Breaking News : je suis féministe et musulmane. Pour moi, c’est important de se définir en tant que telle, car en France, nous pensons encore que c’est contradictoire. Nous en sommes toujours à parler de « la femme musulmane », comme si nous étions un bloc monolithique. Nous sommes constamment niées dans notre diversité.
À travers un féminisme intersectionnel, je lutte contre le sexisme, le racisme, l’islamophobie et tout ce qui nous empêche d’être les femmes que nous voulons devenir.
Mon engagement a commencé lorsque j’étais étudiante en Master de Relations internationales à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques). J’avais 24 ans. Mon mémoire de fin d’étude portait sur le féminisme islamique et musulman au Maroc. Ma directrice de mémoire m’avait dit :
« Il va falloir que tu choisisses. Soit tu es féministe, soit tu es musulmane. »
Je l’ai vécu comme une véritable violence et comme une humiliation. Cela venait d’une grande féministe. Dans un milieu universitaire qui est censé nous apporter le savoir, on me poussait à avoir honte de qui j’étais. Encore une fois, on me demandait de choisir entre mes différentes identités. Encore une fois, on m’expliquait que ma foi était un frein à mon émancipation. J’en avais marre d’être perçue comme une exception en tant que femme musulmane.
Construire des modèles et déconstruire les clichés.
Les femmes musulmanes sont toujours présentées par les médias, les films ou les politiques comme des femmes opprimées sans aucun libre arbitre, et qu’il faudrait forcément sauver. C’est à partir de ce constat que j’ai eu l’idée de fonder le projet documentaire Women SenseTour. Le projet a pris la forme d’un voyage de cinq mois dans cinq pays musulmans (Maroc, Tunisie, Turquie, Iran et Indonésie) pour mettre en lumière ces femmes, dont on ne parle pas, qui allient sereinement leur foi et leur engagement au nom de l’émancipation.
J’ai rencontré 25 femmes de tous horizons, qui vivent en ville ou à la campagne, des femmes intellectuelles ou analphabètes ; certaines portent le voile, d’autres non. Elles œuvrent sur des sujets aussi différents que l’accès à l’éducation des filles en zones rurales, la condition des mères célibataires ou encore la participation des femmes en politique. Je souhaitais des profils très différents pour montrer la diversité de toutes les femmes musulmanes. Parmi elles, il y avaient des féministes islamiques qui font un travail de relecture du Coran et des hadiths, pour montrer qu’il y a une égalité entre les femmes et les hommes dans ces textes.
Maroc. Rencontre avec Khadija Elharim, fondatrice de la première coopérative féminine d'argan. / Crédits : Lallab
J’ai pu notamment rencontrer Asma Lamrabet au Maroc, médecin et directrice du Centre des Études Féminines en Islam ou Latifah Iskandar, en Indonésie qui, à travers la lecture du Coran, lutte contre les violences faites aux femmes. Il y a aussi des féministes musulmanes qui militent indépendamment du cadre religieux. Au Maroc, j’ai rencontré l’incroyable Khadija Elharim qui a créé une coopérative féminine pour la production et la commercialisation de l’huile d’Argan pour permettre aux femmes de la région d’avoir un salaire. En Tunisie, Sarah Toumi et son projet Acacias for All lutte contre la désertification des terres et l’autonomisation des femmes en travaillant notamment avec des agricultrices.
Pour un féminisme intersectionnel
À la suite de ce voyage, j’ai co-fondé en décembre 2015, l’association et le magazine Lallab, avec Justine Devillaine – qui m’avait notamment accompagnée en Iran et en Indonésie. Ce nom est un néologisme, il s’agit de la combinaison du mot « lalla » qui signifie « madame » en arabe et « Lab » qui veut dire « laboratoire ». Notre but, cette fois-ci, était de faire entendre les voix des femmes musulmanes de France.
« Nous vivons dans un pays assimilationniste, qui nous répète que nous sommes tout.e.s égaux, ce qui est terriblement faux et nous, femmes racisées, nous le découvrirons bien assez vite. »
Sarah Zouak, co-fondatrice de l’association Lallab
Nous revendiquons un féminisme intersectionnel. Un concept créé en 1989 par l’universitaire féministe noire américaine Kimberlé Crenshaw qui met en évidence la nécessité de prendre en compte les différentes formes d’oppression dont sont victimes les femmes, non seulement les rapports de dominations liés au genre, mais aussi à la classe et au racisme.
La priorité est donc de lutter contre le sexisme, le racisme et l’islamophobie. Il faut arrêter de nous demander de nier une partie de notre identité pour pouvoir être acceptées au sein de notre société. Nous vivons dans un pays assimilationniste, qui nous répète que nous sommes tout.e.s égaux, ce qui est terriblement faux et nous, femmes racisées, nous le découvrirons bien assez vite. Au sein de Lallab, nous avons des femmes surdiplômées qui ne trouvent pas de travail parce qu’elles portent simplement un foulard et d’autres qui se voient refuser l’accès à des cours à l’université, alors que c’est complètement illégal. Il faut faire face à ces réalités en France ou en 2017 et élaborer des stratégies efficaces qui ne sont pas empreintes de stéréotypes.
Notre mission à Lallab est de produire un environnement, des ressources et des outils favorisant la liberté de chaque femme musulmane à définir son identité et son parcours de vie. À travers notre magazine en ligne, nous nous réapproprions nos récits pluriels et créons notre propre agenda sans subir les différentes injonctions des médias et des politiques qui nous demandent sans cesse de nous justifier. Par exemple, dans l’un de nos derniers articles nous avons rencontré des femmes musulmanes qui souffrent de troubles du comportement alimentaires et qui parlent des difficultés rencontrées lors du mois de ramadan.
Janvier 2017. Les bénévoles lors du Lallab Day / Crédits : Lallab
Une logique inclusive
Nous organisons également des événements pour faire entendre les voix des femmes musulmanes. Notre dernier festival, LallabBirthday, a réuni 500 personnes à la Bellevilloise. Nous avons fait intervenir des femmes musulmanes inspirantes et différentes artistes, et monté des tables rondes avec des femmes racisées. Tous les six mois, nous organisons un week-end de formation, le Lallab-Day, au cours duquel nous initions nos bénévoles au féminisme intersectionnel à travers différents ateliers pédagogiques.
« Nous nous inscrivons dans une démarche inclusive. Tout le monde peut y adhérer quels que soient son sexe ou ses opinions religieuses. »
Sarah Zouak, co-fondatrice de l’association Lallab
Aujourd’hui, nous comptons 200 bénévoles. Beaucoup ne sont pas musulmans mais sont des alliés à notre cause, comme Justine, cofondatrice de Lallab, qui est athée. Nous nous inscrivons dans une démarche inclusive. Tout le monde peut y adhérer quels que soient son sexe ou ses opinions religieuses tant qu’ils et elles respectent nos valeurs, notre vision et notre mission. Cependant notre mot d’ordre sera toujours de donner la voix aux premières concernées. À titre d’exemple, lors de notre précédent festival, nous avons fait en sorte que le lieu soit accessible aux personnes en situation de handicap, que la nourriture soit végétarienne. Il y avait également une salle de prière, de méditation et une crèche pour que les mamans puissent profiter pleinement des événements.
Insultes, menaces et cie
Les clichés, nous continuons à en être la cible dans Lallab. Dés la création de notre association, nous nous sommes vues refuser l’ouverture d’un compte en banque parce que notre association s’adresse aux femmes musulmanes.
Nous avons vécu des campagnes de cyberharcèlement sur les réseaux sociaux ; ce, par exemple, après l’intervention de l’une des membres et trésorière de Lallab, Attika Trabelsi, dans l’“émission politique sur France 2”:https://www.youtube.com/watch?v=ow0QeLF3hbQ&t=88s pour le face-à-face avec Manuel Valls. Nous avons ainsi reçu des messages sexistes, racistes et haineux, avec parfois des photos choquantes de femmes musulmanes brûlées et ce genre de légende :
« C’est ça que vous voulez? »
Nous avons déjà subi de la censure ou l’annulation de l’une de nos projections-débats, car les organisateurs subissent des pressions de la part de la fachosphère ou d’organisations laïcardes qui pensent que nous sommes affiliés aux frères musulmans.
Plus récemment encore, alors que l’on cherchait une salle à Paris pour organiser notre premier festival féministe, des gérants de salles parisiennes nous ont posé des questions complètement absurdes et très graves, que l’on ne pose à aucune autre structure : « est-ce que toutes vos intervenantes sont républicaines et laïques », « combien de femmes voilées seront présentes » ou encore « est-ce que vous comptez vendre des niqabs ? »
C’est ici la motivation de notre engagement pour continuer à défendre les femmes musulmanes et à déconstruire tous les clichés dont elles sont plus que jamais les victimes.
Face au péril, nous nous sommes levés. Entre le soir de la dissolution et le second tour des législatives, StreetPress a publié plus de 60 enquêtes. Nos révélations ont été reprises par la quasi-totalité des médias français et notre travail cité dans plusieurs grands journaux étrangers. Nous avons aussi été à l’initiative des deux grands rassemblements contre l’extrême droite, réunissant plus de 90.000 personnes sur la place de la République.
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