric a ainsi vu, à plusieurs reprises, ses comptes bloqués par le réseau social. Un simple contretemps pour le cyber-militant que rien n’empêche de recréer un nouveau compte.

    D’autres essayent de porter le fer. Réagir eux tweets nauséabonds c’est, pour Cyril, une manière de leur dire « on est chez nous aussi » :

    « Comme dans la rue, il s’agit de leur montrer qu’il existe encore de la contradiction. Tu fais sentir aux gars qu’ils ne peuvent pas déblatérer n’importe quelles conneries sans se prendre un scude. »

    Les partis traditionnels reprennent du poil de la bête

    De manière générale, les partis dits anti-système se sont mieux appropriés internet que les partis traditionnels. D’autant plus qu’ils se disent mal traités par les médias mainstream. Comme le rappelle Dominique Albertini : « Internet est l’outil préféré de toutes les marges politiques ».

    Si les trolls semblent encore tenir le haut du pavé, les partis traditionnels se sont lancés dans la bataille. Ils s’emparent d’internet avec plus de moyens et donc « la compétition devient difficile pour les anti-système. C’est un terrain qui s’institutionnalise. Avant c’était un terrain vague maintenant les institutions rattrapent leur retard », analyse le journaliste.

    « Dans tous les partis il y a déjà une cellule riposte », abonde le socialiste Mehdi Ouraoui. Une stratégie qui a ses limites :

    « Le problème c’est qu’ils ont une vision défensive et à l’ancienne de ces outils numériques. Ils ont la même approche des réseaux sociaux que leur approche de la démocratie. À savoir, “comment on va pouvoir les dominer et imposer notre message”. »

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER